Évangile selon Matthieu 6 / 5-15

 

texte :  Évangile selon Matthieu 6 / 5-15

premières lectures :  Exode 32 / 7-14 ; première épître à Timothée 2 / 1-6a

chants :  631 (Arc-en-ciel), 53-02 et 47-22 (Alléluia)

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Chers frères et sœurs, il ne vous aura pas échappé que le thème de ce culte est la prière ! Ainsi en est-il dans la liste que votre serviteur essaye de suivre consciencieusement tous les dimanches. Mais c’est aussi une suite de la méditation que je vous ai proposée mercredi dernier, si vous l’avez lue. Nous venons d’entendre Moïse intercéder pour son peuple idolâtre. Nous avons aussi entendu Paul rappeler à Timothée de prier et de faire prier notamment pour les autorités de la société. Et finalement Jésus lui-même nous dire un certain nombre de choses sur la manière de prier, avec notamment ce qu’en termes anciens nous appelions « l’oraison dominicale », la « prière du Seigneur », je veux dire : le Notre Père

 

Mais voilà : je me demande si le vrai thème de tous ces textes n’est pas le pardon plutôt que la prière. Nous venons d’ailleurs de le chanter aussi ! La phrase-clé du texte évangélique, c’est : « votre Père sait de quoi vous avez besoin. » De quoi donc aurions-nous plus besoin, sinon du pardon de Dieu, et de celui de nos frères et sœurs ? Ça n’empêche pas les « requêtes, prières, intercessions, actions de grâces » au sujet desquelles Paul écrivait à son disciple. Bien sûr. L’exemple de Moïse au désert le montre bien, comme aussi la prière d’Abraham pour Sodome où vit son neveu bien-aimé (Gen. 18 / 23-33), et tant d’autres textes. Mais dans la prière, l’essentiel n’est pas tant ce qu’on demande ou raconte (on peut même y déployer une mauvaise théologie, qui s’en souciera ?!). L’essentiel est la relation avec celui qui est « notre Père », celui justement qui « sait de quoi [nous] avons besoin » !

 

L’essentiel n’est pas dans l’acte de prier, mais dans la relation au sein de laquelle cette prière prend place, à la fois suscitée par la prière et faisant de celle-ci autre chose qu’une pratique rituelle, comme elle l’est dans les autres religions. C’est bien pourquoi la prière publique n’a pas d’intérêt en tant que telle, et c’est aussi pourquoi le culte réformé n’est pas d’abord un moment de prière, mais d’enseignement, d’exhortation… ce qui ne nous empêche pas d’y prier aussi ensemble ! Dans le culte, c’est Dieu qui parle, c’est Dieu qui se livre. La prière, c’est à la maison… Or Dieu a accès aussi à nos maisons. « Ton Père voit dans le secret », disait Jésus, au cœur du « Sermon sur la montagne ». Au sommet de la montagne, en public, Jésus enseignait donc, même au sujet de la prière. Mais pour prier, il se retirait « à l’écart », fût-ce aussi au sommet des montagnes… (Matth. 14 / 23)

 

Ce qui me frappe encore dans nos trois textes, c’est que c’est Dieu lui-même qui a l’initiative, c’est lui qui dé­clenche la prière. C’est lui qui a annoncé son projet sur Sodome à Abraham, à la suite de quoi le patriarche intercéda. Pour l’épître à Timothée, ce qui motive la prière, c’est que « Jésus Christ, être humain, s’est donné lui-même en rançon pour tous ». Sinon d’ailleurs pourquoi prier pour les autres ? Restons entre nous, voire entre soi, à prier pour nous-même(s), telle une secte… Et c’est ce même Jésus qui nous exhorte à la prière selon Matthieu, et qui nous rappelle que dans la prière nous rencontrons Dieu qui « voit dans le secret » et « qui sait ce dont nous avons besoin » …

 

Toute relation est une confrontation, que ce soit dans le confinement ou dans la vie normale. Or dans la confrontation avec Dieu, c’est là que nous réalisons que ce dont nous avons vraiment besoin, c’est le pardon, le pardon de Dieu sur ce que nous sommes, sur ce que nous vivons, sur nos vains efforts pour être dignes de lui, sur nos efforts efficaces pour nous servir des autres ou pour les rejeter… Être en relation, avec qui que ce soit d’ailleurs, c’est réaliser que nous sommes en dette, c’est réaliser que l’incomplétude nous caractérise. À cette constatation il y a deux réponses possibles : chercher à devenir plus complet en prenant aux autres ou en s’abstenant d’eux, et c’est le péché, ou bien accepter notre incomplétude et nous en remettre au Père qui nous a donné des frères et sœurs, et c’est la foi. C’est ce à quoi sert la prière.

 

C’est pourquoi le Notre Père comporte une première partie qui concerne « le ciel » où siège symboliquement Dieu : son Nom, son Règne, sa volonté, et une seconde partie qui concerne « la terre » où « le ciel » agit à travers la prière : le pain (c’est le Christ dont la mort nous nourrit), le pardon, la tentation, le Malin. Que serions-nous, que sommes-nous, en effet, livrés au Malin, seuls dans l’épreuve, abandonnés à la vengeance de nos créanciers, sans rien qui nous nourrisse ? Si Dieu n’intervient pas pour nous, si Christ n’est pas mort pour nous et si sa mort n’est pas une victoire sur le péché et la mort, alors oui, nous sommes morts, déjà, coulés par l’épreuve, coronavirus ou pas… Mais puisque Christ « s’est donné lui-même en rançon pour tous », puisque à cause de ça « l’Éternel regretta le malheur dont il avait déclaré qu’il frapperait son peuple », alors nous pouvons nous confier en lui, nous pécheurs, et recevoir et donner dans un même mouvement son pardon et sa paix.

 

Quand on réfléchit au pardon, vous savez bien, on en vient toujours à se dire « ça, je ne peux pas le pardonner ». Certes. Mais la question est alors mal posée. La vraie question, c’est « Dieu pourra-t-il me pardonner à moi ? » Car c’est moi qui ai besoin d’être pardonné. Or Jésus affirme clairement que je ne puis recevoir le pardon de Dieu pour en vivre, si moi-même ne pardonne pas à celui qui me doit à moi, moi qui ai pourtant une bien plus grande dette à l’égard de Dieu (cf. Matth. 18 / 21-35). Le seul à même de combler ma dette, de combler toute dette, c’est le Christ, ce n’est pas moi, pas même en voulant naïvement et souvent vainement récupérer ce qu’on me doit à moi. Ma prière sera alors, devant le Père, non seulement de me remettre ma dette, mais aussi de la remettre à celui ou celle qui me doit, afin que je puisse vivre en paix, tout comme Timothée était invité à prier pour les autorités « afin que nous menions une vie paisible et tranquille, en toute piété et dignité. »

 

Ce que Dieu veut, d’un bout à l’autre de la Bible, c’est que nous vivions en paix, débarrassés de tout ce qui déséquilibre notre existence. Nous pouvons alors demander à notre Père de nous donner le pardon, dans ce double sens de nous pardonner et de nous permettre de pardonner à ceux qui, comme nous, ne le méritent pas. C’est le pardon qui rétablit l’équilibre, pas la vengeance, pas le vaccin, pas l’oubli, pas le confinement ! C’est le pardon reçu et donné. Quand on dit « pardon », simplement ce mot, c’est bien autant pour le demander que pour le donner, non ? Jésus n’avait nul besoin de demander pardon, et pourtant en mourant il l’a donné, il me l’a donné, ainsi qu’à vous. Demandez-le donc, car « tout ce que vous demandez en priant, croyez que vous l’avez reçu, et cela vous sera accordé. » (Marc 11 / 24) Amen.

 

(Raon-l’Étape) en confinement  –  David Mitrani  –  17 mai 2020

 

 

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