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Évangile selon Marc 9 / 14-29
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texte : Évangile selon Marc, 9 / 14-29 (trad. : Nouvelle Bible Segond)
premières lectures : Ésaïe, 49 / 1-6 ; épître aux Romains, 10 / 9-18
chants : 628 et 748 (Arc-en-ciel)
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« Cette espèce-là ne peut sortir que par la prière. » Voilà pour tous ceux qui croient de manière païenne que la foi entraîne une sorte de magie, et qu’il suffit d’exhiber le nom de Jésus pour que « ça marche ». Mais de ceux-là il n’y en a guère dans une Église comme la nôtre, nous aurions plutôt le défaut inverse… Non, c’est dans le monde qu’on entend des phrases du style « si Dieu existait… » etc. Peut-être les disciples que Jésus avait laissés en bas de la montagne, sans lui, pensaient-ils que de se référer à lui suffirait pour guérir cet enfant animé par un autre esprit que le sien, un esprit de non-parole, un esprit de mort ? En tout cas, ça ne l’a pas fait ! Lorsque Jésus redescend de la montagne sur laquelle il a été transfiguré aux yeux de ses trois compagnons, en bas on discute ferme. On discute peut-être de lui, mais sans lui… Et c’est la surprise et l’émotion quand il apparaît : comment ! Jésus n’est pas qu’un nom, une formule magique, une croyance religieuse ? Il existe vraiment ? On peut lui parler, le toucher ; il peut nous parler, nous toucher ?! Incroyable, non ?
Ce qui est étonnant, c’est qu’on a l’impression, en lisant ce texte, que les disciples sont absents : il y a débat entre la foule et les scribes, et étrangement ceux à qui on avait demandé la guérison de l’enfant ne sont pas cités. Sont-ils donc eux aussi possédés par un esprit muet ?… N’est-ce pas à eux pourtant que Jésus s’adresse en disant : « Génération sans foi, jusqu’à quand serai-je avec vous ? Jusqu’à quand vous supporterai-je ? » Ce n’est sûrement pas au pauvre homme qu’il s’adresse ainsi, à celui qui cherche la guérison de son fils sans la trouver, et qui l’a amené à Jésus, sans le trouver lui non plus. Il a bien trouvé l’Église, mais pas le Seigneur. Il a bien trouvé des chrétiens, mais qui ne savent ni quoi dire ni quoi faire. Ils ne font que souligner l’absence de celui qui pourrait… mais eux ne peuvent pas ! Alors : ils ne servent à rien ? C’est sans doute pour ça que c’est avec les scribes que débat la foule : eux, normalement, servent à quelque chose ! Mais on imagine bien leur discours à eux, qu’on retrouve tellement souvent dans d’autres récits : « s’il est ainsi, c’est qu’il a péché, ou bien ses parents » (Jean 9 / 2), « si un esprit le possède, c’est qu’il l’a cherché, ou qu’il a été ensorcelé par quelqu’un d’autre », etc.
Bref, un discours habituel de démonologie ou de sorcellerie. Et ça, ça donne une explication, mais ça n’aide pas. Or, l’homme et son fils n’ont pas besoin d’une explication, ils ont besoin qu’on les aide. C’est pour ça que le père a amené son fils à Jésus ! Et là, la confrontation est violente, l’esprit se débat – il ne débat pas, il se débat ! – dès qu’il est en présence de Jésus. Car tout le récit tourne bien autour de la présence ou de l’absence du Seigneur… Je sais bien que plusieurs vont chercher quand même des explications plus scientifiques, sur le mal-être que le texte cache sous le mot « esprit ». Mais transposer le discours démonologique en discours psychanalytique ne change rien à la réalité de ce que vit le garçon, et cela seul importe. Vous pourrez trouver toutes les causes à la misère des pauvres gens, aux maladies qui frappent tout le monde, aux suicides des jeunes et des vieilles gens, à tout ce qui bouleverse tant de vies, ça ne changera rien. Le diagnostic est important pour les médecins, mais ce qui importe aux gens, c’est leur guérison. Dites à quelqu’un : « voilà ce que tu as, et je n’y peux rien », ça va lui faire une belle jambe !
Peut-être les disciples de Jésus s’y sont-ils essayés, après tout. Ils n’ont pas forcément tenté un exorcisme… Nous n’en savons rien. Nous savons seulement que ce qu’ils ont fait et rien, c’est pareil. Et là, nous qui sommes comme eux, nous en prenons plein la figure. À quoi servons-nous si nous sommes incapables de manifester la puissance du Christ, la puissance de sa résurrection, au bénéfice des gens ? De quoi sommes-nous témoins ? D’une doctrine qui est juste ? Oui, elle est juste – enfin… parfois ! – mais une doctrine même juste ne sert à rien. La parole de Dieu est performative, elle accomplit ce qu’elle énonce en l’énonçant ; elle agit par elle-même. Notre parole à nous est faible, elle est velléitaire, elle procrastine : elle annonce et ne fait pas, même le lendemain ou le surlendemain… Certes nous ne sommes pas le Christ, nous ne sommes pas là pour ça, mais nous sommes là pour renvoyer vers lui. Nous sommes là pour dire : « [il] vient bientôt » (Apoc. 22 / 20).
Nous sommes là pour lui amener les gens. Il nous faut donc éviter les deux écueils : nous prendre pour lui mais n’arriver à rien – comme dans notre texte – ou bien à l’inverse penser que nous n’avons pas à intervenir entre les gens et Dieu – et c’est plus souvent ce que nous faisons. Le seul chrétien conséquent, dans cette histoire, c’est le père de l’enfant, qui a suffisamment cru en Jésus pour lui amener son fils afin que Jésus le guérisse. Et le seul autre acteur de cette histoire qui a compris que ça devait se passer ainsi, c’est l’esprit qui cherchait la mort de l’enfant, et qui voit arriver la sienne ! Mais sur ce qu’a pensé cet esprit – si tant est qu’un tel esprit pense – je n’ai rien à dire, non plus que notre texte. Car l’important se passe désormais entre Jésus, le père et l’enfant. Et les autres ne sont que spectateurs, que ce soit la foule, les scribes ou les disciples de Jésus, et même l’esprit à qui on ne demande pas son avis.
Entre Jésus et le père – puisque l’enfant n’est pas en état de répondre, c’est bien ça son problème – il y a cet étrange dialogue, où le sujet du verbe « pouvoir » change en cours de route. Le père dit à Jésus : « si tu peux », phrase que Jésus reprend pour rajouter « tout est possible pour celui qui croit ». Et le père comprend à ce moment-là que ce « tout est possible » le concerne lui, et non pas Jésus. C’est alors qu’il répond « je crois ! » afin justement que tout devienne possible pour lui. Car pour Jésus, bien sûr, tout lui est possible, même l’inimaginable, comme : abandonner toute possibilité, se rendre impuissant face à l’adversité, jusqu’à mourir dans la promesse de la résurrection. Mais en attendant, le « si tu peux » adressé à Jésus est devenu un « si tu crois » adressé au père de l’enfant. C’est ce que l’apôtre Paul écrivait aux Romains…
Du même coup, le « secours » sollicité de Jésus, l’aide demandée à Dieu, ne concerne plus d’abord la délivrance de l’enfant, mais la foi de son père : « viens au secours de mon manque de foi » a remplacé, ou plutôt précisé, le « viens à notre secours » du début du dialogue. On a dans cet échange entre Jésus et cet homme un résumé saisissant de ce qu’est la prière. Certes l’orant s’approche du Seigneur avec ses propres demandes, mais c’est Jésus qui entame un dialogue sérieux, et finalement le contenu de la prière n’est plus telle ou telle demande, mais concerne la foi elle-même, la foi de celui qui prie, afin que par cette foi augmentée, ragaillardie, renouvelée, l’impossible devienne possible. Quand l’homme prie ainsi, alors Jésus peut agir, non pas comme un guérisseur, mais comme le Seigneur qui a autorité : « c’est moi qui te l’ordonne », dit-il à l’esprit avant de l’expulser. Voilà donc ce que nos Réformateurs, à la suite de saint Paul, ont appelé « la justification par la foi seulement » – le « sola fide » : ce n’est pas la foi du croyant qui fait advenir le salut, mais elle est le moyen pour que ce salut, œuvre de Christ, nous touche et nous transforme.
« L’enfant devint comme mort, de sorte que la multitude le disait mort. » Ainsi sommes-nous peut-être aux yeux du monde, lorsqu’il se rend compte que nous sommes chrétiens : morts aux enjeux du monde, donc morts tout court. Le monde est incapable de voir, de sentir, la résurrection lorsqu’elle est à l’œuvre dans la vie de quelqu’un, ou dans les relations entre plusieurs. Peut-être, après tout, le malentendu du début de l’histoire tient-il aussi à cela : les gens s’attendaient à ce que les disciples se posent en héros guérisseurs ; mais ça, c’est le monde, et les gens ont été déçus de ces chrétiens qui ont refusé de se mettre en avant. Peut-être… Il n’est que de voir combien notre affirmation de la résurrection de Jésus fait rigoler le monde : « la multitude le disait mort », donc il est mort, point. Dans le monde, il y a ceux qui pensent que « les meilleurs » ont raison, et ceux qui pensent que « la multitude » a raison. Excusez-moi, je ne penche d’aucun des deux côtés ! Les « meilleurs » ont « crucifié le Seigneur de gloire » (1 Cor. 2 / 8), et « la multitude » les y a encouragés. Quant aux régimes politiques qui se réclament de l’une ou de l’autre légitimité, tout montre qu’ils ne sont pas crédibles. D’ailleurs, qu’ils utilisent la religion ou qu’ils la méprisent, ils n’amènent personne à Jésus ni pour la foi ni pour la guérison, trop fiers d’eux-mêmes pour vouloir une autre transcendance.
Le monde donc a décidé que l’enfant était mort, et que Jésus était mort. Mais nous savons que Jésus, « saisissant [l’enfant] par la main, le réveilla, et il se releva. » Et nous savons que Jésus est ressuscité, comme nous traduisons ordinairement les verbes qui sont ici traduits par « réveiller » et « relever ». Mais ce n’est pas ce que nous savons qui nous sauve et nous guérit, c’est Jésus lui-même. Et nous avons besoin de lui pour que notre foi en lui grandisse. Nous avons besoin de le prier qu’il « vienne au secours de notre manque de foi ». Nous avons besoin qu’il chasse les esprits nombreux qui nous empêchent de parler de lui et qui nous empêchent de vivre selon Dieu, ces esprits qui hantent notre positionnement social, notre sexualité et notre conjugalité, notre rapport à l’argent et à la propriété, notre rapport à notre propre corps et à celui des autres, notre rapport au symbolique et à l’imaginaire, à travers internet ou d’autres media, à travers la politique et la religion… et tant d’autres esprits encore.
Mais « cette espèce-là ne peut sortir que par la prière. » Nous ne pouvons être guéris par Jésus qu’en le rencontrant, lui, et en reconnaissant devant lui combien nous avons besoin de lui. C’est ça la prière, c’est ça la foi. Quelque part, la dernière phrase de Jésus remet les disciples devant ce qui leur a manqué : ils se sont passés de Jésus, alors qu’ils ont besoin de lui. Comment dire aux autres qu’ils ont besoin de Jésus, si nous-mêmes, sous prétexte que nous sommes ses disciples, nous pensons ne pas avoir besoin de lui ? Une Église chrétienne, une famille chrétienne, un individu chrétien, ne peuvent pas se passer de leur Seigneur. Sans lui, nos prières de demande n’ont pas de sens et ne peuvent donc pas être exaucées – par qui le seraient-elles alors ?! Elles le sont en lui – en lui, par lui, l’enfant est libéré ; par lui, en lui, l’enfant est ressuscité. Alors, si le monde vous croit mort, ou bien lorsque vous-mêmes vous vous pensez morts ou abattus, laissez-vous toucher par Jésus, laissez-le vous « saisir par la main » et vous « relever ». C’est ça aussi, la prière : s’en remettre à lui. « Sans [lui], [nous] ne pouvons rien faire ! » (Jean 15 / 5) Amen.
Saint-Dié – David Mitrani – 8 octobre 2017