Évangile selon Marc 14 / 1-9

 

texte :  Évangile selon Marc 14 / 1-9

premières lectures :  Ésaïe 50 / 4-9 ; épître aux Philippiens 2 / 5-11 ; Évangile selon Jean 12 / 12-19

chants :  33-31 et 44-16

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Voici quelques jours que Jésus est arrivé à Jérusalem. Les gens ont acclamé le salut (« Hosanna ! ») et « Celui qui vient », le roi issu de David (Marc 11 / 1-10). Nous avons entendu cela dans la version de Jean, mais le sens est le même. On a acclamé un roi… et puis : rien. Oh, pas de la part de Jésus : il a profané le Temple et enseigné les foules, remplaçant ainsi les rites censés obtenir le salut par la parole qui annonce ce salut ! Mais « chassez le naturel, il revient au galop… »  (Destouches, in Le Glorieux) La plupart des gens, effectivement, ne voient pas de changements. Quelques-uns sont en attente, certes, au point d’inquiéter l’establishment, et que les défenseurs de celui-ci complotent la mort du perturbateur. Pourtant rien ne semble se passer, Jésus est retiré chez des amis à Béthanie… Et l’évangéliste nous raconte cette petite histoire, à sa manière. L’histoire d’une femme.

 

Dans cette version elle est anonyme. Pas son hôte : « Simon le lépreux ». Mais l’histoire n’en fait rien. Est-il de ceux qui ont critiqué le geste de la femme ? On n’en sait rien. Il ne compte pas, non plus que les « quelques-uns » ici également anonymes. Quelle était la motivation de la femme ? Pourquoi a-t-elle fait ce geste ? On n’en sait rien non plus. Pourtant la parole de Jésus a pérennisé ce geste : la preuve, je vous en parle encore, alors que je n’y étais pas, ni vous non plus, et que vous avez bien d’autres soucis. Mais justement, ils avaient tous bien d’autres soucis ! Le lépreux était-il encore malade ? Les gens qui étaient là se demandaient-ils s’ils allaient être infectés ? Les pauvres – qui ne sont peut-être pas là, mais on parle d’eux, on semble s’en soucier… – les pauvres se souciaient, comme de tout temps, de la précarité de leur existence… Et manifestement il y a là des gens qui calculent bien, qui mettent en balance les besoins et ce qu’on a, ou plutôt ce qu’on n’a pas, pour y faire face ! « Gouverner, c’est prévoir », paraît-il !

 

Oui, beaucoup de soucis légitimes. Beaucoup d’inertie aussi. Jésus le relève en disant : « vous avez toujours les pauvres avec vous ». Comme une accusation implicite ? « Si vous avez encore des pauvres, qu’est-ce que vous attendez ? » Même pas :  simple constatation. Prendre souci des pauvres, note Jésus, n’a pas de rapport avec ce qui est en train de se passer. Prendre souci des pauvres, efficacement s’entend, n’est pas lié à une circonstance particulière. Il n’y a pas de raison de ne pas le faire. Notamment : il n’y a pas de raison financière de ne pas le faire. Le manque de moyens financiers ou de temps est une excuse, pas une raison. Faites ce que vous avez à faire. Mais ici, il se passe, il se dit autre chose, et cela concerne le roi. Il n’est pas venu à Jérusalem pour donner, tel un potentat qui arrose la foule des deniers que les impôts et l’inflation leur reprendront vite… Il est venu à Jérusalem pour se donner. Car lui, il est roi…

 

Dur à entendre, quand on est soi-même pauvre, malade, confiné, chômeur, empêché de « gagner sa vie », empêché de « faire ce qu’on a à faire » … Notre prière est presque toujours de demande. Même aux Rameaux : « Hosanna ! », « Sauve donc ! » Guéris-nous, libère-nous, donne-nous les moyens que nous n’avons pas, permets que nous puissions à nouveau faire ce que nous ne pouvons plus faire… « Fils de David, Jésus, aie pitié de moi ! » (Marc 10 / 47) Mais « le Fils de l’homme est venu, non pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour beaucoup. » (Marc 10 / 45) Ce n’est pas qu’il soit venu pour autre chose que ce qu’on lui demande, quand notre demande correspond à un vrai besoin. Mais il est venu pour plus que cela ; et nous sommes incapables de le comprendre… Nous ne regardons pas assez haut. Il est le roi, et nous ne sommes bien souvent que des courtisans…

 

La femme, elle, l’avait compris. Elle n’a pas parlé, n’a rien demandé ni pour elle ni pour les autres. Qui dira quelle fut sa prière muette, si même il y en eut une ? C’est son geste que Jésus interprète, et cette interprétation est seule nécessaire, n’en cherchez pas d’autre, économique ou psychologique ! Elle n’est pas courtisane, contrairement à ce que son geste suggérerait dans notre imaginaire. Elle se fait sujette du roi, elle sert le Serviteur, elle sait bien que, dans la Bible, le Serviteur est « le Serviteur souffrant » tel qu’Ésaïe l’avait annoncé (És. 53). Elle le reconnaît comme tel, et elle fait ce qu’elle a à faire, en silence, en soumission à une mission pas même évoquée jusqu’à ce que Jésus l’explicite. Elle donne ce qu’elle a, elle donne ce qu’elle est, car tout ce qui est à elle n’a plus d’importance face à ce que Jésus va accomplir en mourant, en mourant pour elle, en mourant pour moi. Désormais je ne suis plus que ce que Jésus a fait de moi, je n’ai plus que ce que Jésus a donné : sa vie pour moi.

 

Cela vous semble triste ? Non pas. Il y a un autre élément dans le « gaspillage » de ce parfum fort cher. C’est la fête. Nous autres, ceux qui sommes riches en tout cas, nous ne le comprenons plus. Mais les pauvres d’ici et d’ailleurs le savent bien, au grand scandale des travailleurs sociaux et des humanitaires ! C’est que, lorsque la fête le nécessite, on dépense tout ce qu’on a, quand bien même il aura fallu emprunter pour ce faire. Pour prendre un jeu de mots facile : en temps normal on consomme, mais pour la fête on consume ! La femme anonyme a aussi accompli ce geste, ce geste somme toute festif. Elle a annoncé la mort de Jésus comme une victoire, et face à cette victoire aucune économie n’est pensable, n’est justifiée. La fête me demande tout entier ! Car dans la fête de mon salut – « Hosanna ! » – le Fils de Dieu s’est donné tout entier, il n’a rien préservé pour lui-même.

 

C’est bien ce que confesse l’hymne « aux Philippiens » que nous avons relu tout à l’heure : « Il s’est dépouillé lui-même », « il s’est humilié lui-même en devenant obéissant jusqu’à la mort, la mort sur la croix. » La femme, finalement, n’a guère été que la figure de ce roi : elle aussi s’est totalement dépouillée, elle et son parfum, son parfum qui était elle. Les gens, aux Rameaux, avaient-ils fait autre chose en se dépouillant de « leurs vêtements » (Marc 11 / 8) ? Sans doute ne le savaient-ils pas : au moins était-ce sans calcul de leur part ! Puissions-nous garder la même simplicité en « nous offrant nous-mêmes en sacrifice vivant et saint », comme l’apôtre Paul y exhortait les Romains, « ce qui sera de notre part un culte raisonnable. » (Rom. 12 / 1) Amen.

 

(Senones) en confinement  –  David Mitrani  –  5 avril 2020

 

 

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