Évangile selon Matthieu 7 / 24-27

 

texte :  Évangile selon Matthieu, 7 / 24-27   (trad. : Bible à la colombe)

premières lectures :  Jérémie, 1 / 4-10 ;  Évangile selon Matthieu, 25 / 14-30

chants :  181 et 632  (Arc-en-ciel)

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Les textes de ce matin sont violents… mais peut-être en avez-vous l’habitude ! Il n’y a que les gens qui ne lisent pas la Bible qui pensent que ses textes sont à l’eau de rose. Tout comme il n’y a que les gens qui ne regardent pas plus loin que le bout de leur nez pour croire… en fait, je ne sais pas ce qu’ils croient ! Que le monde est méchant ? Ou bien que le monde est plein de bisounours ? Ou encore qu’eux-mêmes sont gentils, ou méchants… ? Mais celui qui parle dans les textes de ce matin « sait bien de quoi nous sommes faits, il se souvient que nous sommes poussière… » (Ps. 103 / 14) Et, donc, les textes qui portent sa parole sont violents, comme nous, comme le monde dans lequel nous sommes placés. Parce que tous ont besoin d’être remis à leur place, au vrai sens : remis en place, remis debout là où nous devrions nous trouver pour bien vivre.

 

C’était d’ailleurs la vocation de Jérémie qui nous le rappelait, sans qu’il soit besoin de devinette ni d’introspection. « Parler sur » et « parler contre » y sont synonymes, et il n’est pas possible de « bâtir et planter » sans d’abord « arracher et abattre » … Quant à ceux d’entre nous qui sommes responsables de quelque chose – c’est-à-dire nous tous, d’une manière ou d’une autre – nous connaissons l’avertissement de la « parabole des talents », et aussi de ce petit texte qui clôt le « Sermon sur la montagne », et qui est le texte de ce jour. Mais je ne sais pas si nous avons bien conscience de tout ce qu’il nous dit.

 

Et tout d’abord de l’universalité des attaques. « La pluie est tombée, les torrents sont venus, les vents ont soufflé et se sont abattus sur cette maison », ceci est vrai pour toutes les maisons ! La phrase est d’ailleurs reprise exactement dans les mêmes termes pour les unes et les autres, celles construites d’une manière et celles construites de l’autre. Il ne faut pas s’imaginer que ce contexte est réservé à quelques-uns, qui en auraient particulièrement besoin, à quelques pécheurs que Dieu aurait particulièrement besoin de punir, ou à quelques « justes » qu’il aurait particulièrement besoin d’éprouver, comme le prologue du livre de Job le laisserait entendre à première lecture. Non, c’est pour tout le monde, d’une manière ou d’une autre, un jour ou l’autre.

 

Alors ne vous demandez plus « pourquoi moi ? » ou bien « pourquoi Untel ? ». D’une part, vous le savez bien, « aucun vivant n’est juste devant [Dieu] » (Ps. 143 / 2 ; Eccl. 7 / 20 ; Rom. 3 / 10). Et d’autre part, « la création a été soumise à la vanité » (Rom. 8 / 20). Par contre, tant que cela n’arrive pas, profitez-en, soyez heureux, et rendez grâces à Dieu qui permet ce miracle ! Car la condition normale, vous l’avez bien entendu dans ce texte, et je vous l’ai dit, la condition normale est que cela arrive pour tout le monde, sans qu’il faille y chercher un sens particulier. Dans le livre de Job, ce sont ses amis qui cherchent à justifier Dieu de ce qui arrive au patriarche, en cherchant toutes les raisons possibles, alors que le lecteur sait depuis le début qu’il n’y en a pas. Les catastrophes sont injustes parce qu’elles n’ont aucune justification, qui que ce soit qui en soit touché.

 

Mais en dehors de cette constatation de bon sens, qui fait que Job n’impute pas le mal à Dieu (Job 1 / 22), notre texte est, en fait, plus précis que ça. Il ne parle pas de l’humanité en général, il ne parle pas des gens de l’autre bout du monde, il n’évoque pas ceux qui ont des convictions différentes des nôtres. Il parle de « quiconque entend de moi ces paroles » … Le texte, et c’est bien évident, s’adresse à ceux qui le lisent ! La parole de Jésus s’adresse à ceux qui sont à portée de sa voix. Les deux catégories de gens – puisque le texte catégorise – sont deux catégories de chrétiens. Et là encore il faut faire bien attention à ce que nous lisons : il n’y a pas de troisième catégorie. Il n’y a donc pas de chrétiens pour qui la tempête n’arrivera pas, je viens de vous le dire. Mais il n’y a pas non plus de chrétiens qui mettent « un peu » en pratique les paroles de Jésus. Il y a seulement deux catégories : ceux qui font, et ceux qui ne font pas.

 

Cette présentation est certes schématique, beaucoup trop… sauf que c’est Jésus qui parle ainsi, et je ne vois pas comment je pourrais trouver à y redire ! Bien sûr, ça ne me plaît pas, parce qu’alors, force m’est de constater que je ne suis pas du « bon » côté. Je dois donc prendre ce texte comme un texte prophétique, c’est-à-dire un texte qui m’appelle à « changer de comportement », comme certaines traductions modernes traduisent « se convertir » … Et cela nous renvoie au rôle de la Loi dans la Parole de Dieu : si je ne suis pas sauvé par l’observance des commandements, à quoi servent-ils ? Une autre manière de poser la question serait de se demander à quoi sert-il que Dieu me parle ? Je sais bien qu’il est mon Père, mon Seigneur, mon Sauveur… Pourquoi continue-t-il à me parler ? Dit comme ça, n’est-ce pas, la réponse est évidente : il me parle parce qu’il est vivant et moi aussi, parce que nous sommes liés, parce qu’il a des choses à me dire et que j’ai des choses à entendre, etc. En famille, ou même avec des amis, ne vous parlez-vous donc pas ?

 

Et puisque nous sommes liés parce que lui l’a décidé – c’est un des sens d’affirmer qu’il est mon Père – et puisqu’il m’aime et ferait tout pour moi – c’est un autre sens de la même expression – alors bien sûr il me parle, et notamment pour me rappeler ce qui est bon pour moi. Et l’un des moments où il le fait, c’est à travers le « Sermon sur la montagne », auquel notre texte fait référence.  « Ces paroles » ne désignent pas n’importe quelles paroles de Jésus, mais tout cet enseignement qui dure trois chapitres, qui commence par les « Béatitudes », mais se poursuit par des choses bien peu naturelles elles aussi : « tendre l’autre joue », ne pas mal penser sur les autres, prier sans s’inquiéter, pardonner infiniment, etc. « Quiconque entend de moi ces paroles » désigne donc tout homme, toute femme, qui entend son Père lui parler à travers ces textes de l’Évangile selon Matthieu.

 

Et puis il est question de les « mettre en pratique ». Le verbe utilisé est le verbe « faire ». Qu’est-ce que c’est, que « faire une parole » ? Toute parole suppose non seulement un émetteur et un contenu, mais aussi un récepteur ! Ces textes ne sont une parole que lorsqu’ils m’atteignent. Je sais bien que les plus « évangéliques » d’entre nous n’aiment pas qu’on dise cela, comme si la qualité « parole de Dieu » dépendait des auditeurs et non de celui qui parle. Mais si c’est une vraie parole, elle suppose non seulement d’être émise, mais d’être reçue, d’être « entendue », comme le dit notre texte. Dieu ne parle pas en l’air, il est une vraie personne vivante : il nous parle, à toi, à moi… La parole est « faite » lorsqu’elle porte fruit chez celui ou celle qui l’a entendue. Lorsqu’elle est « réalisée », comme on le dit d’un film qui ne consiste pas dans un scénario, mais dans un produit « fini », c’est-à-dire « visible » au cinéma ou sur tout autre support, et visible ainsi par d’autres !

 

Il ne s’agit donc pas pour les chrétiens d’être d’accord avec la parole que Dieu leur adresse – et encore moins d’être en désaccord, certes ! Mais il s’agit d’en faire quelque chose de réel, de tangible. Il s’agit de se laisser modifier par cette parole. Ainsi, lorsque nous lisons le « Sermon sur la montagne », ou d’ailleurs les autres textes de la Bible, et si la première question est évidemment « qu’est-ce que ça dit ? », puis « qu’est-ce que ça me dit à moi ? », la vraie question est « qu’est-ce que j’en fais ? ». Le texte est au présent. La question n’est donc pas « qu’est-ce que j’en ai fait ? », question qui ne me mènerait qu’à la connaissance de ma désobéissance, de mon péché, mais bien « qu’est-ce que j’en fais maintenant, maintenant que cette parole m’atteint dans ma vie concrète ? ». Pas non plus demain… Maintenant ! (Ps. 95 / 7 ; 2 Cor. 6 / 2)

 

On comprend mieux alors la parole de Jésus à l’apôtre Pierre quelques pages plus loin dans le même évangile : « Et moi, je te dis que tu es Pierre, et que sur ce roc je bâtirai mon Église. » (Matth. 16 / 18) Le « roc » n’est pas le chrétien, mais c’est ce que la parole du Christ produit en lui. Et ce qu’elle produit en nous et entre nous fait de nous son Église. Le projet de Dieu n’est pas de nous parler, mais, nous parlant, c’est de réaliser en nous ce qu’énonce sa parole. Et c’est ça qui nous fait tenir ou tomber, comme chrétiens et comme Église. C’est à cette réalisation des paroles de Jésus que nous sommes invités, non par devoir, mais par conscience de ce qui est bon pour nous, chacun et ensemble. C’est à laisser le Saint-Esprit faire en nous et entre nous ce que les paroles de Jésus énoncent pour une vie renouvelée, chrétienne, qui témoigne de son Seigneur. C’était déjà le but des Dix commandements, dont la plupart étaient au futur et non pas à l’impératif : non pas « ne fais pas », mais la constatation que « tu ne feras pas » … (Ex. 20 / 1-17)

 

Ne prenons donc plus ces paroles pour des commandements qui, à vrai dire, sont impossibles à observer, mais plutôt comme des paroles d’amour dites avec la violence de la passion, des paroles qui attendent et demandent à être réalisées, rendues réelles, dans les vies particulières des individus et des communautés qu’elles atteignent. Ne soyons pas comme le si timide intendant qui a enfoui le lingot au lieu de s’en servir, ou comme le fils aîné d’une autre parabole, qui n’a jamais profité de ce qui pourtant était à lui, pour lui… (Luc 15 / 25-32). Soyons comme quelqu’un qui a sa maison à construire, et qui le fait avec des fondations solides qui lui permettent de résister aux tempêtes inévitables. Mais soyons aussi comme des gens qui n’ont pas de maison à construire, qui n’ont à s’inquiéter de rien – comme le dit d’ailleurs le « Sermon sur la montagne » – et qui peuvent donc librement vivre à l’inverse du monde, en donnant et pardonnant ce que les autres retiendraient pour en vivre, croyant ainsi construire sur un rocher solide alors que le leur n’est jamais que du sable…

 

Car au vrai, nous n’avons pas à construire notre vie, mais à vivre la parole que Dieu nous adresse. Soyons donc chrétiens, à nous mettre à son écoute, à lire et méditer les Écritures en lui demandant de nous y faire entendre à chaque instant sa parole actuelle et adressée. Mais soyons aussi des chrétiens conséquents, à lui demander, en réponse à la parole reçue, qu’il l’inscrive non seulement dans nos oreilles ou nos intelligences, mais aussi dans la réalité concrète de nos corps, de nos relations, dans tout ce que nous vivons comme chrétiens et comme Église. Il y a là-dedans des merveilles – comprenez : des miracles, mais aussi des choses fantastiques à vivre, « ce que l’œil n’a pas vu, ce que l’oreille n’a pas entendu, et ce qui n’est pas monté au cœur de l’homme, tout ce que Dieu a préparé pour ceux qui l’aiment. » (1 Cor. 2 / 9)

 

Que vienne alors la tempête, qu’on puisse dire : voyez, « la maison ne tombe pas, c’est qu’elle avait été fondée sur le roc. » Amen.

 

Saint-Dié  –  David Mitrani  –  13 août 2017

 

 

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