Évangile selon Marc 3 / 13-35

 

texte :  Évangile selon Marc 3 / 13-35

première lecture :  Lévitique 19 (extraits)

chants :  45-01 et 44-08

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« Quiconque fait la volonté de Dieu, celui-là est mon frère, ma sœur et ma mère. » Ainsi parla Jésus ce jour où sa famille avait tenté de le récupérer pour le mettre à l’abri de sa propre folie, comme ils le pensaient alors. Mais qu’est-ce que la volonté de Dieu ? Eh bien nous la connaissons, évidemment. Nous connaissons les « Dix paroles » qui furent gravées sur des tables de pierre, au Sinaï il y a bien longtemps, et que nous appelons « les Dix commandements ». Vous connaissez aussi sans doute ces versets du Lévitique que je vous ai relus il y a quelques minutes, dans la traduction qui figurait dans notre ancienne liturgie. Ce dernier texte a le mérite de résonner bizarrement à nos oreilles, évoquant des choses que nous n’oserions faire – en public – mais qui sont pourtant très à la mode : rappelez-vous le soi-disant « Salon de la spiritualité et du bien-être » à Senones il y a quinze jours, écoutez les nouvelles pour savoir comment certaines gens très haut placées ont triché avec le fisc pour des sommes colossales, écoutez les mêmes nouvelles pour savoir comment la justice peut pencher à droite ou à gauche et, selon l’époque ou le sujet, punir plus fortement les riches ou plus fortement les pauvres. Quant aux derniers versets cités, ils nous bousculent tous d’une manière ou d’une autre : « Ne va pas colportant le mal autour de toi. Ne te venge pas, ne garde pas rancune. Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Je suis le Seigneur. »

 

Oui, nous connaissons cet aspect-là de la volonté de Dieu, et ce rappel des commandements nous accuse. Car qui les met vraiment en pratique ? Relisez le début de l’épître aux Romains, qui fait ce terrible constat : « le commandement qui mène à la vie se trouva pour moi mener à la mort. » (Rom. 7 / 10) Sans doute la plupart d’entre nous ne sont-ils pas assassins ni truands et n’allez-vous pas consulter les morts – autant que je sache… Mais qui donc ici aime Dieu par-dessus tout, et son prochain comme lui-même, vraiment ? Alors bien sûr, il arrive que nous pratiquions les commandements les plus éthiques, respectant les gens qui ne nous embêtent pas, nous souciant des plus petits que nous. Et, certes, c’est bien. Pratiquer ces commandements, c’est bien. Mais est-ce là la volonté de Dieu, celle dont parle Jésus dans le texte de ce matin ? Pour le savoir, ce n’est pas dans notre sentiment sur la question qu’il faut trouver la réponse, mais, comme toujours, dans le texte lui-même, et dans les résonances dans le Nouveau Testament de cette expression : « volonté de Dieu ». Alors, peut-être ne passerons-nous pas à côté non pas de la morale, mais de l’Évangile…

 

Et c’est pour cela que j’ai « rallongé » le texte du jour, à partir du verset 13 et pas seulement à partir du verset 31, quand la famille de Jésus l’envoie chercher. C’est que, tout au début de l’extrait que je vous ai lu, il y a déjà un indice fort, lorsque Jésus institue les Douze. « Il appela ceux qu’il voulut et ils vinrent à lui. Il en établit douze pour les avoir avec lui et pour les envoyer prêcher… » Le mouvement est clairement centripète dans un premier temps, et c’est Jésus qui est le centre : « il appela », « ils vinrent à lui », « pour les avoir avec lui ». C’est le même mouvement qu’on retrouvera à la fin : « la foule était assise autour de lui. » Dans un second temps le mouvement est centrifuge, mais c’est toujours Jésus le centre : « pour les envoyer prêcher ». Il fallait bien qu’ils vinssent vers lui avant que d’aller prêcher, car c’est lui qui est le sujet de la prédication évangélique. Les chrétiens ne prêchent pas la Loi comme moyen de salut, ils prêchent Jésus comme moyen de salut, Jésus qui est « le chemin, la vérité et la vie » (Jean 14 / 6) Il faut donc aller vers lui et partir de lui.

 

S’ensuit toute une discussion sur la division. L’argumentation est logique, pas spécialement évangélique. « Si une maison est divisée contre elle-même, cette maison ne peut subsister. » Chacun de nous peut l’éprouver dans sa propre famille, parfois dans sa propre Église – Dieu nous en préserve ! – ou dans toute association ou organisme, et évidemment jusque dans notre pays ou dans l’Union européenne. Lorsque celle-ci n’arrive pas à parler d’une seule voix, ses concurrents rigolent : les Musulmans, les Américains, les Chinois, etc. De même à d’autres échelons : lorsque ma propre famille est divisée, alors elle n’existe plus, et ceux qui avaient intérêt à son affaiblissement sont ravis… Bien sûr, Jésus en parle à propos du Satan et de ses œuvres de mensonge et de possession, en réponse à une provocation des scribes. Mais le raisonnement est valable pour tous, y compris… eh bien : pour sa propre famille ! Car ce à quoi on assiste dans tout ce passage, c’est bien pour Jésus le passage d’une famille à une autre, et ce passage, c’est lui-même qui l’a orchestré. Sa nouvelle famille commence avec l’établissement des Douze, et se poursuit par une maison remplie de la foule venue l’écouter, maison dans laquelle « sa mère et ses frères » n’ont pas leur place. (Ils la rejoindront après l’Ascension pour attendre ensemble le Saint-Esprit. Mais ce n’est pas le sujet aujourd’hui.)

 

Quant à la question du « blasphème contre le Saint-Esprit », c’est, en fait, la question de ce qui anime Jésus. L’évangéliste le précise : « C’était parce qu’ils disaient : “Un esprit impur est en lui”. » Là encore, qu’est-ce qui est au centre du débat ? Jésus, Jésus lui-même. Est-il le fils de ses parents, le frère de ses frères et sœurs, un simple membre de sa famille humaine ? Ou alors est-il possédé, mégalomane, mythomane, blasphémateur lui-même ? Les responsables de son peuple l’en accuseront jusqu’à la fin et le feront condamner pour ça… Mais ici c’est sa famille elle-même qui le pense ou au moins qui le craint. Non, dit le texte. Ce qui l’anime, c’est le Saint-Esprit, et Jésus est le centre et la définition d’une nouvelle famille, qui est l’Église, l’assemblée de ceux qui écoutent sa parole et qui s’en nourrissent. C’est ce qui se donne à voir, ce que Jésus donne à voir, à la fin du texte. Ces gens, cette foule, est « assise autour de lui ». Le texte ne nous dit pas qu’ils sont d’ardents zélateurs de la Loi de Moïse, ni qu’ils sont en train d’aimer leur prochain. Mais pour eux, c’est Jésus qui est au centre. Il y a ceux qui « sont dehors et qui [le] cherchent », et « ceux qui [sont] assis tout autour de lui ». Ceux qui cherchent Jésus pour des raisons qui leur appartiennent – et qui ne le trouvent pas, qui ne s’approchent pas de lui – et ceux qui l’ont trouvé et qui sont rassemblées autour de lui.

 

Et « les scribes qui étaient descendus de Jérusalem » ? Dans tout ça, ils ont disparu de la scène. Spécialistes de la Bible, spécialistes de la Loi… Les commandements de Dieu auraient-ils disparu avec eux ? Bien sûr que non. Mais ils n’interviennent pas pour définir la nouvelle famille de Jésus, l’Église. L’Église serait-elle l’assemblée de ceux qui pratiquent les commandements ? Quant à moi je n’y serais pas, mes péchés m’en excluraient. Et je pense que je ne serais pas le seul à me retrouver dehors ! Dans ce sens, l’Église n’est pas Israël : les chrétiens ne sont pas sauvés par leurs œuvres, ni condamnés à cause d’elles, même s’ils sont condamnables à cause d’elles. Les œuvres du chrétien, l’observance des commandements, ce n’est simplement pas le sujet. À la fin du texte, quand Jésus parle de ceux qui sont là en disant : « quiconque fait la volonté de Dieu », il ne parle donc pas des commandements puisqu’il n’en est pas question. Quelle est alors « la volonté de Dieu » dont il parle dans ce texte ?

 

Dans un autre passage, rappelez-vous de ce que dit Jésus : « Tous ceux que le Père me donne viendront à moi, et je ne mettrai pas dehors celui qui vient à moi ; car je suis descendu du ciel pour faire, non ma volonté, mais la volonté de celui qui m’a envoyé. Or, la volonté de celui qui m’a envoyé, c’est que je ne perde rien de tout ce qu’il m’a donné, mais que je le ressuscite au dernier jour. La volonté de mon Père, c’est que quiconque voit le Fils et croit en lui ait la vie éternelle ; et je le ressusciterai au dernier jour. » (Jean 6 / 37-40) Pour le dire autrement, la volonté de Dieu ne consiste pas en ce que des gens observent ses commandements, mais en ce que des gens « croient en [Jésus et] aient la vie éternelle ». Dieu ne veut pas des esclaves obéissants, il veut des fils et des filles. Dieu ne veut pas des gens qui témoignent de lui en se référant à leur propre obéissance, car alors ils ne témoignent que d’eux-mêmes. Il veut des gens qui témoignent de lui à partir de ce que Jésus a fait pour eux, des gens qui témoignent de Jésus comme sauveur, comme celui qui leur donne la vie éternelle.

 

Ainsi, lorsque vous vous demandez ce que Dieu veut que vous fassiez, n’allez pas consulter la liste des commandements, que ce soit dans l’Exode, le Lévitique ou le Deutéronome. N’allez pas consulter la morale dominante ni aucune morale alternative, qu’elles se baptisent chrétiennes ou pas – la morale n’a jamais fait le chrétien, et des tas de gens qui ne le sont pas essayent de vivre la meilleure morale possible, ça n’en fait pas des chrétiens : « chrétien sans le savoir » est une ineptie… Non. La « volonté de Dieu », c’est que vous vous tourniez vers Jésus et le preniez – et le gardiez – comme le centre de votre vie, allant vers lui et partant de lui pour témoigner et servir (alors seulement les commandements peuvent vous être d’une certaine utilité, pour savoir comment témoigner et servir…). « Promenant les regards sur ceux qui étaient assis tout autour de lui, il dit : “Voici ma mère et mes frères. Quiconque fait la volonté de Dieu, celui-là est mon frère, ma sœur et ma mère.” » Au lieu de chercher à faire comme Marthe, encore une fois soyez comme « Marie, qui s’assit aux pieds du Seigneur, et qui écoutait sa parole. » (Luc 10 / 39)

 

Pourtant non : nous, nous cherchons Jésus, nous le cherchons dans le monde, nous le cherchons dans l’air du temps, nous le cherchons dans ce que nous savons ou croyons savoir de lui. Nous sommes sa famille, après tout. Nous restons dehors. Nous en sommes réduits à chercher qui envoyer vers lui en notre nom… Or il n’y a personne. Pas de relation médiatisée avec Jésus, seulement une relation directe : recevoir sa parole. La « volonté de Dieu » pour nous, c’est que nous vivions de la parole qui est Jésus-Christ lui-même, que nous vivions de sa mort et de sa résurrection. Pour ça il faut le fréquenter, il faut s’asseoir à ses pieds, il faut cesser de se mettre soi au centre, pour l’y laisser, lui. Il faut lui faire de la place, sa place, au centre de nos existences. Pas en plus. Pas quand nous n’avons rien d’autre à faire. Pas quand nous avons besoin de ses services. Mais tout le temps. Nous mettre en situation de recevoir son amour, afin de pouvoir le redistribuer autour de nous, unis comme frères et sœurs, « afin que le monde croie » (Jean 17 / 21).

 

La « volonté de Dieu », c’est notre communion avec son Fils afin de pouvoir profiter de sa puissance de résurrection. C’est donc notre bonheur, qui ne passe ni par la santé, ni par la richesse, ni par la considération sociale. Notre bonheur et notre vie éternelle consistent dans la personne de Jésus, dans le don de sa vie pour nous, pour qu’en toute liberté nous puissions nous aussi donner notre vie pour d’autres, ceux qui nous entourent, ceux qui ont besoin, ceux que Dieu a placés près de nous ou face à nous, amis ou adversaires. Le faire sans Jésus est à la fois une impossibilité et une imposture. Car ce qui est attendu d’un chrétien, ce n’est pas d’être bon, c’est d’être témoin de Jésus, capable de recevoir le pardon et de le donner, capable d’amour désintéressé, capable de s’effacer dans le mouvement-même où il se donne. Je n’en suis pas capable. Jésus en est capable. Est-il au centre de ma vie, afin qu’il puisse agir en moi et par moi ? « Amen. Viens, Seigneur Jésus. » (Apoc. 22 / 20)

 

Raon-l’Étape  –  David Mitrani  –  15 septembre 2019

 

 

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