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Évangile selon Marc 1 / 32-39
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texte : Évangile selon Marc, 1 / 32-39 (trad. : Bible à la colombe)
première lecture : Évangile selon Marc, 2 / 1-12
chant : 45-20 (Alléluia) et 409 (Arc-en-ciel)
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Encore des exorcismes ? Sans doute certains trouveront que tout ceci fait à la fois superstitieux et ringard, guère en prise avec nos réalités à nous, qui savons bien d’où viennent nos maux : santé, deuils, économie, injustices, mal vivre, mal être, etc… Aujourd’hui, toutes les sciences sont convoquées pour expliquer tout ce qui ne va pas, en nous et autour de nous. Et c’est bien : c’est leur travail, d’expliquer le comment et aussi le pourquoi du comment, et éventuellement de soigner le mal. Et pourtant, allons-nous vraiment mieux après ? Souvent, oui. Et il nous faut remercier à la fois Dieu et nos frères pour ça, il nous faut remercier les soignants et les politiques, et pas seulement les critiquer ; il nous faut remercier les enseignants et les psychologues, et pas seulement croire qu’ils ne sont bons que pour les autres. Il nous faut remercier aussi tous ceux, quelle que soit leur qualification, qui nous font apercevoir, par leurs œuvres ou leurs paroles, un autre chemin que de nous cogner dans le mur qui, à vues humaines, est là devant nous.
Eh bien justement, c’est ce que fait l’Évangile, avec art. On y voit aujourd’hui Jésus guérir beaucoup de gens, au point de chercher à s’en échapper, comme s’il n’était pas venu pour ça, pas d’abord pour ça… Il fait nuit. C’est notre nuit. C’est dans notre nuit qu’œuvre Jésus. Comme il le dit un peu plus loin : « Ce ne sont pas les bien-portants qui ont besoin de médecin, mais les malades. » Et de rajouter : « Je ne suis pas venu appeler des justes, mais des pécheurs. » (Marc 2 / 17) Car plus que par des virus ou des microbes, des névroses ou des psychoses, ou des tas d’autres choses, c’est par des puissances que nous sommes possédés. Je veux dire, il y a en nous – et aussi entre nous – des choses qui nous tirent vers le bas ou vers l’obscurité, de telle sorte que nous perdons petit à petit toute liberté de nous en défaire. Ce sont les mêmes qui se glissent entre nous et nous-mêmes, entre nous et les autres, entre nous et Dieu. Ce sont des « démons », des forces. Elles sont « diaboliques », elles séparent. Tel est le sens de ces deux mots. Pas de diable ni de divinité mauvaise, qui nous servirait de prétexte pour nous défausser, non. Mais une réalité : nous ne sommes plus nous-mêmes lorsque nous sommes ainsi agressés dans notre tête, notre cœur, notre corps, nos relations…
Maladies et démons sont donc bien deux choses différentes, médecine et exorcisme ne se confondent pas, et Jésus peut bien être à la fois soigneur et seigneur ! Pourquoi alors s’embarrasser de démonologie ? Parce que cela correspond, c’est une manière de parler, de ce qui nous habite et nous détruit. Et qu’au-delà de la maladie ou de l’économie ou autre, pour laquelle il y a des médecins, des gouvernants, etc., il faut bien s’attaquer aussi sinon d’abord aux racines du mal – quel que soit le mal. Beaucoup de médecins font de la psychologie avec leurs malades, beaucoup d’économistes font de la politique, etc. Mais là encore on reste entre soigneurs, on reste entre sciences ! Et d’ailleurs les « démons » de notre texte, lorsqu’ils parlent, ils mentent. Toujours. Même lorsqu’ils semblent dire vrai, c’est encore un mensonge. Ce sont eux qui risquent de désigner Jésus comme soigneur et seigneur, comme si c’était par ses miracles qu’il se manifestait comme Seigneur ! Comme si ça ne pouvait pas être par sa faiblesse et sa mort sur la croix ! Les démons sont des puissances, et ne reconnaissent qu’une seigneurie puissante, qu’un dieu qui serait un super-démon… Mais Jésus n’est pas ça, il n’est pas venu pour ça… Voilà pourquoi il les fait taire.
Les « démons » mentent. Ils disent aussi : « j’ai mal ici » ou bien « j’ai mal là ». Ils ne disent pas « j’ai mal, délivre-moi… » Les démons nous font croire qu’ils n’en sont pas, ils nous font appeler le médecin, l’homme politique, le psychologue, l’éducateur… Ils ne nous font jamais appeler le Seigneur Jésus ! Ils ne nous font jamais prier, sinon pour que nous les contemplions eux, même dans notre prière ! Prier. Il fait encore sombre, et Jésus s’échappe pour prier, pour se défaire de tous ces démons qui possèdent les gens et qui, les gens venant à Jésus, se mettent à posséder aussi son temps à lui, son énergie à lui. Dire : « Je n’ai plus un instant pour moi », ça ne veut rien dire, ça veut juste dire : « je n’ai plus un instant pour Dieu, je n’ai plus un instant pour être vraiment avec et pour les gens, tout mon temps est pris par moi, par ce que je fais… » Tel est aussi le danger pour Jésus. Serait-ce la reprise de la tentation au désert, dont l’évangéliste Marc ne nous a presque rien dit (Marc 1 / 13) ?
Mais c’est ici un autre désert, non plus celui de la tentation, mais de la prière. D’ailleurs on n’est plus « après le coucher du soleil » mais « vers le matin, alors qu’il faisait encore très sombre ». Ainsi, si l’horizon des démons est la nuit, l’horizon du Christ, l’horizon de la prière, c’est le jour qui vient. Bien sûr, Jésus savait qui il priait ! Ça nous arrive aussi, parfois… même si souvent nous nous adressons à l’une ou l’autre des fausses images de Dieu que nous avons, attendant de lui qu’il satisfasse nos désirs, et non nos besoins. Je vous l’ai dit, nos démons sont menteurs, jusque dans la prière. Et puis il y a ceux, si nombreux, qui prient sans savoir vraiment qui, ou qui prient sans même savoir qu’ils prient. Dieu écoute et reçoit toutes les prières, bien ou mal formulées, et même informulées, et même celles qui ne lui sont pas adressées, comme le cri des Hébreux esclaves en Égypte et qui ne connaissaient plus Dieu (Exode 2 / 23 ; 3 / 7).
Jésus prie, et les démons reviennent alors vers lui par la bouche de ses propres disciples : « Tous te cherchent », disent-ils. Oui, tous les démons veulent accaparer Jésus, l’empêcher de prêcher, c’est-à-dire aussi l’empêcher de les chasser. L’amener au moment où guérir ne sera plus sauver, où il ne pourra plus guérir que des maladies et non plus des malades, parce qu’il n’aura plus le temps. Mais sa prière, manifestement, lui a ouvert le chemin, celui de la prédication du salut, qu’on voit mise en œuvre avec l’histoire du paralytique quelques versets plus loin. La prière a accompli pour lui ce que lui va accomplir pour d’autres : ouvrir un chemin là où il n’y avait plus qu’un mur, comme je le disais tout à l’heure. Peut-être peut-elle aussi l’accomplir pour nous, si c’est par l’Esprit que nous prions, selon ce que Saint Paul expliquait aux Romains : « C’est en espérance que nous avons été sauvés. Or, l’espérance qu’on voit n’est plus espérance : ce qu’on voit, peut-on l’espérer encore ? Mais si nous espérons ce que nous ne voyons pas, nous l’attendons avec persévérance. De même aussi l’Esprit vient au secours de notre faiblesse, car nous ne savons pas ce qu’il convient de demander dans nos prières. Mais l’Esprit lui-même intercède par des soupirs inexprimables ; et celui qui sonde les cœurs connaît quelle est l’intention de l’Esprit : c’est selon Dieu qu’il intercède en faveur des saints. » (Rom. 8 / 24-27)
C’est donc bien l’espérance du salut qui est à l’œuvre, et non pas l’espoir de la guérison ; c’est l’espérance du salut pour toute l’humanité, et non pas l’espoir de plus de justice et de paix dans le monde. C’est l’œuvre du Christ Seigneur et Sauveur, et non celle d’un Jésus guérisseur et prophète social – ce qu’il est aussi, sans doute, mais il est loin d’être le seul dans cette catégorie-là… La conclusion du texte est éloquente : Jésus « prêche dans les synagogues et chasse les démons ». On ne parle plus de guérir les malades. Et certes pourtant il le fait. Mais plus comme un médecin : comme le Sauveur, comme celui qui est capable de pardonner les péchés, c’est-à-dire de remettre définitivement les dettes, de la part de Dieu, seul créancier. Là nous réalisons que le « démon », c’est la dette non remboursée, c’est le péché, c’est tout ce par quoi je me sais indigne de ma vocation d’être humain et de croyant ; c’est la parole du satan, l’accusateur, qui me rappelle que je ne mérite rien, que je ne vaux rien… Et moi, toujours, j’écoute cette parole, même si je la transforme pour la supporter : je la retourne contre Dieu et contre les autres, je me fais accusateur, satan, à mon tour. Telle est la force des démons, la force du péché qui agit en moi.
C’est de cela que Jésus est venu nous libérer, les uns et les autres, séparément et ensemble comme Église. Il nous faut donc écouter sa parole, qui le désigne lui-même comme l’unique vrai médecin, comme le sauveur de nos âmes, de nos vies, de notre identité d’enfants de Dieu – tous ces termes sont synonymes. Nous avons besoin – oh ! pas forcément désir, mais besoin, oui – de nous en remettre à lui, à lui seul, pour tout ce qui nous fait mal, pour tout ce qui nous détruit, pour tout ce qui, à travers nous, risque aussi d’en détruire d’autres. Oui, nous sommes pécheurs. Pas parce que nous faisons ou avons fait ceci ou cela. Mais parce que la dette en est inscrite en nous et nous condamne. Lorsque je suis attaché à Christ – tel est le sens de la foi – alors cette inscription fatale est effacée, et toutes les maladies et injustices du monde pourraient alors bien tomber sur moi, je n‘en aurais plus cure. Comme le dit Jésus dans un autre texte : « Mes brebis entendent ma voix. Moi, je les connais, et elles me suivent. Je leur donne la vie éternelle ; elles ne périront jamais, et personne ne les arrachera de ma main. Mon Père, qui me les a données, est plus grand que tous ; et personne ne peut les arracher de la main du Père. Moi et le Père, nous sommes un. » (Jean 10 / 27-30)
Cette bonne nouvelle est vraie par-dessus toute infirmité, toute finitude. Elle est vraie par-delà même la mort. Nous n’avons pas d’autre espérance qu’en Jésus-Christ. « Car il n’y a sous le ciel aucun autre nom donné parmi les hommes, par lequel nous devions être sauvés. » (Actes 4 / 12) De cette délivrance nous sommes témoins devant tous les humains. Amen.
Saint-Dié – David Mitrani – 22 octobre 2017