Évangile selon Marc 16 / 1-8

 

texte :  Évangile selon Marc 16 / 1-8

premières lectures :  Jonas 2 / 1-11 ; Première épître aux Corinthiens 15 / 1-11

chants :  22-08 et 36-19

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« Qui nous roulera la pierre de l’entrée du tombeau ? » Voilà la question que se posent tous les gens, à un moment ou à un autre, et parfois tout au long de leur vie. Je ne veux pas parler d’un questionnement sur ce qu’il y a après la mort. Mais de la réalité quotidienne de l’existence. Souvent nous avons, comme tout le monde, ce sentiment qu’une « pierre qui [est] très grande » nous bouche le passage. Cette pierre peut être pécuniaire, économique, sociale, psychologique, familiale, ou tout ce que vous voulez. Elle peut prendre la forme d’un mur infranchissable ni par-dessus ni par-dessous ni par aucun côté. Alors nous baissons les bras. Ou bien nous y résistons, comme font actuellement tous les Ukrainiens restés sur place dans leur pays, face à cette énorme pierre qui non seulement leur bouche le présent et l’avenir, mais qui en plus roule sur eux pour les écraser. Ainsi, que la situation soit réelle, comme pour beaucoup de gens et de peuples de par le monde, ou qu’elle soit dans notre tête, nous sommes comme retenus prisonniers par la pierre, comme « enfermés dehors » …

 

Car c’est bien la situation des « saintes femmes » se rendant au tombeau de Jésus le dimanche matin, après la fin du shabbat. Elles sont comme prisonnières de la mort de Jésus, comme toute personne qui vient de perdre quelqu’un de cher. C’est cette mort qui leur bouche le passage, le paysage, le présent et l’avenir. Oh ! le présent… elles font sagement ce qu’on doit faire en pareil cas, puisque le corps n’a pas eu le temps d’avoir les soins mortuaires habituels. Vous savez tous cela : quand on vient de perdre quelqu’un, on fait ce qu’on doit faire, on marche au radar… c’est après que ça devient dur, quand on ouvre les yeux et qu’il n’est plus là… Il ne reste que la pierre, que ce rideau qui prend toute la place et qui assombrit toute perspective. Plus d’avenir, il n’y a plus que le présent, le lourd présent. Eh bien c’est la même chose pour tous ceux qui vivent une situation pas forcément de deuil, mais trop lourde à vivre, et qui ne peuvent pas voir plus loin. Lorsqu’ils sont capables de se révolter, leur révolte elle-même n’est qu’un pan de ce mur auquel ils se heurtent sans fin. Pas d’avenir.

 

Au tombeau de Jésus, les femmes « levèrent les yeux et s’aperçurent que la pierre avait été roulée. » On pourrait aussi traduire qu’elles « recouvrèrent la vue ». C’est là une étape nécessaire. À la suite de ce que je viens de vous dire, et sans doute de votre propre expérience, vous conviendrez que cela ne se fait pas tout seul ! Mais à un moment, il faut bien s’apercevoir que la pierre a été roulée, enlevée ; il faut bien réaliser que le passage est ouvert. Sinon, on est mort… Les femmes au tombeau ont-elles eu ce mouvement d’elles-mêmes, ou bien leur a-t-il été suscité ? Au premier niveau de lecture, oui, bien sûr, en arrivant elles ont vu le tombeau ouvert. Mais imaginez mieux la scène, sans rien rajouter ni enlever au texte. Elles sont dans leur questionnement, dans leur certitude que la pierre bouche le passage – ce dont elles auraient pu se rendre compte simplement en réfléchissant depuis chez elles… L’évangéliste nous précise qu’elles ont « levé les yeux » ou « recouvré la vue » – peu importe la traduction. Bref, il y a eu un mouvement qui n’avait rien de naturel, sauf à considérer qu’elles marchaient en regardant par terre !

 

Et c’est bien là que nous les rejoignons. Nous passons notre vie à regarder par terre, au ras des pâquerettes, à regarder nos pieds – ce qui ne peut, soi dit en passant, que nous faire tomber ! Quand ceux qui font la même chose « nous demandent : “où est ton Dieu ?” » (Ps. 42 / 4. 11 ; 115 / 2), ne répondons-nous pas comme le psalmiste : « Notre Dieu est au ciel, Il fait tout ce qu’il veut. » (Ps. 115 / 3) ? Mais notre réponse est-elle crédible si nous continuons à regarder nos pieds, si nous ne levons pas ou n’ouvrons pas les yeux ? C’est bien souvent la raison pour laquelle même les gens bien disposés ne sont pas convaincus par notre témoignage : notre vie ne manifeste pas que nous regardons au ciel ! Dire que Dieu y est, sans y regarder, quel intérêt ?! Nous devons penser, puisque ça ne vient pas tout seul, nous devons penser, nous efforcer à regarder à Dieu et non pas à ce qui nous arrive ou pas. C’est le seul moyen pour être surpris, pour apercevoir autre chose que le retour du même tout au long de nos jours.

 

Les femmes voient donc, les yeux levés, ouverts, non pas ce à quoi elles s’attendaient, mais quelque chose qui les surprend. En fait, c’est plus que ça ; elles sont « épouvantées », dit le texte. À cela il peut y avoir deux raisons. Prenons d’abord la moins évidente selon le récit, mais qui l’est peut-être le plus pour nous si nous étions dans cette situation, ou quand nous y sommes. Elles se retrouvent dans le tombeau, dans le lieu de la mort. Mais dans un tombeau il n’y a pas de vivant : sont-elles donc mortes, elles aussi ? La pierre qui a été roulée va-t-elle refermer le tombeau avec elles dedans, comme dans un mauvais film d’épouvante ? Ou bien, puisque leurs yeux se sont ouverts, ont-elles réalisé que leur existence ordinaire n’était qu’une forme de mort qui ne les menait nulle part, sinon là où elles se trouvent en ce moment : dans un tombeau ? Elles ont alors bien besoin qu’une voix leur dise : « Ne vous épouvantez pas ! » tout comme sans cesse dans toute la Bible la voix divine dit à ceux à qui elle s’adresse : « Ne craignez pas ! », « Ne crains pas ! » …

 

L’autre raison de leur épouvante est moins existentielle, plus « théâtrale » : que signifie la présence de quelqu’un qui est manifestement un messager divin, à l’endroit où aurait dû se trouver le corps de Jésus ? Son apparence n’a rien pour épouvanter – il n’a ni cornes ni ailes ni quoi que ce soit d’imaginatif ou de symbolique – mais sa présence oui. Ont-elles cru voir le « jeune homme » qui avait « fui » tout nu lors de l’arrestation de Jésus (Marc 14 / 51-52) ? L’aurait-on rattrapé et enfermé à la place de Jésus ? Ou même est-il mort à la place de Jésus, lequel aurait ainsi abandonné le salut, et les humains à leur sort, à leur mort ? Les femmes ont-elles plutôt cru voir Dieu – et mourir, comme on s’y attend toujours en pareil cas dans la Bible ? Encore la mort ! Sous quelque angle qu’on considère le comportement de ces femmes, il est rempli, saturé, par la mort.

 

Pourtant tout ce qui se passe est très « biblique », si j’ose dire. La vue est un moyen d’attirer l’attention, et ensuite il n’est plus question que de parole. Le « jeune homme » dit, et il dit de dire, elles sont instituées témoins de cette parole, messagères à leur tour. Mais que dit le message ? Il les ramène au « voir » : « c’est en Galilée que vous le verrez… » Mais elles ne veulent pas voir ! Ce qu’elles voient leur fait peur, les « épouvante ». Parce que c’est irrationnel, peut-être. La mort est rassurante, en fait : elle ne fait pas de vagues, elle est naturelle, on y est habitué… Même à notre époque où nous faisons semblant de croire que nous sommes immortels et que la mort est scandaleuse, celle-ci reste pourtant très ordinaire, bien que confiée à des spécialistes. Mais l’idée que la mort a été vaincue, serait-ce une seule fois…brrr ! Qu’imaginent-elles qu’elles vont voir ? Toujours est-il que l’évangile s’arrête ici, tous les manuscrits en témoignent : les versets suivants – quel que soit le manuscrit – ont été rajoutés à partir des autres évangiles, surtout Luc, aucun n’est de Marc. Les femmes sont restées enfermées dans leur peur, dans leur mort, dans leur tombeau. Car pour elles, depuis le début, leur tombeau, c’est dehors, c’est tous les jours. L’évangéliste nous laisse sur la question : si nous sommes à la place des femmes, que faisons-nous ?

 

Il faut alors refaire le chemin à l’envers. Si nous ne disons rien, c’est que nous avons peur. Si nous avons peur, c’est de voir. Si nous voyons, c’est que nous ne regardons plus nos pieds. Si nous regardons nos pieds, c’est que nous avons peur… À un moment, il faut rompre le cercle vicieux de nos enfermements, pour pouvoir ensuite en faire un cercle vertueux. Il faut écouter la voix du messager. Il nous dit une première vérité : « vous cherchez Jésus le Nazaréen, le crucifié ». Laissons-nous donc définir par cette affirmation, laissons-la définir notre vie. Oui, nous sommes chrétiens, « nous cherchons Jésus le Nazaréen, le crucifié ! » Et il nous dit une seconde vérité, dans la même phrase : « il est ressuscité, il n’est pas ici ». Il n’est pas dans nos tombeaux, il n’est pas dans nos vies ordinaires qui croulent sous la peur et la mort. Rappelez-vous le psaume que je vous citais tout à l’heure : « Notre Dieu est au ciel, il fait tout ce qu’il veut. » Et pourtant c’est sur terre qu’il se laisse voir et rencontrer. Le ciel est maintenant sur terre ! Autre raison d’avoir peur, peur du changement, peur du mouvement, peur de la résurrection ?

 

Nous n’aurons pas peur ! Le tombeau est ouvert, les prisons sont ouvertes : la mort est morte ! Un autre évangile nous dit qu’au moment de la mort de Jésus « les tombeaux s’ouvrirent, et les corps de plusieurs saints qui étaient décédés ressuscitèrent. Ils sortirent des tombeaux, entrèrent dans la ville sainte après la résurrection et apparurent à un grand nombre de personnes. » (Matth. 27 / 52-53) C’est de vous et moi qu’il est question dans cette phrase de Matthieu. Qu’il est question aujourd’hui, pas quand nous serons morts. Car si nous sommes vivants aujourd’hui et non plus morts, la mort ne nous retiendra plus, plus jamais. Comme Jésus. Rappelez-vous : il y a un negro spiritual qui dit : « un chrétien je voudrais être ; comme Jésus je voudrais être… » (n° 56-06 in Alléluia) Et si vous parliez hébreu, vous verriez qu’en disant « pierre roulée » vous entendriez presque « Évangile », « bonne annonce » ! L’Évangile, l’annonce que Jésus est ressuscité est donc belle et bonne, à entendre et à proclamer.

 

Oui, les deux. L’entendre seulement n’a rien produit d’autre sur nos femmes que de la peur et du silence. L’Évangile peut ainsi nous enfermer dans la tombe, si nous ne le laissons pas passer par nous, si nous refusons ce que nos oreilles ont entendu. L’Évangile n’est l’Évangile que transmis, répété. « Christ est ressuscité ! Il est vraiment ressuscité ! » L’acclamation de Pâques est là pour détruire nos tombeaux et nous laisser vivants dehors. « Il [nous] précède… », nous affirme le « jeune homme » du tombeau vide. Jésus nous précède vers la vie. Il nous précède sur les chemins que nous connaissons, avant que de nous emmener sur des chemins moins ou pas connus. Car qui sait, qui peut dire, où se continue la route au-delà de la Galilée ?! De cela aussi nous avons peur. Oh ! que de peurs en nous… Mais en Jésus, que de la vie ! Et il nous l’offre, toujours à nouveau. Il faut juste « lever les yeux », accepter de sortir de la morosité de notre réalité non pas pour la « fuir », comme les femmes au tombeau, mais pour la voir et la vivre avec le regard de Jésus, avec la puissance de vie de Jésus. « La pierre qui était très grande a été roulée. » Nous pouvons sortir de nos tombeaux : Jésus n’y est pas, il nous attend ailleurs. Car « il est ressuscité, il est vraiment ressuscité ! » Amen.

 

Raon-l’Étape  –  David Mitrani  –  17 avril 2022

 

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