Évangile selon Matthieu 24 / 1-14

 

texte :  Évangile selon Matthieu, 24 / 1-14   (trad. : Bible à la colombe)

première lecture :  Ésaïe, 63 / 15 – 64 / 3

chants :  31-10 et 31-24  (Alléluia)

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Sommes-nous, chers amis, comme les disciples de Jésus qui, au lieu d’être centrés sur leur Maître, préféraient contempler les constructions de leurs ancêtres ? Sommes-nous comme ce que refusait Ésaïe, disant : « Ce n’est pas Abraham qui nous a connus, ce n’est pas Israël qui nous a distingués » ? Au début de cette 500e année de protestantisme – même si, ici, il est plus récent, encore que les comtes de Salm étaient protestants au XVIe siècle – ne risquons-nous pas d’être plus tournés vers nos temples que nous chérissons et vers nos Réformateurs que nous ne connaissons pas si bien, plutôt que vers le Seigneur Jésus-Christ ? Bien souvent nous sommes en tout cas tournés vers notre petite Église, et si nous n’en admirons plus tellement l’état aujourd’hui mal en point, nous le déplorons comme si c’était là ce qui était le plus important…

 

Les premiers versets de l’extrait de Matthieu que je vous ai lu essaient d’opérer un déplacement, y compris physiquement : il s’agit de passer du Mont du Temple au Mont des Oliviers qui lui fait face de l’autre côté du ravin. Il s’agit de passer de nos propres constructions, de nos temples, de nos communautés, bref : de notre religion, à la personne de Jésus elle-même. Le reste peut tomber, le reste va tomber ! Les Réformateurs ne reconnaîtraient ni l’Église ni le monde d’aujourd’hui, et ceux qui ont construit cette maison (ancienne synagogue) ne pensaient guère à celui qui pourtant revendiquait d’être leur Messie. Mais ce déplacement fait mal. Notre temple, notre religion, nos traditions d’Église, nous sécurisent, dans un monde où tout passe… Mais n’est-ce pas aussi pour ça que peu de gens nouveaux, peu de jeunes, viennent vers nous ? Si nous nous définissons par notre religion, alors ce n’est pas par la leur, qui est forcément différente, puisqu’ils sont différents de nous – et nous le sommes d’eux !

 

Déplacement donc, abandon ou à tout le moins relativisation de la manière dont nous vivons notre foi. Et cela afin d’une part d’être plus proches du Seigneur non pas tel que nous le voyons mais tels que lui nous voit, et d’autre part d’être plus proches de ceux qui, peut-être, attendent de nous un témoignage dans leur propre langue (cf. Actes 2 / 8-11) et pas dans celle que nous parlons entre nous. Déplacement douloureux, et risqué ! Là où les disciples, à défaut de Temple, voulaient de nouvelles certitudes, de nouvelles sécurités – « Dis-nous quand cela arrivera-t-il et quel sera le signe de ton avènement et de la fin du monde ? » – Jésus, lui, souligne les risques du déplacement qu’il tente de leur mettre sous les yeux.

 

Mais les risques dont il est question ne tiennent pas à Jésus, mais justement à la recherche de certitudes par les disciples. Libérés du Temple, ils risquent de courir après des hommes. Libérés de l’institution, ils risquent de se chercher des gourous. Nous autres protestants courons plus ce risque que les catholiques – mais c’est parce qu’ils ont recréé de l’institution, au point qu’il a fallu la Réforme pour tâcher de s’en libérer de nouveau. Toujours est-il qu’avoir comme Seigneur un crucifié n’aide pas à se sentir en sécurité à la manière du monde : c’est pour ça que nous nous cherchons bien souvent d’autres sécurités. Mais Jésus nous dit ce matin que ces sécurités : hommes, temples, Églises, certitudes, sont illusoires et même dangereuses, car elles éloignent de lui. Elles sont séduisantes, certes, mais Jésus nous les montre plutôt comme séductrices !

 

Faut-il alors s’enfuir dans les angoisses et les fantasmes qui sont ceux de toutes les idéologies religieuses ou non ? Le Jugement dernier, la fin du monde, le Grand soir et les lendemains qui chantent, etc. Le monde va mal, mais c’est de tout temps. Ce qui est particulier pour nous à certaines époques, c’est lorsque ce mal séculier nous atteint, nous, dans notre propre pays, dans nos sécurités politiques, économiques, financières, culturelles. Nos politiques nous l’ont dit sans y croire vraiment : nous sommes en guerre. Le texte de ce matin nous le redit… depuis 2.000 ans ! La vision des prophètes Michée et Ésaïe est sans cesse contredite par la réalité présente : « une nation ne lèvera plus l’épée contre une nation » (És. 2 / 4 ; Mi. 4 / 3). Au contraire donc, « une nation s’élèvera contre une nation », et même, rien ne dit que c’en sera une autre : guerre étrangère ou guerre civile, le monde est plongé dans l’autodestruction du fait de ses propres œuvres qui ne sont pas faites en Dieu.

 

Alors, dé-sécurisés, nous avons peur. Nous aspirons à ce que tout cela s’arrête. Et puisque le retour au passé n’est jamais possible, alors vivement qu’un futur harmonieux advienne ! Mais Jésus nous met en garde contre des espérances trop humaines. D’ailleurs, si lui a dû passer par le rejet des siens et la mort, cela nous serait-il épargné à nous autres, chrétiens ? « Le serviteur n’est pas plus grand que son maître » (Jean 15 / 20). La situation actuelle du christianisme en France ressemble beaucoup à un tel rejet, même si la persécution se présente rarement comme telle. Les agressions législatives et réglementaires se multiplient contre l’expression de notre foi et de nos convictions, que ce soit dans le domaine public, dans l’éthique personnelle et familiale, et jusqu’aux enterrements maintenant ! Sans compter la concurrence d’autres religions, attractives auprès des jeunes des quartiers dits défavorisés… Tel est le monde, le nôtre.

 

Mais c’est là que nous sommes appelés à vivre en disciples de Jésus-Christ, et pas ailleurs. Et pas non plus à vivre autre chose ! Les rêves de salut ou de fuite ne sont pas pour nous, mais bien plutôt de garder les yeux ouverts pour témoigner de la victoire du Christ sur la mort, voilà notre travail et notre raison d’être. La mise en garde du Seigneur se poursuit, vous l’avez entendue. Après la tentation des sécurités humaines, puis la persécution, vient la tentation du « refroidissement ». Attendre jusqu’à la fin, ou jusqu’à notre mort, sans plus rien faire, sans plus témoigner, sans vraie foi, sans espérance, et – ce que dénonce Jésus – sans amour. Se contenter d’avoir des croyances chrétiennes, mais n’en rien faire, ne pas les réaliser dans notre propre vie ni dans aucun témoignage. En fait, être déjà morts…

 

Bien sûr, la mise en garde de Jésus à ses disciples n’a pas pour but de les décourager, au contraire. Car le crucifié est ressuscité ! C’est donc un encouragement à tenir bon, à faire confiance – non pas, encore une fois, à nos bâtiments, nos traditions, notre religion, mais à Jésus lui-même et à la puissance de vie qu’il nous a offerte. Comme il le dit dans le texte parallèle de Luc, dans le verset qui a ouvert notre culte ce matin : « Redressez-vous et relevez la tête, car votre délivrance approche. » (Luc 21 / 28) Aussi « celui qui persévérera jusqu’à la fin sera sauvé ». En résumé, « ne vous faites pas avoir, tenez bon ! » Aimez malgré ceux qui haïssent et qui détruisent. Pardonnez malgré ceux qui ne le méritent pas. Faites confiance malgré ce que vos yeux voient et malgré ce que vos sens comprennent. Ne craignez pas la mort, mais aimez la vie éternelle. Ne craignez pas même la mort qui attaque vos bâtiments, vos traditions, votre religion !

 

Comme l’écrivait saint Paul, « Je suis crucifié avec Christ, et ce n’est plus moi qui vis, c’est Christ, qui vit en moi ; je vis ma vie présente dans la chair dans la foi au Fils de Dieu, qui m’a aimé et qui s’est livré lui-même pour moi. » (Gal. 2 / 20) C’est difficile à concevoir, certes, que de vivre pleinement dans ce monde sans pour autant être du monde, c’est pour cela que Jésus avait prié le Père qu’il nous « garde du Malin » (Jean 17 / 15). Pleinement vivre ce que tout le monde vit, sans excès mais sans honte. Et en même temps profiter de la vie nouvelle que nous avons en Jésus-Christ, et qui, elle, n’est soumise ni à la peur, ni au péché, ni à la mort, contrairement à tous les autres aspects de notre existence. C’est aussi ce que l’apôtre Paul écrivait ailleurs : « Voici ce que je dis, frères : le temps est court ; désormais que ceux qui ont une femme soient comme s’ils n’en avaient pas, ceux qui pleurent comme s’ils ne pleuraient pas, ceux qui se réjouissent comme s’ils ne se réjouissaient pas, ceux qui achètent comme s’ils ne possédaient pas, et ceux qui usent du monde comme s’ils n’en usaient réellement pas, car la figure de ce monde passe. Or je voudrais que vous soyez sans inquiétude. » (1 Cor. 7 / 29-32a)

 

Chers amis, il nous faut donc vraiment chercher à nous extraire non pas du monde, mais de ses tentations, de ses angoisses, de ses espoirs, de ses victoires et de ses défaites. Nous avons à nous libérer de tout ce qui nous mène à la mort, et nous avons reçu le Saint-Esprit pour ce faire, car sans lui nous serions sans force, sans espoir d’y arriver ne serait-ce qu’en petite part. Mais notre salut nous est offert, en Christ, et non pas à cause de nous mais à cause de lui. « Cette bonne nouvelle du royaume sera prêchée dans le monde entier, pour servir de témoignage à toutes les nations. Alors viendra la fin. » Encore une fois c’est de témoignage qu’il est question. Si nous sommes placés là où nous sommes, quels que soient les aléas de notre existence et quels que soient les soubresauts du péché dans notre existence, c’est pour rendre témoignage non pas de notre religion, mais de la seigneurie du Christ et de sa victoire.

 

Les chrétiens ne peuvent y être qu’ensemble à travers leurs différentes Églises, mais aussi à travers leurs différentes conceptions, leurs différentes piétés, leurs différentes éthiques, etc. Toutes ces maisons-là sont vouées à disparaître, aujourd’hui ou un autre jour, tout comme nos temples. Car la seule définition d’un chrétien, comme ce nom l’indique, c’est le Christ. Et le Christ Jésus, celui qui est mort et ressuscité, pas un autre christ, un autre chef, un autre inspirateur. « Le salut ne se trouve en aucun autre ; car il n’y a sous le ciel aucun autre nom donné parmi les hommes, par lequel nous devions être sauvés. » (Actes 4 / 12) C’est aussi pour cela qu’il n’y a pas de « saints » en protestantisme : pour éviter de suivre les serviteurs au lieu de suivre le Maître, quelle que fût la qualité desdits serviteurs. « Un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême, un seul Dieu et Père de tous, qui est au-dessus de tous, parmi tous et en tous. Mais à chacun de nous la grâce a été donnée selon la mesure du don de Christ. » (Éph. 4 / 5-7)

 

Ne nous inquiétons donc pas de quand « viendra la fin », ce n’est pas de notre ressort, et de toute façon cela ne nous concerne plus, cela ne concerne que le monde. En attendant, pour le monde, il y a besoin de notre témoignage, il y a besoin que nous montrions notre attachement non pas à nos formes religieuses, mais à celui qui a donné sa vie pour nous, pour chacun de nous. « Le temps est court », n’attendons pas demain, ne remettons pas à demain… C’est aujourd’hui que nous pouvons « relever la tête » et chanter notre foi, par nos mots et par nos gestes, devant nos proches et nos voisins, devant nos amis et nos ennemis. Car de tout cela nous sommes libres, en Christ, et pour toujours. Amen.

 

Senones  –  David Mitrani  –  4 décembre 2016

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