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Évangile selon Luc 9 / 28-34
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texte : Évangile selon Luc, 9 / 28-34
première lecture : Exode, 12 / 29-42 ; 34 / 29-35
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J’ai choisi ces textes plutôt que ceux du jour car nous sommes au lendemain de la fête de la transfiguration. Chez les sœurs de Pomeyrol, c’est une grande occasion de rencontre œcuménique avec, en particulier de nombreux orthodoxes, et l’ai eu l’occasion une fois d’y participer. J’en garde un très bon souvenir.
Cette scène de l’évangile de Luc présente une analogie avec les miracles dans la mesure où elle est chargée de rendre compte de la puissance de la parole de Dieu. Ici, Jésus est porteur d’une parole de vie, de la parole créatrice de Dieu que je vous invite aujourd’hui à rencontrer en grimpant sur la montagne avec lui.
Pour ce faire, il m’apparaît nécessaire d’éclairer certains passages de ce récit.
La proposition de Pierre de construire trois tentes peut nous paraître incongrue, sauf si l’on sait que l’épisode de la transfiguration se déroule pendant la fête de Soukkot (la fête des tentes, des cabanes ou encore des tabernacles. Cette fête de Soukkot fait partie des 3 plus importantes fêtes juives : La pâque (rappel de la sortie d’Egypte), la pentecôte, (qui célèbre le don de la loi), et Soukkot (curieusement, si nous, chrétiens, avons récupéré après interprétation Pâques et Pentecôte, nous avons totalement évincé Soukkot). Pour cette fête qui commémore l’assistance divine dont les israélites ont bénéficié lors de l’Exode, est construite la soukka qui est une construction légère et temporaire (une cabane) dont la toiture abrite d’autant moins de la pluie qu’on doit y voir le ciel. Soukkot c’est le rappel de ce départ précipité pour un long voyage à travers le désert, c’est sans doute aussi quitter le confort du chez soi fixe pour les aléas du voyage et notamment de loger sous tente. C’est surtout ce départ dans la confiance que Dieu pourvoira aux besoins de chacun. Nous y reviendrons.
Pierre propose dont d’édifier 3 tentes, une pour chacun des protagonistes. Mais, au fait, pourquoi Moïse et Elie ? Moïse apparaît dans la fête de Soukkot ? Ce ne serait pas insolite… et même assez légitime. Toutefois on peut trouver une autre raison qui paraît bien meilleure : c’est l’homme des tables de la loi et Elie le prophète qui fut annonciateur du Messie et qui s’éleva dans les cieux. Par eux sont représentées la loi et les prophètes, les 2 grandes parties de la Thora, de la Bible, de notre ancien testament. Devant eux, rayonnant, se tient Jésus avec qui ils parlent. Ça, c’est incongru… Sachant qu’à ce moment il n’y a plus d’activité prophétique dans le monde juif, comment, à quel titre ce petit juif appelé Jésus ose-t-il s’interposer dans un entretien avec des figures aussi éminentes ? Ça n’en demeure pas moins un événement capital car ce Jésus, porteur de l’Évangile, entre en dialogue avec l’ancien testament. Le Nouveau Testament discute avec l’Ancien. Puis, Moïse et Elie disparaissent laissant Jésus seul. Doit-on interpréter cette disparition comme l’obsolescence de la Thora ? La loi et les prophètes, tout ça c’est du passé, une nouvelle parole est née, on peut bien se passer de l’Ancien Testament… Aussi surprenant que ça puisse nous paraître, cette position fut soutenue par un courant théologique né au cours du 2ème siècle par Marcion et perdurera jusqu’au 5ème. La place de l’Ancien Testament a été l’objet de nombreux débats dans l’Église. Je n’entre pas dans ce débat ce matin mais je veux vous faire remarquer que tout en prenant une place prépondérante, Jésus n’efface ni la loi ni les prophètes, et d’ailleurs, il le dit lui-même, « je ne suis pas venu pour abolir le loi ou les prophètes ; je suis venu non pour abolir, mais pour accomplir » (Math 5, 17). Avec Jésus surgit un au-delà de la loi en vue de l’accomplissement des promesses, en vue de l’établissement du Royaume. Toutes les choses, l’action politique, l’argent, les grands principes ou la religion et donc même la loi ne sont que des moyens utiles en vue de cet accomplissement.
Jésus transfiguré converse avec Moïse et Élie. Le livre de l’Exode relate, nous l’avons vu, la transfiguration de Moïse, transfiguration qui résulte de sa conversation avec l’Éternel. Le (ou les) auteurs de notre récit n’a-t-il pas l’intention de rendre compte de l’autorité de Jésus ? En effet, quelle image serait mieux adaptée que celle de Moïse chargé de dire au peuple la Parole de Dieu ? Avec toutefois une différence de taille : Dieu ne donne plus des articles de loi avec leur caractère immuable. Il ne nous est plus donné une loi ou quelques nouveaux commandements gravés dans la pierre. Non, la voix qui perce la nuée dit simplement : « Celui-ci est mon fils, celui qui a été choisi. Écoutez-le. » On était dans le domaine de la loi et de sa rigidité, on entre dans le domaine de la parole vivante et on passe d’une situation d’obéissance à une situation d’écoute. Une parole qui s’adapte aux diverses situations de l’existence, mais une parole dont le but est l’accomplissement dont je parlais il y a un instant.
Quant aux relations directes ou devrai-je dire physiques des prophètes avec Dieu telle que Moïse l’expérimente par la voix du tonnerre ou la vision du buisson ardent sur le mont Horeb ou encore Élie assistant au passage de Dieu sur le même mont Horeb dans un souffle ténu, ces relations sont largement supplantées puisque Jésus est lui-même Parole de Dieu. D’autres prophètes naîtront et ne sommes-nous pas nous-mêmes appelés à prophétiser ? Mais dorénavant ces prophéties seront soumises au crible de la parole révélée par Jésus.
Il reste un épisode de cette histoire que nous n’avons pas encore exploré : le trio Moïse, Elie, Jésus s’entretient du départ de ce dernier pour Jérusalem. Le terme grec traduit ici par départ est « exodos ». Forts de notre savoir, comment ne pas revenir sur la fête des cabanes, soukkot, la célébration de la sortie d’Égypte, de l’exode. Pas plus que ne fut la marche du peuple dans le Sinaï, le voyage que Jésus va entreprendre ne sera une partie de plaisir. Au moment où l’évangéliste brosse son tableau il connaît bien la suite : le complot, la trahison de Judas, le tourment de Gethsémané et la crucifixion. Il lui est inutile d’en dire plus sur le contenu de l’échange. Mais, à ce moment, Jésus connaît-il ce funeste déroulement ? Vous avez sans doute une réponse… et quelle qu’elle soit on peut affirmer qu’il sait que son avenir, quel qu’il soit, fait l’objet du projet de Dieu. C’est à cause de ça qu’il entreprendra ce voyage avec la même confiance que celle de Moïse conduisant l’exode à la tête des Israélites. Car pour eux non plus ce ne fut pas un voyage d’agrément. Dans ce même épisode les disciples sont saisis par la peur nous dit l’évangéliste Marc et Pierre propose alors la construction de 3 tentes. Probablement pense-t-il que sous la tente, Jésus sera sous une protection particulière, une protection qui le mettrait à l’abri de tous les aléas mais en même temps qui le confinerait dans un statisme stérile : le joyau dans son écrin, la lumière sous le boisseau… Aussi nous dit-on « Il ne savait pas ce qu’il disait ». Et ça correspond bien à l’image que les évangélistes nous donnent de Pierre. Un homme bon et brave mais qui ne sait pas. Peut-être comme certains d’entre nous et sans doute comme moi. Et soudain, pendant qu’il parlait, survint la nuée, cette nuée qui est le symbole de la présence de Dieu. Elle couvre tous les acteurs, non seulement les prophètes et Jésus transfigurés mais aussi les disciples. L’image est intéressante car elle dit que tout le monde est concerné par la parole mais aussi que tous sont sous la protection de Dieu. Cette protection n’est pas réservée à une caste de privilégiés qu’ils soient prophètes, théologiens, docteurs ou à ceux qui témoignent d’une grande foi. Elle concerne tout le monde y compris ceux qui ne croient pas. La grâce de Dieu ne se mérite pas, elle est donnée gratuitement et en abondance. A ceux qui savent qu’ils l’ont reçue, donc en principe à nous, Jésus demande qu’on le suive. Suivre Jésus…, ce n’est pas un départ en vacances pour une villégiature de rêve. C’est un chemin qui par sa pénibilité ressemble fort à celui de l’exode, un chemin qui, pour Moïse et le peuple d’Israël a duré 40 ans. Mais que ce soit l’exode de Moïse ou de Jésus, ces voyages furent entrepris dans une totale confiance en Dieu. La protection de Dieu n’a pas évité à Moïse de mourir aux portes du pays de Canaan mais sa mission est remplie : le peuple libéré de la servitude prend possession de la terre promise. Le chemin calamiteux suivi par Jésus le conduira à Pâques. Pour nous mettre en marche, tout de suite, pas sous condition que tel ou tel fait soit survenu.
Enfin je terminerai par cette image : « Jésus avec ses disciples monta sur la montagne pour prier ». Plus que d’un désir de se rapprocher du ciel, j’y vois un besoin d’élargissement. Tant que l’on reste au pied de la montagne l’horizon est bouché, il y règne une certaine oppression. Gravir la montagne c’est l’élargissement de la vue, la respiration d’un air léger, la rencontre de la lumière et, corrélativement une libération de l’esprit des pesanteurs d’en – bas pour une ouverture au monde. Alors, chers amis… ne restons pas immobiles, débarrassons-nous de nos charges inutiles, mettons-nous en marche avec Jésus et grimpons… Amen !
Senones – Lisette Degrémont – 7 août 2016