Évangile selon Marc 10 / 17-27

 

texte :  Évangile selon Marc, 10 / 17-27

premières lectures :  Proverbes, 3 / 13-20 ; épître aux Romains, 13 / 7-10

chants :  22-07 et 44-11  (Alléluia)

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« Heureux l’homme qui a trouvé la sagesse », vient de nous dire Salomon. Manifestement, dans le texte de Marc, l’homme qui s’approcha de Jésus sur sa route ne l’avait pas trouvée, lui, la sagesse. Mais ce n’était pas faute de l’avoir cherchée, semble-t-il ! « Depuis ma jeunesse », confesse-t-il… Oui, depuis sa jeunesse, il a « gardé » les commandements de Dieu. Il a été sage, selon la définition traditionnelle, juive, pharisienne, de la sagesse. Nous, nous dirions qu’il a été honnête, bon voisin, bon travailleur, bon citoyen, bon paroissien, sans doute bon mari et bon père… Il a été sage, mais la sagesse dont le « revenu vaut mieux que l’or » reste pour lui une inconnue, à l’en croire.

 

Cet homme, le récit de cette rencontre, c’est pour moi une parabole. Oh, je ne sais pas si la rencontre a vraiment eu lieu ainsi. Mais ce qui est sûr, c’est que l’homme existe, et que la rencontre, elle a lieu ce matin, ici même. Cet homme – ou cette femme – c’est peut-être vous, c’est en tout cas sûrement moi… Jésus est en chemin, en chemin vers sa croix et vers nul autre lieu. Il est en chemin, il marche sur un chemin unique, et, chers amis, il se trouve que ce chemin passe par ici. Ou alors, vous êtes venus parce que vous saviez que vous risquiez de le trouver à cette heure-ci dans cette maison… où il ne va guère s’attarder ! Car il passe, et je me tourne vers lui. Quiproquo… « Bon maître… – Pourquoi m’appelles-tu bon ? » Je ne réponds pas. Pourquoi est-ce que je l’appelle « bon » ? Qu’a-t-il donc déjà fait pour moi ? Dieu, oui, je sais, « le Père tout-puissant, créateur du ciel et de la terre », etc. Dieu m’a créé. Il a été bon pour moi, au commencement du monde, au commencement de ma vie – du moins dois-je le supposer, car le résultat n’est pas si extraordinaire que ça, après tout… Vous ne savez pas, pour moi, bien sûr, vous ne voyez qu’un peu d’extérieur. Mais pour vous, vous le savez, n’est-ce pas ? Vous verriez Dieu, le Créateur, en face, est-ce que vous lui diriez merci, ou bien lui demanderiez-vous pourquoi… ?

 

Mes parents ont été bons pour moi. En ce qui concerne le projet qui m’a fait naître, je le présume. En ce qui concerne leur amour de parents, l’éducation qu’ils m’ont donnée, je veux bien le croire. Mes amis sont bons pour moi, sinon ils ne seraient pas mes amis. Vous, mes amis, mes frères et sœurs, vous êtes bons pour moi, bien plus que je ne saurais dire. Mais cet homme que je viens rencontrer, ce Jésus sur le chemin, qui est-il, qu’a-t-il fait, que va-t-il faire ? Je n’en sais rien. Je sais des choses sur lui. Mais ça, ça ne sert à rien. Là, maintenant, nous nous trouvons l’un devant l’autre, et c’est lui qui me demande pourquoi, c’est lui qui me renvoie à moi-même. La vraie question est donc là. Qu’est-ce que j’ai fait, qu’est-ce que je suis, moi ? Je voulais la sagesse, et il me demande si j’ai été sage…

 

Qui d’entre nous peut répondre comme le fait l’homme de ce récit ? Qui d’entre nous a observé toute la Loi de Dieu depuis toujours ? Notez bien qu’il ne s’agit ici que de la Seconde Table, que des commandements à l’égard du prochain. Le plus facile, en somme. Oui, qui donc l’a fait ? Il y a ceux qui n’y prétendent pas, et qui ne sont pas concernés par ce récit. Jésus les rencontrera ailleurs : prostituées, païens, collabos, escrocs, etc. Aujourd’hui – et c’est peut-être pour ça que nous nous retrouvons avec lui dans un lieu de culte – Jésus rencontre chacun de ceux qui font profession de religion et de morale. Et devant lui, on ne peut pas mentir, vous ne croyez pas ? Les uns devant les autres, oui, on peut ; on ne fait même plus ou moins que ça, se mentant d’ailleurs aussi à soi-même pour ne pas s’en rendre compte. Mais devant Jésus pas de mensonge qui tienne, c’est nous qu’il rencontre en vérité, c’est nous qu’il sollicite en vérité. Sa question ne renvoie pas à notre apparence sociale ni à nos illusions, mais bien à ce que nous faisons. Est-ce que j’observe la Loi de Dieu, ou non ? Ce commandement d’amour que j’oppose si volontiers à ceux qui ne me plaisent pas ou plus, afin de les humilier, est-ce que moi, au moins, je l’applique ? L’homme du récit, oui. Il a cherché la sagesse par ce biais…

 

Moi, je crois bien que non. Comment alors entendre la suite du récit ? Comment vivre la suite de l’histoire ? Moi qui, au niveau de mes actes, ne suis pas un assassin, pas un adultère, pas un voleur, pas un faux témoin, qui ne fais tort à pas grand monde, et qui honore le souvenir de mes parents, moi qui suis simplement banal, qui suis tenté sans cesse, et qui résiste plus ou moins mollement, mais toujours assez pour ne pas tomber trop bas et pouvoir encore me relever… moi, je sais bien que ce n’est pas ça, observer la Loi de Dieu. Qu’est-ce que je demande alors, si même ça je ne l’ai pas fait ? Que Jésus entérine ma flemme, mon égoïsme, ma tranquillité ? Qu’il me justifie là où je n’ai ni injustice ni justice ? Qu’il bénisse le vide de mon existence ? Eh bien peut-être, après tout. Peut-être qu’aller au bout de la Loi ou rester sur les bords, c’est pareil, ça aboutit au même résultat. Peut-être que la recherche désespérée du sens et l’abandon de cette recherche trop épuisante, c’est la même chose. Si je veux vraiment le savoir, je n’ai qu’à obéir à la Loi, je verrai bien. Les commandements ne sont pas « hors de ma portée », comme je peux lire dans Moïse aussi bien que vous (Deut. 30 / 11). Si je veux être dans la situation de l’homme du récit, je n’ai qu’à les appliquer un peu mieux, les commandements, avec toute l’énergie que je réserve à d’autres choses – l’énergie que je réserve à moi-même en fait.

 

Alors, au bout du chemin, je rencontrerai Jésus. Au bout de mon chemin sans issue, je le rencontrerai sur son chemin, lui qui va vers une autre issue, lui qui marche vers la croix. Il me dira – peut-être me dit-il en ce moment même – « va, vends tout ce que tu as… » Ce que je pressentais est donc vrai. C’est que Jésus ne me rencontre qu’au bout de ce que j’ai fait, au bout de ce que j’ai acquis… Mais c’est pour me dire que ça ne servait à rien – ce dont je commençais à me douter, mais que je ne peux pas accepter ! Tout ça pour rien ! Oui, je dis « tout ça » même si ce n’était peut-être pas grand’ chose, mais c’est moi, c’est ma vie, ce sont mes efforts, c’est ma morale, ce sont mes luttes contre moi-même et contre le diable, c’est ce pour quoi j’ai tant sacrifié… « Va, vends tout ce que tu as… » L’entendez-vous, vous aussi, dire à votre cœur que ce que vous avez, c’est fait pour servir, mais qu’à vous, à vous qui cherchez la sagesse, à vous qui visez la vie éternelle, ça, ça ne sert à rien ? La parole est dure. Dans ma petite tête, je la trouvais dure déjà pour cet homme que Jésus avait rencontré sur le chemin il y a 2.000 ans. Mais je m’en fichais, je ne le connaissais pas ! Mais maintenant, c’est à moi que Jésus parle, c’est de ma vie qu’il parle. Il me dit de me débarrasser de tout ce qui encombre cette vie, de tout ce que j’y ai patiemment accumulé depuis tant d’années, « depuis ma jeunesse… »

 

Non pas que ce soit perdu. Si ça peut servir à ceux qui sont dans le manque, que ça leur serve ! Mais pour moi qui suis en manque du principal, pour moi qui suis en manque de moi, plus rien. Plus rien ? Si. Quelque chose de nouveau : « Viens, et suis-moi ! » Entendez-vous l’appel, mon frère, ma sœur ? Il est là, le vrai appel. Après m’avoir chargé de la Loi, comme d’un ordre à aller jusqu’au bout, et après m’avoir déchargé de la Loi, comme une invitation à changer de regard, voici donc l’appel. Laisse tout et suis-moi… Laisse tes efforts et laisse tes lâchetés, laisse tes réussites et laisse tes échecs, laisse l’image que tu as de toi-même et laisse celle que les autres ont de toi, laisse-toi toi-même en arrière, « puis viens, et suis-moi… »

 

L’homme ne l’a pas fait. Il tenait trop à lui-même. Il a rencontré la sagesse, et ce n’était ni une morale plus exigeante ni une nouvelle doctrine inspirée : la sagesse, c’était un homme marchant vers la croix, c’était Jésus ; c’est Jésus, encore aujourd’hui, ce matin-même, c’est Jésus qui passe, et c’est lui la sagesse véritable, celle qui fait vivre pour toujours. Comme Moïse autrefois, mais avec des mots tellement différents, il place devant moi l’alternative, « la vie et la mort » (Deut. 30 / 19). « Choisis la vie », disait Moïse. « Viens et suis-moi », explicite Jésus. Ce n’est pas là un choix intellectuel. C’est l’engagement de la foi. Croire que Jésus a sauvé le monde ne me sert à rien, sauf à connaître mon malheur si je ne fais pas partie de ce salut… Aujourd’hui, c’est à chacun de nous que Jésus adresse à nouveau ces paroles – et qui donc pourra jurer qu’il y aura encore d’autres occasions ?… Ce matin, il me dit de laisser tomber ce qui constituait ma vie sans lui, peut-être ma vie pour lui. Ce matin, il me dit de le suivre, simplement, comme ça.

 

L’appel de Jésus, c’est qu’il devienne, lui, le lieu de mon existence, la richesse qui la remplira sans cesse, « l’arbre de vie » qui me procurera ma nourriture. Qu’il soit enfin « mon Seigneur et mon Dieu », pour le dire comme Thomas (Jean 20 / 28). Pas dans ma tête. Pas quelques heures par semaine, parfois. Mais que mes pas épousent son chemin, que ce chemin devienne le mien, à sa suite. Qu’il remplisse ma vie et pas seulement certaines de mes convictions. Qu’il soit non plus le but de ma foi, l’avenir de mon être, mais mon présent, le présent d’une vie et d’une foi qui seront enfin siennes pour être enfin miennes. Je n’en suis pas capable, bien sûr : je tiens trop à moi-même. « Alors, qui peut être sauvé ? – C’est impossible aux hommes, mais non à Dieu, car tout est possible à Dieu. » Seigneur, que cet impossible s’accomplisse aujourd’hui pour moi, que cet impossible s’accomplisse ce matin pour tous ceux, ici, qui le souhaitent ardemment et avec crainte. Que cette crainte se transforme en joie et en bénédiction, comme tu l’as promis. Amen.

 

Raon-l’Étape – David Mitrani – 15 octobre 2017
(Sainte-Catherine-de-Fierbois & Amboise  –  David Mitrani  –  14 octobre 2012)

 

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