Évangile selon Luc 5 / 1-11

 

texte :  Évangile selon Luc 5 / 1-11

premières lectures :  Genèse 12 / 1-4a ; première épître aux Corinthiens 1 / 18-25

chants :  43-05 et 44-08

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Rien que des textes très connus, ce matin. Rien que des textes par rapport auxquels nous ne nous sentons guère concernés, normalement. Car nous ne sommes pas Abraham. Nous ne sommes ni Juifs ni Grecs. Nous ne sommes pas les apôtres, encore moins Simon Pierre ! Ces histoires ne seraient-elles bonnes que pour les enfants de l’école du dimanche ? Ou bien allons-nous seulement faire de l’histoire ? Sûrement pas, ce n’est pas le lieu…

 

Histoire : « la foule se pressait autour de [Jésus] pour entendre la parole de Dieu. » Ce n’est plus guère le cas aujourd’hui dans notre pays, encore que ça puisse l’être en d’autres lieux. Ça, c’était donc de l’histoire et non de l’actualité. Mais avez-vous bien fait attention ? Il y a alentour des pêcheurs – avec accent circonflexe ! – des pêcheurs parce qu’on est au bord d’un lac sur lequel travaillent des entreprises de pêche. Or ces pêcheurs ne sont pas là pour « entendre la parole de Dieu ». Peut-être la synagogue le jour du shabbat leur suffit-elle pour l’entendre. Peut-être n’ont-ils guère le temps d’écouter maintenant : ils sont en train de travailler ! La scène que nous montre l’évangéliste comporte donc trois sortes de personnages : Jésus tout seul qui « enseignait les foules » ; les foules elles-mêmes, qui disparaissent assez vite puisque les barques vont quitter le rivage ; et les pêcheurs, à savoir Simon Pierre et ses associés Jacques et Jean. Les barques sont peut-être aussi une autre sorte de personnages, ainsi d’ailleurs que les poissons. Ces deux sortes semblent être des accessoires. Mais, au fait, ici, la foule aussi est accessoire. Elle fait partie du décor certes indispensable, comme les barques et les poissons, mais ce qui se passe se passe entre Jésus et les pêcheurs.

 

De même aujourd’hui il y a ceux qui « entendent la parole de Dieu », tels que Jésus les « enseigne ». Il est un maître, reconnu comme tel par les autres qu’on nommait aussi « rabbi ». Qu’est-ce qui distingue un « rabbi » d’un autre ? Une autre interprétation concrète des commandements, sans doute. La Mishna est pleine des discussions entre rabbins au sujet de telle ou telle question pratique, de telle ou telle interprétation de tel ou tel commandement de la Torah. La Mishna ne parle pas de l’enseignement de Jésus, sinon pour le rejeter à mots couverts. Si Jésus n’avait été qu’un rabbin, peut-être serait-il dans la Mishna des Juifs et alors il n’y aurait pas eu d’Église chrétienne. Mais aujourd’hui, Jésus rabbin « enseigne les foules », et nous sommes là à l’écouter, assis sur nos bancs d’église, ou moi dans ma chaire comme un répétiteur, un disciple. Vous avez noté aussi que l’évangéliste ne nous dit pas le contenu de son enseignement. Parce qu’aujourd’hui ça n’a pas d’importance. Aujourd’hui, Jésus va faire autre chose que ce que font les rabbins.

 

Lorsqu’il s’adresse à Simon – dont le nom signifie pourtant « celui qui écoute » – il ne poursuit pas son enseignement, ni ne le personnalise pour Simon et ses collègues : il aurait pu appliquer sa nouvelle interprétation au cas des pêcheurs, ceux-ci se seraient sentis concernés. Mais non. Il leur donne un ordre absurde. « Retournez pêcher là où vous n’avez rien pris, maintenant que vous venez de laver vos filets ! » Ils auraient parfaitement pu l’envoyer promener ! Peut-être le connaissaient-ils, peut-être l’avaient-ils – un autre jour – entendu prêcher ? D’où la réponse quand même étonnante de Simon, patron de pêche : « sur ta parole, je jetterai les filets ». Comme s’il était difficile de résister à Jésus, de ne pas faire ce que Jésus demande… même quand ça semble absurde ! Ils « avancent [donc] en eau profonde », comme Jésus avait dit. Et comme je vous faisais remarquer les différents personnages, je vous ferai maintenant remarquer les différents lieux : il y a d’abord « près du lac » et « au bord du lac » ; il y a les barques ; et il y a « en eau profonde », au milieu du lac. Les barques font le va-et-vient entre les deux autres lieux.

 

Près du lac il y avait Jésus et les foules, mais Jésus est parti et donc les foules aussi, mais chacun de son côté. L’enseignement du rabbi Jésus n’a pas eu de suite… Je vous ai dit qu’aujourd’hui il ne se passait rien de ce côté-là. Au milieu du lac, il y a par contre une rencontre extraordinaire entre les pêcheurs et… les poissons ! Et c’est ça, le sujet du texte ! Cette pêche miraculeuse. Mais quand on l’appelle comme ça, on ne se rend pas compte. Simon est saisi par l’aspect miraculeux, bien sûr, et les conséquences qu’il en tire sont justes, mais hors sujet. L’important n’est pas tellement pourquoi ça se passe, mais c’est que ça se passe. Ils sont pêcheurs, et ils ont pris plein de poissons là où ils n’en avaient pas trouvé auparavant. Dans « pêche miraculeuse », le mot important, c’est « pêche ». Soit dit en passant, c’est une des différences fondamentales entre la foi chrétienne et toute religion. La religion insiste sur le miracle. La foi chrétienne se préoccupe de ce qui se passe, des relations, de la vie.

 

Alors regardons ce qui se passe dans la barque. Deux choses. D’une part le résultat est que se retrouvent au même endroit Jésus, les pêcheurs et les poissons. Ce n’est pas anodin. C’était le but de la pêche. On n’en fera pas une lecture économique : ce qu’il advient des poissons ensuite, comment on les vend et qui les cuisine et qui les mange est totalement hors de propos dans ce récit, ce serait même contre-productif d’élargir la scène à ces questions-ci. La scène n’a de sens que dans les limites du récit lui-même, comme pour tous les récits bibliques et évangéliques. La fin de l’histoire racontée est donc ici pour le premier niveau de la réalité : l’ordre de Jésus et l’obéissance des pêcheurs a abouti à cette réunion finale des trois sortes de personnages, Jésus, les pêcheurs, les poissons. C’est cette constatation qui va éclairer le passage à un deuxième niveau de réalité, que Jésus va introduire.

 

Et c’est la seconde chose qui se passe dans la barque, en deux temps. D’abord la reconnaissance par Simon de la divinité de Jésus : il ne l’appelle pas « rabbi », comme l’aurait mérité l’enseignement donné, ni « maître », « patron », comme il l’avait fait sur le rivage, mais « Seigneur », ce qui dans une bouche juive ne s’applique qu’à Dieu. D’ailleurs la confession par Simon de son péché n’a de sens que devant Dieu. Le péché n’est pas une faute, c’est la distanciation entre un être humain et Dieu. Il y a donc désormais un positionnement différent de Simon envers Jésus. Cette confession du péché qui est en même temps une confession de foi toute religieuse – je vous l’annonçais : Simon est impressionné par le miracle plus qu’il n’est occupé maintenant par les poissons – cette parole de Simon va appeler en réponse le très biblique « sois sans crainte » – en français plus courant : « n’aie pas peur » ! Le Dieu de la Bible ne veut pas d’une crainte religieuse, il attend la foi, la confiance.

 

Et c’est alors que Jésus peut révéler à Simon le sens de la pêche réalisée : c’est l’image du service auquel Jésus l’appelle. Le but de la mission confiée à Simon – et aux autres – c’est ce qu’ils ont vu dans la barque : la réunion de Jésus, des pêcheurs et des poissons attrapés en eau profonde et non sur le rivage. Simon devient donc « pêcheur d’hommes » ou plutôt il « attrapera vivants des humains », si l’on voulait traduire vraiment littéralement. Donc pas de vente ni de cuisine ! Le mot utilisé ne veut pas dire « pêcheur ». Ce qui s’est passé sur le lac n’était qu’une image d’une autre réalité, celle dans laquelle Jésus veut qu’intervienne de manière originale Simon : attraper vivant des humains qui, sinon, resteraient au fond de l’eau. Il s’agit donc bien d’une pêche particulière : c’est un sauvetage ! Un sauvetage d’êtres humains ! Les retirer de l’eau et les mettre en présence de Jésus. C’est la mission chrétienne.

 

Mais cette mission ne se fait pas dans une barque ni sur l’eau. Elle se fait « à terre », là où sont les vraies gens. Elle ne se fait pas en faisant autre chose. Elle se fait en suivant soi-même Jésus. « Alors ils ramenèrent les barques à terre, laissèrent tout et le suivirent. » Évidemment. Même si c’est exprimé ici de manière très radicale. Mais du coup il nous faut, aujourd’hui, distinguer un peu deux cas. Premier cas : la professionnalisation ! Il y a dans l’Église chrétienne des gens dont c’est le ministère à plein temps d’aller « attraper vivants des humains » non pour le seul plaisir de les attraper, mais pour les amener dans la barque où est Jésus, barque qui n’est plus de bois mais qui est désormais ce qu’on appelle le « Royaume de Dieu ». Souvent les pêcheurs en question n’ont pas été appelés dans la foule de ceux qui écoutaient l’enseignement chrétien, mais à côté, comme Simon et ses collègues, parfois même contre, comme l’apôtre Paul. C’est bien normal, il y faut souvent un zèle de converti !

 

Mais second cas : le bénévolat ! Dans l’Église chrétienne, ceux dont ce n’est pas le ministère à plein temps sont pourtant, eux aussi, appelés à la même mission, non pas ailleurs comme les premiers, mais là où ils vivent. À ce titre ils méritent le nom de « paroissiens » (1 Pierre 2 / 11), et, chers frères et sœurs, c’est vous ! Vous n’avez pas vocation à figurer dans « la foule » du début de notre texte, « pour entendre la parole de Dieu » et vous en retourner chez vous, peut-être contents ou rassurés, peut-être énervés ou blasés, mais sans qu’elle ne déteigne sur votre existence et vos relations. Jésus n’est pas chez nous, mais dans la barque. Comme le rappelle le verset que nos catéchètes ont placé ici il y a quelques années pour Pâques : « il n’est pas ici, il est ressuscité » (Marc 16 / 6). Le Seigneur n’est ni dans nos cimetières, ni dans nos maisons, ni dans nos temples. Il nous attend dehors, vivant. Or dans notre récit il n’y a que deux rôles qui vous restent : poissons ou pêcheurs !

 

Et il faut bien que vous ayez été d’abord poissons – je veux dire : humains repêchés de la noyade – pour pouvoir être appelés à cette étonnante pêche à votre tour. Là où vous êtes, dans la cité qui est la vôtre, et avec les moyens que Dieu vous a donnés. N’en cherchez pas d’autres. Comme l’Éternel le disait à Gédéon : « Va avec cette force que tu as » (Juges 6 / 14), pas une autre, plus grande, meilleure, divine ; non : celle dont tu fais preuve habituellement, si tu l’as c’est que c’est Dieu qui te l’a donnée, et c’est pour que tu t’en serves aussi pour sa mission ! C’est pour ça que Jésus a utilisé cette image en acte : la pêche, pour des pêcheurs ! Vous n’êtes pas des pêcheurs, mais vous avez d’autres dons, d’autres compétences, c’est avec elles que vous êtes envoyés pour vivre dans votre propre lieu mais de nouvelle manière, derrière Jésus, pour « jeter vos filets » dans « l’eau profonde » de notre siècle. Et si, comme tout le monde, vous ne savez pas comment faire, demandez à Jésus, il vous dira où les jeter, ces filets que vous savez manier, vous. Vous n’y êtes pas seuls : il est là, par et avec son Esprit. Comme vous le savez, Matthieu termine son évangile par cette phrase de Jésus : « Voici : je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde. » (Matth. 28 / 20) Ce n’est pas pour en être contents et c’est tout. Non. C’est pour nous en servir dans la mission qu’il nous donne. Il est là : suivez-le, partez à la pêche ! Amen.

 

Saint-Dié  –  David Mitrani  –  12 juillet 2020

 

 

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