Évangile selon Matthieu 28 / 1-10

 

texte :  Évangile selon Matthieu, 28 / 1-10   (trad. : Bible à la colombe)

autre lecture :  Évangile selon Jean, 20 / 11-29

chant :  31-29 et 36-19  (Alléluia)

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Chers amis, voici 2.000 ans que nous sommes bercés par ces récits, fort différents entre eux d’ailleurs, du matin de Pâques. C’est sur le premier, que je vous ai lu tout à l’heure, que nous nous arrêterons aujourd’hui. Jeudi soir, lors du seder de la Pâque, les disciples attristés demandaient avec angoisse à Jésus, à propos de la trahison annoncée de l’un d’eux : « Pas moi ? » (Marc 14 / 19). Vendredi, au pied de la croix, il n’y en avait plus un seul, et c’est l’un des deux « malfaiteurs » crucifiés à ses côtés qui s’est montré à la fois bon disciple et bon témoin de Jésus (Luc 23 / 40-42). Ce matin, où sont-ils donc, les disciples ? Toujours pas là. Mais par contre, certaines des femmes qui « se tenaient à distance » avec eux et « regardaient ce qui se passait » vendredi (ibid., v. 49) sont maintenant au cœur du récit. Elles risquent leur liberté tout autant que les hommes, sinon qu’elles sont juridiquement mineures, et puis… qui écouterait le témoignage d’une femme ? (Luc 24 / 11)

 

Heureusement, les gardes ont plus peur qu’elles ! Pourtant, ils n’ont qu’un tombeau à garder… Qu’auraient-ils à craindre des morts ? Ils sont morts ! À l’époque, les peurs n’étaient pas celles d’un Occident païen et déchristianisé, païen parce que déchristianisé, et la télé ne montrait pas à l’envi des films de morts-vivants, vampires et autres zombies ! Aucun risque, donc, à garder une tombe pour empêcher des gens, de simples gens, d’emporter un cadavre. Contre des voleurs, la police du Temple sait faire… Rien ne les préparait à ce qui se passe alors : fureur de la terre et du ciel, venue d’un ange qui ouvre la tombe qu’ils gardaient. Ne vous y méprenez pas : il n’est pas question ici de résurrection. Comme la terre ils tremblent, et comme elle ils ne bougent plus… Leur paralysie vient-elle de Dieu ou simplement de leur peur panique ? En tout cas, c’est bien « l’ange du Seigneur » et les « effets spéciaux » autour de son apparition qui causent cette peur. On aurait bien voulu vous y voir !

 

Les femmes sont-elles plus solides que les policiers ? En tout cas, elles ne sont pas paralysées de peur, même si l’ange prend soin de leur dire de ne pas craindre, en insistant sur la différence entre elles et les gardes, et peut-être d’autres : « Quant à vous, n’ayez pas peur. » Qu’est-ce qui fait donc la différence, pour un ange, c’est-à-dire pour Dieu, entre des gardes qui savent que Jésus est mort, et des disciples femmes qui savent que Jésus est mort ? Qu’est-ce qui fait la différence entre elles et la plupart des gens du monde entier, aujourd’hui comme n’importe quand ? « Je sais que vous cherchez Jésus, le crucifié », leur dit-il. C’est donc ça ! Beaucoup de gens ne cherchent rien. Et beaucoup de gens cherchent quelque chose. Et parmi eux, beaucoup cherchent Dieu. Mais combien de gens cherchent « Jésus le crucifié » ?

 

Je ne vous invite donc pas à chercher des anges sur des tombes ni ailleurs : l’angélologie biblique n’est que manière de raconter. Une telle quête serait vouée à la vanité et à l’échec, vous vous casseriez le nez sur une pierre fermant un tombeau, une pierre qui n’aurait pas été roulée, et vous vous apercevriez alors que vous n’êtes pas dehors, vivants, mais dedans, morts… Laissons là les films d’horreur qui ne font pourtant que raconter la triste vie et les angoisses de nos contemporains. Je vous invite, ou plutôt l’ange évangéliste vous invite, nous invite, à chercher « Jésus le crucifié ». Pas le ressuscité, pas le glorieux, pas celui dont la mort n’aurait été qu’une illusion. Cette quête aussi est vaine, elle constitue toutes les religions, elle ne fait elle aussi qu’énoncer les angoisses du monde, le refus de notre finitude, de notre humanité en fait. Elle constitue aussi le fonds de commerce de toutes les Églises, y compris la nôtre, quand elles oublient leur véritable Seigneur et qu’elles se célèbrent elles-mêmes en croyant annoncer Dieu. Entendez bien : il n’est pas possible de faire l’économie de la recherche du Crucifié : c’est lui qui est notre Dieu !

 

Cette quête est insoutenable. Elle est insoutenable raisonnablement, rationnellement : qui donc voudrait d’un Dieu cloué mort sur un poteau de torture ? Lorsque vous demandez des tas de choses à Dieu, bonnes pour vous ou pour les vôtres, voire pour la planète, avez-vous bien en tête que vous vous adressez au Dieu de Jésus-Christ ? Ou bien faites-vous comme si vous priiez Jupiter ou un quelconque autre Dieu magicien ? Ne cherchez pas le Roi du ciel, vous ne le trouverez pas, et beaucoup de nos jours ont abandonné cette quête parce qu’elle est sans objet. Il faut passer par la croix, il faut passer par la tombe, il faut chercher « Jésus le crucifié ». Alors, vous entendrez un messager, quelque forme qu’il prenne, vous indiquer qu’ « il est ressuscité » et vous dire où il vous attend. Si vous recherchez l’idole de la puissance, de la santé, de la richesse, du pouvoir, même si c’est le pouvoir de bien faire, vous ne trouverez rien ni personne. Vous vous épuiserez, vous « deviendrez comme morts », comme les gardes ! Lorsque Jésus montre à ses disciples les marques des tortures sur ses mains et son côté, cela n’a pas d’autre sens que de leur signifier, et de nous signifier, que le Ressuscité n’est personne d’autre que le Crucifié. Ces marques sont indélébiles, elles le constituent. La grande peinture d’Henri Lindegaard au-dessus de la chaire de Saint-Dié ne montre pas autre chose ni quelqu’un d’autre : le Christ ressuscité porte les marques de la crucifixion, et on ne peut le reconnaître qu’à cela. La quête de l’apôtre Thomas était légitime… son manque de confiance un peu moins, certes…

 

Alors oui, parce que nous sommes à Pâques et plus au Vendredi saint, cherchez quand même, cherchez d’autant plus « Jésus le crucifié ». Recentrez votre foi et votre espérance non pas sur la gloire, mais sur la croix ; non pas sur la victoire, mais sur l’abaissement. Les luthériens ne se trompent pas en faisant de la célébration de la crucifixion la principale fête chrétienne. Certes nous ne nous trompons pas non plus en mettant Pâques en tête, mais Pâques n’a de sens qu’à cause du vendredi qui le précède. On ne fête pas une victoire en oubliant quel était le combat, car alors on se condamnerait à le revivre, et peut-être à y être vaincus… La victoire du Christ est victoire sur la mort, mais à travers la mort. C’est là, dans son abaissement et dans le nôtre, que nous pouvons le rencontrer, comme le patriarche Job le savait (Job 19 / 25-26).

 

En quelque sorte, Jésus nous y « précède ». N’est-ce pas le sens de ce que l’ange dit aux femmes ? Chers amis, que nous importe, à nous autres, la Galilée ? Si le Christ nous précède dans sa résurrection, c’est donc bien sur ce chemin de l’abaissement et de la croix : c’est là qu’est notre victoire. La recherche du Crucifié n’est pas une quête intellectuelle, théologique. C’est une quête existentielle, c’est un chemin de vie, comme nous l’avons chanté au début de ce culte, et comme ce l’était pour ces femmes qui allaient vers le tombeau. Jésus crucifié n’est plus dans la tombe, « en effet, il est ressuscité, comme il l’avait dit ». Mais il est toujours Jésus crucifié ! C’est à lui que nous pouvons nous identifier, si nous marchons sur le même chemin. Ne cherchons donc pas une autre route, une route qui nous éviterait la condition de tout un chacun, une route qui nous ferait croire à notre immortalité.

 

C’est le rêve, le fantasme, de notre société. Nous nous sommes donné les moyens techniques de ne plus être des humains, mais des machines dont on peut remplacer les pièces au fur et à mesure qu’elles s’usent… à condition d’en avoir les moyens financiers. Tant que c’était limité, difficile, rare, tout le monde trouvait ça bien. Mais aujourd’hui se pose la question du « transhumanisme » de manière concrète. Jusqu’où est-on humain, lorsqu’on considère les organes comme des pièces mécaniques, ou lorsqu’on peut maintenant faire de pièces mécaniques, de produits d’imprimantes 3D, des organes ? Où est la limite entre le confort et la déshumanisation ? Où est la limite entre la médecine et la marchandisation des corps ? On aurait pu se poser la question depuis longtemps, car cela fait longtemps que notre société a pris ce chemin. On commence seulement maintenant à réaliser. Quand des gens âgés de largement plus que 100 ans, constitués en bonne partie d’organes pris sur d’autres corps, feront l’amour avec des robots et achèteront leurs enfants fabriqués sur commande, où serons-nous… ?

 

Ne cherchez pas cela, ne cherchez pas à marcher sur cette route qui mène à la mort de l’âme, à la disparition de l’individualité, à une société d’uniformisation par perte d’identité. C’est Babel, ce n’est pas la résurrection, et la gloire de Dieu en est absente. C’est la gloire de l’homme, c’est la mort de l’homme, c’est l’enfer. Non. Suivez le Christ, tel que vous êtes. « Mourir dans la dignité », c’est mourir à la suite du Christ, ce n’est pas mourir en bonne santé ! Aujourd’hui, ce sont les chrétiens du Nigeria et du Nord Cameroun, d’Égypte, de Syrie, d’Irak, du Pakistan, c’est le père Hamel en France, et beaucoup d’autres, qui meurent ainsi, sur le chemin du Christ, sans avoir cherché cette mort. Je ne nous invite donc pas à les imiter sinon dans leur foi. Car ce chemin est accessible à tous, et ceux qui cherchent le martyre n’y sont pas les bienvenus. C’est le chemin sur lequel mon intérêt ne compte plus, mais d’abord celui des autres. C’est le chemin du double commandement d’amour, dont le sens est le renoncement à soi-même.

 

Ainsi, « chercher Jésus le crucifié », c’est le chercher là où il a vécu et où il est mort : non pas en Terre dite sainte, mais dans l’amour de Dieu et l’amour du prochain, dans la dépréoccupation de soi. La croix est l’élément ultime de ce chemin. Le tombeau prend alors un autre sens : c’est là où gît tout ce qui, en moi, s’opposait à Dieu et aux autres, c’est la prison de mon souci de moi-même qui me pourrissait la vie. C’est de ce tombeau où Dieu n’est pas que les femmes du récit évangélique « s’éloignèrent promptement, avec crainte et avec une grande joie. » Crainte pour l’inconnu peut-être désormais, crainte d’avoir à marcher sur une route qui n’existait pas auparavant, et sans les repères habituels dans lesquels nous avions l’habitude de mourir à petit feu en prenant plaisir à nous-mêmes ou bien en nous détestant quand la réalité nous résistait… Crainte, mais joie. Car notre liberté est dans cette suivance du Christ qui nous ouvre des horizons nouveaux, jusque dans la vie éternelle.

 

C’est là que nous rencontrons Jésus ressuscité. Si nous avons écouté l’ange, le messager, le récit biblique, alors nous n’avons pas encore rencontré le Christ, mais le message reçu nous porte, et il nous porte à le transmettre. C’est alors que Jésus ressuscité se montre, « vient à [notre] rencontre ». Il ne porte pas un nouveau message, différent. Non : il est le message. Le message chrétien n’est pas que Jésus est ressuscité, ce qui est incompréhensible pour quiconque n’est pas chrétien. Le message chrétien, c’est Jésus ressuscité. Il est, lui, la bonne nouvelle que nous avons à annoncer – à condition d’en vivre déjà nous-mêmes. Il est, lui, le chemin à montrer – à condition que nous y marchions nous-mêmes. Comment montrer sinon un chemin que les gens ne voient pas ? Montrez où vous posez vos pieds : en Jésus, sur le chemin de la croix, sur le chemin de la victoire par l’abaissement, sur le chemin de la réalisation de soi par l’oubli de soi et la confiance en Dieu. Dites-le-leur : « c’est là qu’ils verront » Dieu, en Jésus-Christ crucifié. Amen.

 

Raon-l’Étape (Pâques)  –  David Mitrani  –  16 avril 2017

 

 

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