Évangile selon Matthieu 4 / 12-17

 

texte :  Évangile selon Matthieu, 4 / 12-17   (trad. : Bible à la colombe)

premières lectures :  Épître aux Romains, 12 / 1-3 ;  Ésaïe, 42 / 1-5 ; Évangile selon Matthieu, 3 / 13-17

chants :  316 et 609  (Arc-en-ciel)

téléchargez le fichier PDF ici

 

Une fois de plus, l’évangéliste Matthieu nous rapporte une prophétie biblique qui s’accomplit avec la venue de Jésus. Mais, me direz-vous, nous qui ne sommes pas Galiléens, à quoi nous sert-il de savoir que le fait que Jésus, lui, le soit était annoncé depuis 500 ans ? À quoi nous sert-il que ce pays ait été illuminé, alors qu’il demeure un lieu de conflit, frontière d’Israël, Liban et Syrie où ne règne que la paix des armes et non celle qui était prophétisée ? C’est que la Galilée, comme le nom ne l’indique pas en français – mais en hébreu, oui – est un « carrefour », et que « Galilée des païens » signifie « carrefour des nations », ce qui est toujours le cas, mais l’était particulièrement à l’époque de Jésus, où Juifs revenus de Babylone à différentes époques et cités grecques dont certaines construites par le roi Hérode s’y côtoyaient de manière pas toujours harmonieuse. Province éloignée, campagne méprisée des Hiérosolymitains, et dont la minorité juive elle-même y était méprisée des citoyens grecs majoritaires.

 

Bref, le contraire d’un pays tranquille, de « race pure » si tant est que cela signifie quelque chose, ou d’un pays à « l’identité heureuse » et ouverte. C’est le pays de la peur de l’autre, de la discrimination, de la guerre larvée, de l’identité multiple et incertaine. À n’en pas douter et quoi qu’en disent les indicateurs économiques de l’époque, c’est bien là qu’habite « le peuple assis dans les ténèbres ». Quelque part nous sommes concernés par cette constatation. Cette Galilée est nôtre. Et comme le souligne l’évangéliste, il n’est pas anodin que Jésus soit « descendu » là, en Galilée, au lieu de rester à proximité de Jérusalem ou de la basse vallée du Jourdain, et en particulier qu’il soit allé à Capharnaüm au lieu de rester dans son village juif de Nazareth. Ce n’est pas pour rien que le nom de Capharnaüm est devenu en français comme un nom commun synonyme justement de mélange, d’absence de repères, de désordre et d’inorganisation…

 

Alors, bien sûr, la venue de la « grande lumière » qu’est Jésus nous concerne aussi de près. On pourrait presque dire que la caractéristique de départ d’un « pays chrétien » n’est pas qu’il est peuplé de chrétiens ni qu’il est gouverné par des « valeurs chrétiennes ». Mais cette caractéristique de départ, c’est qu’il est un « carrefour de païens », un « capharnaüm » de gens « assis dans les ténèbres » pour une raison ou une autre, personnelle ou sociale, économique ou culturelle, sur lequel s’est levé la lumière du Christ. Or, nous dit Matthieu, cette lumière du Christ est une prédication. En effet, que fait Jésus dans notre texte ? Il prêche. Il désigne la lumière qu’il est lui-même, mais qui doit être désignée, montrée. Il annonce à cette « Galilée » la proximité du règne de Dieu, et que cette proximité, c’est lui !

 

Et la conséquence de cette annonce, et c’est là qu’il s’agit d’une prédication et pas seulement d’une proclamation, c’est de dire aux gens : « repentez-vous ». La lumière se ferait-elle soudain obscurité, la joie attendue tristesse ? Car en français la repentance est associée à la tristesse, à la reconnaissance du fait qu’on est pécheur, qu’on ne mérite rien de Dieu et qu’on ne s’est pas conduit comme ses enfants. Pourtant, vous le savez, ce qu’on traduit ainsi serait mieux traduit par « conversion », non pas dans le sens d’un changement de religion, mais d’un changement de regard, de mentalité, un retournement. À des gens qui regardent du mauvais côté, « repentez-vous », ou mieux « convertissez-vous » est un appel à se retourner pour regarder désormais du bon côté. À ceux qui regardaient les ténèbres étouffer et couvrir leur monde, c’est un appel à regarder la lumière libérer leur monde.

 

La caractéristique du pays chrétien devient donc celle-ci : c’est le pays de ténèbres désormais illuminé, dans lequel retentit la prédication de la conversion, l’appel à regarder vers le Christ et non plus vers ce qui obscurcit notre cœur et notre horizon. Il ne s’agit pas d’avoir de meilleurs sentiments, mais vraiment de bouger, de se retourner et de marcher dans une nouvelle direction, de ne pas rester assis comme on l’est sous les ténèbres, à ramper ou à se mordre les uns les autres, mais à se relever tout comme s’est levée la lumière. La nouvelle marche peut être définie de deux manières : « suivre Jésus », et « aimer », sous le titre général de « vivre l’Évangile ». C’est donc la prédication de cet Évangile, de cette Bonne nouvelle, qui caractérise le christianisme, c’est-à-dire aussi la chrétienté d’un individu, d’un foyer, d’une ville, d’un pays… Comme souventes fois je vous l’ai rappelé, « Évangile » signifie « bonne annonce » et l’Évangile suppose donc d’être annoncé, prêché, pour être ce qu’il est.

 

Comme toute prédication, ainsi que je le rappelais hier aux prédicateurs de notre consistoire, cette prédication-ci suppose que le prédicateur soit le premier à être touché par elle. Il ne sert à rien de prêcher la conversion à Jésus si l’on n’est pas soi-même converti, c’est-à-dire si l’on n’a pas soi-même changé son regard de direction, changé son comportement de sens, si l’on n’entend pas soi-même dans sa propre vie cet appel à suivre Jésus plutôt que son train-train ou son propre intérêt, cet appel à regarder la lumière plutôt que l’obscurité, cet appel à regarder ce qui est illuminé plutôt que ce qui est caché, sali, assombri. La prédication est cet appel, elle n’en est pas le résultat. Si le prédicateur devait attendre d’être parfait, il ne prêcherait jamais, ou alors il écraserait ses auditeurs sous l’orgueil de sa culpabilité et la honte de la leur. Ainsi le « serviteur » dont parlait Ésaïe ne crie-t-il pas ni n’élève la voix, « il ne brisera pas le roseau broyé et il n’éteindra pas la mèche qui faiblit ; il révélera le droit selon la vérité. » Prêcher le Christ, c’est aussi prêcher comme lui, comme le prophète l’annonçait et comme les évangiles nous le montrent, « doux et humble de cœur » (Matth. 11 / 29).

 

Ainsi, sont bel et bien synonymes « vivre l’Évangile », « suivre Jésus », « prêcher la conversion » et « aimer ». Ce ne sont pas des étapes successives, mais différentes manières de dire la même chose. Et si je parlais du prédicateur, c’était pour individualiser ce qui est vrai de tout chrétien et de toute Église. Car après avoir reçu l’Évangile le prédicateur ou le pasteur le prêche à une assemblée, et celle-ci, après avoir reçu ce même Évangile dans la prédication et le sacrement, le prêche à son tour dans la rue, à la maison, au travail, en ville et dans les campagnes, etc. C’était déjà ce que demandait le « Shema Israël » : « Ces paroles que je te donne aujourd’hui seront dans ton cœur. Tu les inculqueras à tes fils et tu en parleras quand tu seras dans ta maison et quand tu iras en voyage, quand tu te coucheras et quand tu te lèveras ; tu les lieras comme un signe sur ta main, et elles seront comme des fronteaux entre tes yeux ; tu les écriras sur les poteaux de ta maison et sur tes portes. » (Deut. 6 / 6-9)

 

Les Pharisiens avaient chosifié cette torah : ils ont mis des bouts de versets ou ce texte lui-même dans des petites boîtes collées sur les montants des portes, sur leurs bras et sur leur front. Quel intérêt ? Il y a là quelque chose à vivre, pas à mettre en conserve ! Et à vivre à l’image du Christ. La prédication tonitruante n’est pas une prédication, mais un mensonge et une idolâtrie. L’Évangile est lumière pour ceux qui sont dans les ténèbres, il ne saurait consister en nouvelles ténèbres ! En l’occurrence, la forme dit le fond : la forme de l’Évangile de l’amour de Dieu pour les humains est forcément amour pour les humains, et on ne prêche pas l’Évangile de la lumière à un aveugle en ne lui parlant pas ou en lui mettant des obstacles sur sa route : au contraire, on l’accompagne… Et cet accompagnement est en paroles et en gestes, tout comme le Christ nous accompagne, nous, par la prédication et la sainte cène, par lesquelles il nous nourrit et nous fait signe, dans tous les sens de l’expression.

 

Ainsi, ce que vous recevez depuis la chaire et la table sainte, il vous appartient de le transmettre à d’autres. Le sens de l’existence chrétienne et le sens de l’Église sont là : des humbles qui se convertissent à la lumière en appellent d’autres qui sont comme eux à suivre le même mouvement, la même conversion : « convertissez-vous car le royaume des cieux est proche ! » Il me l’a dit, je vous le dis, à vous de le dire à d’autres… À vous de montrer autour de vous qu’il y a une lumière qui brille désormais dans les ténèbres et que celles-ci ne peuvent contraindre, comme l’écrivait Jean dans le prologue de son évangile (Jean 1 / 5). À vous de montrer que cette lumière a illuminé votre chemin, un chemin qui sans elle serait un chemin de ténèbres, de peur, de mort – comme pour tout le monde. N’attendez pas d’être arrivés au bout du chemin, au bout de la sanctification, au bout de l’obéissance. Votre parole ne serait plus crédible ! C’est parce que vous êtes en chemin que vous pouvez dire à ceux qui sont assis au bord les yeux tournés vers le sol qu’ils peuvent marcher avec vous sous la même lumière que vous.

 

Et si « votre mèche faiblit » – pour reprendre les images d’Ésaïe – rappelez-vous que le Sauveur n’est pas venu l’étein­dre, mais que lui persévérera pour vous et avec vous jusqu’à la fin. Il n’est pas venu vous condamner, mais « servir et donner sa vie en rançon pour beaucoup » (Matth. 20 / 28) dont vous êtes. C’est de cela que vous avez à être témoins, c’est cela que vous avez à prêcher « à la ville et au monde » (en sachant que, pour le monde, il y a des ministères spécialisés, mais que dans votre ville, c’est à vous de faire). Personne n’aura cette prédication à votre place, et sûrement ni les juifs, ni les musulmans, ni les athées… ! Personne ne prêche la faiblesse du prédicateur, sinon les chrétiens. Personne ne prêche que Dieu sauve par sa mort, sinon les chrétiens. Personne ne prêche que les pécheurs sont illuminés et relevés gracieusement, sinon les chrétiens. Et c’est parce que vous êtes des pécheurs connaissant la lumière que votre prédication pourra être reçue, parfois, par certains qui apercevront la même lumière !

 

Notre monde est plein de ténèbres, c’est un pays et une ombre de mort. Mais « quand je marche dans la vallée de l’ombre de la mort, je ne crains aucun mal, car tu es avec moi. » (Ps. 23 / 4) C’est lorsque nous traversons cette ombre de mort que nous pouvons témoigner à ceux qui y sont assis, pas lorsque nous nous « reposons dans de verts pâturages » (ibid. v. 2) qui nous sont pourtant promis ! Nous sommes porteurs d’une espérance qui n’est pas humaine. N’annonçons donc pas la santé, la prospérité, la paix universelle, comme font les sectes et les païens. Annonçons, annoncez simplement que vous avez vu la lumière et que ça a changé votre vie. Ça l’a changée, n’est-ce pas ? Amen !

 

Saint-Dié  –  David Mitrani  –  8 janvier 2017

Contact