Évangile selon Marc 12 / 41-44

 

texte :

[Jésus] s’assit devant le trésor et regardait la foule jeter des monnaies dans le trésor. Beaucoup de riches en jetaient beaucoup. Une veuve, pauvre, vint et jeta deux centimes, ce qui est un quart de sou. Appelant ses disciples il leur dit : « Amen, je vous dis que cette veuve, pauvre, jeta dans le trésor plus que tous ceux qui jettent. Oui, tous jetèrent de leur abondance ; mais, elle, dans sa pénurie, y jeta tout ce qu’elle avait, toute sa vie. »

 

premières lectures :  Ésaïe 2 / 1-5 ; Épître aux Éphésiens 5 / 8-14

chants :  47-18 et 44-11

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prédication :

 

« Vous êtes lumière dans le Seigneur », écrivait Paul. C’était ce à quoi invitait déjà Ésaïe. Mais en quoi cela consiste-t-il ? Quelle est la vie d’un chrétien « dans la lumière du Seigneur » ? Y a-t-il d’ailleurs des chrétiens qui ne sont pas « dans la lumière », qui ne sont pas « lumière » ? Marc nous raconte que Jésus était assis devant l’endroit, ou l’un des endroits, sur le « parvis des femmes » du temple de Jérusalem, où les Juifs des deux sexes pouvaient faire une offrande d’argent pour le Temple. C’est donc autre chose que les sacrifices que les hommes pouvaient offrir selon la Torah en les portant aux prêtres, dans une partie plus centrale du Temple. Mais qu’est-ce que cela a à voir ? Une simple morale, selon laquelle il faudrait donner beaucoup en proportion de ce qu’on a, et non en quantité : fallait-il un évangile pour ça ? La scène ne nous montre que des croyants généreux, comme j’ose imaginer que vous l’êtes tous, quel que soit votre niveau de richesse ; mais ça, c’est le secret du trésorier…

 

Tout d’abord, je ne crois pas que Jésus demande que les veuves, ou les pauvres en général, donnent tout ce qu’ils ont. Et si je ne le crois pas, ce n’est pas par idéologie, mais parce que, juste avant, Jésus a critiqué les scribes en les appelant « dévoreurs des maisons des veuves » (v. 40). Une Église qui s’enrichirait, même de quelques sous, en appauvrissant ses pauvres, ne semble donc pas être son idéal, non plus que le mien d’ailleurs ! Il faut alors comprendre autrement ce texte, et je vous propose de le faire en partant de la fin, puisque juste après Jésus et ses disciples sortent de l’Esplanade du Temple, et là Jésus annonce la destruction de ce Lieu (13 / 1-2), autant dire l’inutilité du don de la veuve pauvre comme de ceux des nombreux riches ! « Elle y jeta tout ce qu’elle avait, toute sa vie », explique Jésus à ses disciples. On pourrait aussi traduire « tout son bien », puisque le mot « *bios » signifie les deux, le « bien » au sens où cela permet de vivre. « Toute sa vie » et ce qui la permet…

 

La question n’est donc pas de combien on donne au Temple, puisque le Temple a été détruit il y a bientôt 20 siècles, et que celui où nous nous trouvons n’en est en aucun cas une image, car c’est par pur anticatholicisme que nous l’avons appelé « temple » et non « église » depuis le XVIe siècle. La question me semble plutôt celle-ci : de quoi ma vie est-elle constituée, et qu’est-ce que j’en fais ? Vous entendez bien que cette question est largement plus fondamentale que celle de la collecte d’argent pour faire fonctionner notre institution ecclésiastique et, accessoirement, entretenir votre serviteur… Encore une fois commençons par la fin, par la deuxième partie de la question : qu’est-ce que je fais de ma vie ? La veuve, pauvre, la jette dans le Trésor du Temple, elle s’en défait au profit de Lieu de la Présence de Dieu, selon l’ancienne croyance. C’est-à-dire : elle s’en défait en la remettant à Dieu. La question devient alors : qu’est-ce que c’est que remettre sa vie à Dieu ?

 

Jésus fait remarquer que, parmi tous les croyants présents à ce moment-là, elle seule donne ce sens à son geste. Et pour cause : les autres « jettent de leur abondance », dit-il. C’est-à-dire qu’ils en gardent par ailleurs ! Elle jette « toute sa vie » dans ce Trésor. Elle ne garde rien par devers elle, elle n’en a pas les moyens. C’était déjà ce qui caractérisait « les pauvres » dans l’Ancien Testament : ceux qui remettaient toute leur vie à Dieu par nécessité. En toute logique, celui qui peut pourvoir à son existence le fait ; seul celui qui ne le peut pas s’en remet à quelqu’un d’autre, s’il se trouve quelqu’un qui puisse le faire, qui puisse le suppléer dans cette nécessité. Le roi David était l’image d’un tel « pauvre » (bien qu’il fût fort riche par ailleurs), et pourtant il avait aussi été l’image du contraire lors de son adultère avec Bath-shéba, pensant pouvoir se dispenser d’obéir à Dieu. Ai-je les moyens de pourvoir à ma propre existence, ou bien vais-je devoir m’en remettre à quelqu’un d’autre ? Et sera-ce à un service social, ou bien à Dieu ?

 

Naturellement, ma vie ne se limite pas aux aspects pécuniaires, sociaux, culturels, sexuels, biologiques, etc. Le diable se met dans les détails, paraît-il. Ne l’y encourageons pas ! La veuve pauvre, elle, elle a tout remis à Dieu, elle s’est remise elle-même à Dieu pour tous les aspects de son existence et pour cette existence elle-même. Et c’est à ce titre que Jésus attire l’attention de ses disciples sur elle. Peut-être pour leur faire prendre conscience de leur propre positionnement par rapport à lui : lui avaient-il tout donné, avaient-ils vraiment remis toute leur existence entre ses mains ? Ou bien lui avaient-ils donné beaucoup plus, puisqu’ils le suivaient, mais en fait c’était beaucoup moins, car une partie d’eux-mêmes ne lui avait pas été soumise ? Leur admiration des pierres du Temple au verset qui suivra montre qu’ils étaient encore attachés à d’autres réalités qu’à lui seul…

 

Nous sommes quant à nous à la place des disciples. Que tirons-nous de l’enseignement de Jésus ? Si nous nous contentons d’admirer la veuve en question, cela n’a aucun intérêt. Elle est morte il y a presque 20 siècles, et nous n’avons pas le culte des saints ! Ou alors peut-être la trouvons-nous bien bête, cette femme, car Dieu n’a pas besoin de ce que nous pensons faire pour lui, il ne demande aucun sacrifice, il demande à son peuple de prendre soin de « l’immigrant, l’orphelin et la veuve », comme le dit la Torah à plusieurs reprises (Deut. 14 / 29…). À moins qu’elle n’en soit réduite à cette seule solution, car toutes les autres ont échoué ? Jésus ne nous institue pas voyeurs du pourquoi du comment de ce qu’il nous montre. Il nous renvoie la question : et toi ? Quand Pierre prétendra le suivre jusqu’au bout, Jésus lui annoncera qu’il fera le contraire, il lui annoncera à la fois son reniement et sa honte (Marc 14 / 29-31 et 72). Et moi ?

 

Nous avons de très jolis cantiques datant du Réveil, qui chantent que nous nous remettons entièrement à Dieu – nous allons encore en chanter un tout à l’heure ! Or la foi n’est pas faite de velléités, ni même de volonté ou de capacité. La veuve n’a plus rien et ne peut donc rien vouloir. La foi n’est pas un engagement à faire des choses, à suivre une morale, mais une confiance totale au Dieu que nous adorons, la certitude croyante qu’il « peut, par la puissance qui agit en nous, faire infiniment au-delà de tout ce que nous demandons et pensons », selon ce que Paul écrira (Éph. 3 / 20). L’assurance donc que le Saint-Esprit, qui est la puissance efficace de Dieu, palliera ma « pauvreté », ma « pénurie », mon indigence, ma faiblesse, mes nombreuses incompétences, etc. Encore faut-il que je sois conscient de mon état et que je m’en remette à Dieu au lieu de pleurer sur moi ! Dans le Psaume 51, au moment de son adultère avec la femme d’Urie, David se reconnaîtra pauvre et pécheur, dans le besoin du pardon et du secours divins.

 

La veuve, pauvre, de notre récit de ce matin, répond à la veuve de Sarepta, qui n’avait plus de quoi se nourrir et se préparait à mourir, elle et son fils, mais avait pourtant accepté de nourrir le prophète Élie (1 Rois 17). Même indigence, même confiance, que ce soit à travers le silence pour l’une ou à travers la difficile acceptation de la parole de Dieu pour l’autre. Abandonner « toute sa vie » à Dieu non pas pour en mourir, mais pour que lui s’en occupe, en sachant que ce sera forcément à sa manière à lui et pas comme moi je l’aurais souhaité. Dieu ne bouche pas les trous, il prend les commandes, et c’est souvent ce qui nous retient de nous en remettre à lui : nous préférerions qu’il fasse ce que nous lui demandons et de la manière dont nous le lui demandons. Or la veuve, pauvre, ne demande rien. Elle s’en remet à lui, c’est tout. Elle peut le faire parce qu’elle ne peut pas autrement, pensons-nous. Mais nous, pouvons-nous autrement ?

 

Certes, nous pensons souvent pouvoir faire autrement. Se pose alors la première de mes deux questions du début : de quoi ma vie est-elle constituée, que je le remette à Dieu ? Nous faisons de la casuistique, comme les Pharisiens. Nous compartimentons. Dans tel domaine, si ceci et cela, alors c’est à moi de faire, et si je ne peux pas, c’est à Dieu, mais seulement dans ce domaine-là à ce moment-là… J’aimerais bien que Dieu soit à mon service, et que je reste autonome, que je continue à décider de ma vie. Mais si je m’en remets à Dieu, ce n’est pas possible. Comme Jésus ressuscité le dira à Pierre : « Amen, amen, je te dis, quand tu étais plus jeune, tu attachais toi-même ton vêtement et tu allais où tu voulais ; mais quand tu seras vieux, tu étendras tes mains, et un autre te l’attachera et te mènera où tu ne voudras pas. » (Jean 21 / 18) Le contexte est différent, mais l’idée est bien là : s’en remettre à Dieu pour sa vie, c’est abandonner l’idée que c’est moi qui vais continuer à décider !

 

Alors, au point où j’en suis de ma vie, qu’est-ce qui me reste encore ? Quelles sont les deux petites pièces ne valant guère qu’un quart de sou, que j’ai encore en mains ? À chacun de répondre devant Dieu, bien sûr. Garder les piécettes et croire que je vais y arriver seul, voilà « les œuvres stériles des ténèbres », comme le disait l’épître. « Marcher comme des enfants de lumière », c’est donc se confier totalement à Dieu, lui remettre tout ce que j’ai, toute ma vie, sans condition ni sélection. Ce sont Ananias et Saphira, dans les Actes des Apôtres, qui diront avoir tout donné, alors qu’ils en avaient gardé pour eux : ils sont morts ! (Actes 5 / 1-11) Mais toi, « relève-toi d’entre les morts, et le Christ resplendira sur toi. » C’est donc bien – comme toujours dans l’Évangile – c’est donc bien plutôt une promesse qu’une exhortation que nous trouvons dans les paroles de Jésus au sujet de la veuve, pauvre.

 

C’est la promesse que Jésus est bien notre Seigneur et Sauveur, si nous mettons notre confiance, notre foi, dans sa seigneurie et son salut ! Ce que ma « pénurie » ne me permet plus, ne m’a d’ailleurs jamais permis malgré mes illusions, le Christ l’accomplit à ma place mais à sa façon, par la croix. « Christ est ma vie », écrira Paul, et il n’en conclura pas pour autant qu’il doit mourir (Phil. 1 / 21.24). C’est cette promesse de lumière pour moi et pour le monde qui fonde ma confiance, qui fonde notre foi. Il suffit de s’en remettre à Jésus-Christ. Vraiment. Alors « venez, et marchons à la lumière de l’Éternel ! » Amen.

 

Senones  –  David Mitrani  –  7 août 2022

 

 

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