Évangile selon Matthieu 28 / 16-20

 

texte :  Évangile selon Matthieu 28 / 16-20

premières lectures :  Ésaïe 43 / 1-7 ; épître aux Romains 6 / 3-8

chants :  23-10 et 62-72

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Pourquoi donc parler du baptême aujourd’hui, alors que nous n’en célébrons pas ? Pour deux bonnes raisons, que nous rappellent les deux premiers textes bibliques que nous avons entendus. D’abord, Dieu nous a dit : « Je t’ai racheté, je t’ai appelé par ton nom : tu es à moi ! » Et puis Paul nous a écrit ceci : « Ignorez-vous que nous tous qui avons été baptisés en Jésus-Christ, c’est en sa mort que nous avons été baptisés ? […] Or, si nous sommes morts avec Christ, nous croyons que nous vivrons aussi avec lui. » Il faut bien sûr toujours se rappeler ces deux choses. La question n’est pas celle du baptême des enfants ou bien des seuls adultes professant leur foi. Elle n’est pas non plus celle de l’aspersion ou de l’immersion. La question est bien celle de notre rapport à la grâce de Dieu et à la croix de Jésus-Christ. En fait, la question du baptême, c’est la question de la foi chrétienne. Elle est donc d’actualité pour nous autres, chrétiens, en tout temps !

 

Mais comment se passe cette actualité ? Où se situe-t-elle ? La toute brève finale de l’évangile de Matthieu, que nous réentendons à chaque baptême célébré dans nos murs, nous donne en fait plein de renseignements là-dessus. Elle est la seule à le faire. L’évangile de Marc se termine au tombeau vide et au mutisme des premiers témoins. Celui de Luc va jusqu’à l’Ascension, qui est l’inverse de ce que montre Matthieu, et se poursuit par les Actes des Apôtres. Celui de Jean, enfin, se termine par la double évocation des nombreuses choses que Jésus a faites et de celles dont l’auteur lui-même témoigne. La finale de Matthieu est originale, et mérite qu’on s’y attarde plus que d’habitude, lorsque nous entendons simplement le rappel d’aller baptiser, lui qui figurait en grandes lettres dans le chœur de la petite église de mon quartier quand j’étais enfant et catholique. Mais d’ailleurs nous n’allons pas, nous attendons que les futurs baptisés viennent à nous ou y soient amenés…

 

Lisons donc bien ce qu’à travers Matthieu l’Esprit nous dit ce matin. Tout d’abord, comme dans les premières lectures de dimanche dernier – pour ceux qui étaient à Senones – il y a eu un ordre donné par Jésus, un ordre de mouvement, et l’obéissance des gens concernés, comme autrefois Abraham (Gen. 12 / 1-4a), comme autrefois les pêcheurs du lac de Tibériade (Luc 5 / 1-11). Cette fois-ci ce sont les Onze, les Douze moins Judas, ceux à qui les femmes au tombeau avaient transmis la consigne donnée par Jésus : « Soyez sans crainte ; allez dire à mes frères de se rendre en Galilée : c’est là qu’ils me verront. » (Matth. 28 / 10) Et ils y sont allés… C’est une condition sine qua non. Une double condition. Que Jésus donne une indication, une consigne, une destination – serait-elle provisoire comme ici. Et que nous lui obéissions. Il nous faut donc être à l’écoute de la Parole de Dieu, non pas pour une application servile de ce qui a été écrit il y a 2 000 ans, mais pour y entendre, à travers les textes bibliques, ce qu’il nous dit aujourd’hui, à chacun de nous en particulier, comme à chaque Église locale, à chaque paroisse, en particulier. Il faut donc croire que Dieu nous parle, qu’il a quelque chose à nous dire, qu’il veut nous faire bouger. Il faut vouloir l’écouter, et ensuite il faut faire. Savoir ne sert à rien si on ne réalise pas dans l’existence concrète la parole reçue.

 

Et c’est au bout de cette parole entendue et reçue, mise en œuvre, qu’une nouvelle rencontre se fait, dans laquelle la foi voit ce que peut-être nos yeux ne voient pas, et dans laquelle la foi adore son Seigneur… « mais quelques-uns eurent des doutes… » Ils n’en croient pas leurs yeux, eux qui ont cette chance – ou cette difficulté – de voir vraiment Jésus ressuscité ! Mais plutôt que de disserter sur ces gens qui sont morts il y a longtemps, même si l’Église est née à travers eux, regardons-nous nous-mêmes. Souvent nous avons des doutes. Parfois nous le déplorons, et cela nous paralyse. Ce ne sont pas nos doutes qui nous paralysent, mais le sentiment que, puisque nous doutons, nous ne sommes ni dignes ni capables de suivre Jésus. Puisque nous avons des doutes, nous ne serions pas de bons chrétiens…

 

Or ces scrupules ne nous honorent pas, contrairement à ce qu’on pourrait penser, car alors nous oublions ce qu’Ésaïe et Paul nous suggéraient, à savoir que l’initiative est à Dieu. Le « tu es à moi » retranscrit par le prophète n’était pas conditionnel. Au contraire il s’adressait à un peuple pécheur, à des croyants infidèles. C’était une parole de pardon, par laquelle tout ce qui ne dépendait pas de Dieu dans nos vies était effacé. La condition, elle est là. Aucune foi n’est possible si elle n’est pas initiée par la parole de Dieu, par la mort et la résurrection de Jésus-Christ. La foi n’est pas au bout d’un raisonnement, la foi n’est pas la conséquence d’un miracle. Elle est produite par l’appel de Dieu, par son adoption à notre égard sans aucune considération de nos mérites passés, présents ou futurs. Face à cet appel, mes doutes ne comptent pas, ils ne sont rien. D’ailleurs vous avez bien remarqué, à force d’entendre ce texte, que Jésus n’en tient effectivement aucun compte, il n’y réagit même pas ! Il ne leur dit pas « mais si, c’est bien moi », comme il le fait dans d’autres textes. Car toujours les disciples de Jésus doutent, même les apôtres, même les Onze… Le baptême suppose et entraîne la foi, il n’élimine pas les doutes : il ne s’en préoccupe pas…

 

Que fait alors Jésus ? Il leur rappelle qu’il est le Seigneur ! Pas seulement leur seigneur à eux, leur patron, leur chef de secte ! Il est le Seigneur comme on n’appelait ainsi que Dieu. Il est Dieu, et en tant que tel et en tant qu’homme ressuscité il possède la puissance créatrice de Dieu. Et tout comme Dieu dans l’Ancien Testament, il l’exerce en faveur des siens, en faveur de son peuple, en faveur de l’Église et des chrétiens, en faveur de vous et de moi. Là encore Ésaïe le dit avec la radicalité du langage prophétique : « Je donne l’Égypte pour ta rançon, l’Éthiopie et Seba à ta place… » Pas besoin de pleurer sur elles : ce n’est pas une condamnation de l’Égypte et de l’Éthiopie, c’est une parole d’amour pour le peuple de Dieu ! Nous, quand nous entendons « Seigneur », soit cela ne nous dit rien d’autre qu’un titre honorifique utilisé par habitude, soit cela renvoie à notre obéissance – sinon, qu’est-ce que c’est qu’être seigneur ?! – mais ici la nuance est autre : c’est l’affirmation que puisque c’est notre Seigneur qui est LE Seigneur, alors nous ne craignons rien.

 

Hélas cette affirmation qui parcourt pourtant toute la Bible nous est assez étrangère : c’est là que se nichent nos doutes, en fait ! Nous avons vraiment de la peine à croire que nous ne risquons plus rien parce que le Seigneur Jésus est avec nous, parce que Dieu est notre Dieu et notre Père. Nos doutes sur la résurrection, quand nous en avons, viennent aussi de là. C’est un peu ce qu’Ésaïe disait aussi : « Nous sommes depuis longtemps comme ceux que tu ne gouvernes pas, et sur qui ton nom n’est pas proclamé… Ah ! si tu déchirais les cieux et si tu descendais, les montagnes s’ébranleraient devant toi… » (És.  63 / 19) Ainsi, au baptême de Jésus les cieux ont-ils été déchirés (Matth. 3 / 16), comme le voile du Saint des saints du Temple à sa mort (Matth. 27 / 51). Comme Jésus le dit à la toute fin de la Bible, «  C’est fait ! Je suis l’Alpha et l’Oméga, le commencement et la fin. À celui qui a soif, je donnerai de la source de l’eau de la vie, gratuitement. » (Apoc. 21 / 6) Comment ? Vous ne voyez pas s’ébranler les montagnes qui sont devant vous ? « Jésus leur répondit :En vérité je vous le dis, si vous avez de la foi et si vous ne doutez pas, […] quand vous diriez à cette montagne : ‹ Ôte-toi de là et jette-toi dans la mer ›, cela se ferait.” » (Matth. 21 / 21) L’Apocalypse nous le montre comme déjà réalisé : « Une sorte de grande montagne embrasée fut jetée dans la mer. » (Apoc. 8 / 8)

 

Encore une fois, c’est Dieu qui l’a fait, et non pas notre petite foi pleine de doutes, pleine aussi d’approximations, voire d’erreurs dès que nous sortons de la Bible. Nous sommes toujours renvoyés à la grâce prévenante de Dieu : sa grâce vient d’abord, son appel vient d’abord, son pardon vient d’abord. Ce n’est pas pour rien que « le jour du Seigneur », le « dimanche », est le premier jour de la semaine : Dieu agit en premier, toujours ! Et c’est bien pour ça que nous ne craignons plus rien. Les seules montagnes qui comptaient, celles que nous ne pouvions pas franchir, celles qui nous épuisaient, celles-ci ont été jetées à la mer, crucifiées avec le Christ, disparues. Et cela que nous le voyions ou pas ! Les illusions du diable sont toujours là à nous faire croire que nous sommes esclaves quand nous sommes libres : n’est-ce pas cette liberté que montre et célèbre notre baptême ? Le diable n’y peut rien, sauf à troubler notre intelligence.

 

C’est donc bien à nous tels que la croix du Christ nous a faits, libres enfants du Dieu d’amour, que l’ordre de mission est donné, cet ordre pourtant étrange : « allez, faites de toutes les nations des disciples… », « toutes les nations » ou bien « tous les païens », puisque les Juifs, encore aujourd’hui, se servent du mot « nation », « *goy », pour désigner un non-juif, un païen. Et des païens, il y en a beaucoup parmi les autres nations, justement, mais aussi dans notre propre pays. Et si les chrétiens d’ici et d’ailleurs peuvent s’encourager, comme ils le font dans la Cévaa et avec le Défap, c’est bien pour que chacun s’occupe mieux de ses propres païens ! C’est cela, la Mission, aujourd’hui. Deux moyens nous sont donnés dans la phrase transmise par Matthieu – leurs verbes sont au participe : « les baptisant et leur enseignant à garder tout ce que je vous ai prescrit ». Dans d’autres évangiles ce sera là le rôle du Saint-Esprit, à notre égard et à travers nous à l’égard de ceux auprès de qui nous témoignerons que Jésus est notre Seigneur et notre Sauveur, et qu’il veut l’être pour eux aussi.

 

Le baptême, acte du Saint-Esprit, est donc un témoignage de foi. C’est pourquoi l’eunuque éthiopien en a fait la demande à Philippe après l’avoir entendu témoigner (Actes 8 / 35-36) ; c’est pourquoi le capitaine Corneille en a reçu le signe après avoir entendu Pierre témoigner (ibid. 10 / 44-48). Lors d’un baptême, c’est donc à nous de témoigner de Jésus. Nous nous mettons toujours au centre, et lorsque nous pensons baptême nous pensons au nôtre, au témoignage que nos parents ou nous-mêmes rendons alors devant des gens qui savent. Mais non : il faut nous décentrer, rendre à Jésus sa place à lui, au centre. Notre témoignage de chrétien est donc à rendre lors du baptême de quelqu’un d’autre – c’est aussi pourquoi nous le célébrons lors d’un culte paroissial et non dans l’intimité familiale, ce qui n’aurait pas de sens : c’est vous qui témoignez de Jésus lorsque nous baptisons quelqu’un. Il faudra vous en rappeler la prochaine fois que nous aurons cette joie !

 

De la même manière, c’est nous qui ensuite pouvons raconter, exposer, expliquer, montrer, enseigner, les paroles et les œuvres de Jésus, sa mort et sa résurrection des morts. Je dis bien « nous », et pas « moi, le pasteur ». Chacun à sa place, à son niveau, comme il peut, avec sa foi telle qu’elle est (rappelez-vous aussi : Dieu ne regarde pas vos doutes, ceux-ci ne l’empêchent pas de vous appeler et de vous envoyer). Et surtout, sans crainte. Celui qui était au début de notre foi est aussi au bout, il est même « le chemin, la vérité et la vie » (Jean 14 / 6). Et pas que pour nous : pour beaucoup d’autres vers qui il nous envoie. Sans douter ou avec nos doutes, il faut juste oser, d’autant plus facilement que Jésus est « avec [nous] tous les jours jusqu’à la fin du monde. » Et lui est plus grand que nos doutes ! Amen.

 

Saint-Dié  –  David Mitrani  –  11 juillet 2021

 

 

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