Évangile selon Matthieu 3 / 13-17

 

texte :  Évangile selon Matthieu 3 / 13-17

premières lectures :  Ésaïe 42 / 1-9 ; épître aux Romains 12 / 1-8

chants :  23-05 et 23-07

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« Celui qui vient après moi est plus puissant que moi, et je ne mérite pas de porter ses sandales. Lui vous baptisera d’Esprit Saint et de feu », avait dit Jean, le Baptiste (Matth. 3 / 11). Et voici que Jésus vient non pas pour faire le tri entre les gens qui sont là, mais pour se faire baptiser lui-même… et Jean ne comprend plus rien. Que devient donc la justice de Dieu, dans tout ça ? Un peu plus tard, il demandera même : « Es-tu celui qui doit venir ou devons-nous en attendre un autre ? » (Matth. 11 / 3) Question lancinante : « si Dieu existait… », etc. Jésus est venu, et rien ne semble avoir changé. Nous, nous aimerions que ça change, que les méchants soient terrassés, et comme Jacques et Jean nous demandons à Jésus : « Seigneur, veux-tu que nous disions au feu de descendre du ciel et de les consumer ? » (Luc 9 / 54) Mais nous venons encore de voir, de multiples manières, en Australie comme en Iran, que c’est notre feu qui monte au ciel et qui consume des innocents… Le fantasme de puissance des hommes produit la mort, seulement la mort, surtout celle des autres…

 

Jésus vient pour être « baptisé dans l’eau, en vue de la repentance », comme le Baptiste présentait ce qu’il faisait (Matth. 3 / 11). C’est ce qui choque Jean, bien sûr, qui a bien compris que Jésus n’avait nulle repentance à manifester, lui qui « a été tenté comme nous à tous égards, sans péché » (Hébr. 4 / 15), comme la suite de l’évangile le montrera. « Jésus lui répondit : “Laisse faire maintenant, car il est convenable que nous accomplissions ainsi toute justice.” » Jean comprend alors ce que cela veut dire, puisque l’évangéliste rajoute : « Alors Jean le laissa faire », ce qui est étrange, puisque, en l’occurrence, c’était à Jean de faire, pas à Jésus… Jean a compris, mais, et nous ? Que comprenons-nous dans cette phrase, dans cette réplique de Jésus qui, finalement et paradoxalement, va placer Jean en spectateur et non plus en baptiseur ?

 

Un premier sens, bien faible, est de simplement comprendre que, pour Jésus, il est juste que ça se passe comme ça, il est juste, il est normal, que lui aussi soit baptisé, comme tous ceux qui se tournent vers Dieu. Il manifeste ainsi sa solidarité humaine avec les autres croyants, il manifeste que lui aussi s’attend à Dieu. Il se place alors dans la même attitude d’humilité devant Dieu que les autres baptisés, même si la question d’une repentance ne se pose pas pour lui. Cette attitude est bien sûr ambiguë. On peut la comprendre de deux manières. Soit Jésus se positionne comme un chef au milieu de ses troupes, et non pas dans la superbe de ceux qui commandent depuis l’arrière sans risque pour eux. Soit au contraire il refuse ce rôle et ne veut rien être de plus ou d’autre que les gens qui sont là au bord du Jourdain comme lui. C’est alors seulement la voix venue des cieux qui tranchera entre les deux hypothèses : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé », donnant à Jésus cette titulature royale conforme à la prophétie, et qui, elle aussi, ne lèvera son ambiguïté que sur la croix ; en attendant elle est claire : Jésus a un mandat divin, et pour l’accomplir « il a vu l’Esprit de Dieu descendre comme une colombe et venir sur lui. » Mais ce n’est pas le baptême de Jean qui a déclenché cela, c’est Dieu !

 

Serait-ce alors que la justice qu’il convenait d’accomplir consiste dans ce mandat royal, filial, authentifié par la voix céleste, comme il le sera à nouveau lors de la Transfiguration (Matth. 17 / 5) ? La justice, c’est d’observer, de pratiquer, la volonté de Dieu. Cette volonté est énoncée par Dieu lui-même, elle consiste alors pour Jésus à assumer l’amour du Père pour lui, et pour les auditeurs – s’ils ont entendu ! – elle consiste à le reconnaître, lui, pour ce qu’il est. Dire que Jésus est Fils, c’est aussi dire que sa parole n’est pas autre que celle du Père. Le reconnaître comme Fils de Dieu, c’est donc considérer que ce qu’il dit vient de Dieu et doit être reçu et mis en œuvre si l’on se prétend croyant, fidèle à ce Dieu-ci. La suite de l’évangile est donc bien à entendre comme parole venant de Dieu, et pas seulement « du Jésus historique », comme disent les exégètes libéraux, ni des évangélistes. La justice pour nous, c’est de recevoir par Jésus la parole de Dieu pour nous. Le reconnaître comme Fils de Dieu sans vouloir lui obéir serait à la fois un mensonge et un blasphème, et notre soi-disant repentance une hypocrisie.

 

Or, comme le disait le Pharisien de la parabole dans sa prière, les « hommes sont accapareurs, injustes, adultères » (Luc 18 / 11). Il y a donc une forte probabilité que j’en fasse partie, moi aussi ! Car la justice de Dieu a d’abord été dite dans la Torah, dans l’Ancien Testament. Or il est de notoriété publique que nous n’aimons pas Dieu par-dessus toute chose, ni notre prochain comme nous-même, aucun d’entre nous, quand bien même nous pratiquerions tout le reste – ce qui reste à démontrer. (En tout cas, je ne me fais pas d’illusion sur moi-même à ce sujet…) Nous sommes donc, tous plus ou moins, mensongers et blasphémateurs dans notre foi chrétienne, confessant Christ comme Seigneur sans lui obéir en tout temps, nous proclamant serviteurs et servantes sans servir tout le monde. Pour le dire avec les mots de la Bible, nous sommes injustes, pécheurs. Nous voulons bien recevoir le pardon de Jésus, mais pas l’entendre nous dire « désormais ne pèche plus » (Jean 8 / 11). Nous devrions trembler, comme les auditeurs du Baptiste quand il annonçait que celui qui vient « a son van à la main, il nettoiera son aire, il amassera son blé dans le grenier, mais il brûlera la paille dans un feu qui ne s’éteint pas. » (Matth. 3 / 12).

 

La suite du livre nous montre que l’Évangile ne consiste pas en ceci, tout comme Jean l’avait pressenti, sans doute à regret. On peut alors comprendre autrement la phrase de Jésus selon laquelle, dans ce baptême, ils « accomplissaient toute justice ». Ainsi cet acte par lequel Jésus se fait connaître – ou par lequel le Père le fait connaître, nous avons vu que cela revenait au même – ce baptême dans l’humilité et l’obéissance n’aboutira pas à la punition des pécheurs, mais à leur pardon. Jésus accomplit dans ce baptême, c’est-à-dire dans sa vie et dans sa mort, la demande de tous les croyants repentants, il unit dans son baptême tous ceux qui, eux, en avaient besoin, mais n’avaient rien vu venir, tel le vieux Siméon du temple de Jérusalem (Luc 2 / 29-30). Son baptême n’est plus un baptême en vue du pardon des péchés, ni pour lui qui est sans péché, ni pour les autres, pécheurs ; mais c’est un baptême qui accorde le pardon des péchés à tous les pécheurs repentants qui reconnaissent en Jésus leur justice, leur justification.

 

Nous pouvons même aller plus loin, et dire que « toute justice » signifie « la justice de tous », « toutes les justices que nos péchés ont bafouées ». Plongeant dans une eau symbole de mort, Jésus a comme noyé nos péchés avec lui, et comme il est ressorti vivant de cette eau de mort, nous en sommes ressortis justes avec lui (cf. Rom. 6 / 3-11). Le « faire ce qu’il faut » d’une compréhension banale de l’expression est ainsi devenu, en Jésus, « faire ce qu’il faut pour que tous soient sauvés » : c’est sa mort qui sera son véritable baptême, dans ce sens, et le baptême au Jourdain ne fait qu’annoncer cette merveille que je suis aimé de Dieu parce que Jésus a donné sa vie pour ça ; qu’il a accompli à ma place l’obéissance parfaite dont j’étais et dont je reste incapable ; qu’il a aimé Dieu plus que tout là où moi je ne suis capable que de m’aimer moi-même, et encore fort mal ; qu’il a servi tous les humains par sa vie, par sa mort, par sa résurrection, par l’Esprit envoyé en son nom, là où moi je ne sais pas ce que c’est que servir.

 

Retentissent alors les mots du prophète au sujet de celui sur qui la parole paternelle a été prononcée : « Il ne criera pas, Il n’élèvera pas la voix Et ne la fera pas entendre dans les rues. Il ne brisera pas le roseau broyé Et il n’éteindra pas la mèche qui faiblit ; Il révélera le droit selon la vérité. » L’humilité du Roi des rois, que nous avons vue à son baptême, vient heurter et contredire mes propres comportements. Je puis toujours dénoncer les autres, les grands, et pourquoi pas Trump et Khamenei, Martinez et Macron, Erdogan ou qui vous voulez, tous ceux qui jouissent du pouvoir qu’ils ont ou croient avoir ou revendiquent… Ils ne sont que les marionnettes de nos propres péchés, de nos propres soifs de reconnaissance. Or Jésus ne fonctionne pas comme ça… sinon je serais mort, « justement » mort. Mais Jésus s’est fait le témoin et l’acteur d’une autre justice, que le monde ne comprend pas, que le monde peut tout juste moquer quand il la reconnaît. Il n’a pas posé son fardeau sur les autres, comme les dieux païens que nos grands imitent. Il a pris sur ses épaules le fardeau de tous les autres…

 

C’est ce baptême, c’est cet acte d’amour total, qui me fait réaliser ma propre petitesse, mon propre besoin d’un pardon que je ne puis obtenir, car je ne le mérite pas – mais il m’est offert, justement, par Jésus, en lui, dans sa mort victorieuse. Dieu l’avait dit à son propos, et cette parole était pour moi, à mon bénéfice : « Moi, l’Éternel, je t’ai appelé pour la justice pour l’alliance du peuple, pour la lumière des nations, pour ouvrir les yeux des aveugles, pour faire sortir de prison le captif et de leur cachot les habitants des ténèbres. » « Toute justice » a été accomplie en Jésus, ma justice a été accomplie en Jésus, je ne dois plus rien. Et comme tout un chacun à qui sa dette est remise, je puis faire ce dont ma dette me rendait incapable, je puis dépenser à nouveau, dépenser pour Dieu et pour les autres. Éclairé, libéré, je puis en même temps marcher la tête haute et lutter à genoux, témoigner par mes actes d’un Dieu qui vient prendre la place des aveugles et des prisonniers pour leur donner sa vie et sa lumière, comme il a pris a mienne.

 

Telle est bien alors notre mission, notre témoignage. Sans faire plus de bruit que lui, manifester que j’ai été pardonné une fois pour toutes à cause de lui, et que ce pardon peut être reçu par tous, « sans argent, sans rien payer », comme le chantait ailleurs le prophète (És. 55 / 1). Car il a « accompli toute justice », il a payé pour moi ce que je ne pouvais pas payer moi-même. Ceux qui croient pouvoir payer, et qu’à cause de ça la Bible appelle des « riches » (quelque compte en banque qu’ils aient), ceux-là ne peuvent pas comprendre tant qu’ils ne perdent pas tout. Mais que ceux qui, eux, savent ne pas pouvoir payer sortent de leur angoisse ! Jésus a payé pour eux aussi, et plus personne ne viendra leur réclamer son dû : ni Dieu, ni les défunts, ni les vivants, ni les parents, ni les enfants, ni le passé, ni le présent, ni l’avenir, quoi qu’en disent les voix du monde qui hurlent à nos oreilles. Nous avons été libérés de devoir. Désormais, grâce à Christ et avec son Esprit, humblement, nous pouvons. Amen.

 

Saint-Dié  –  David Mitrani  –  12 janvier 2020

 

 

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