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Évangile selon Luc 3 / 1-15a
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texte : Évangile selon Luc, 3 / 1-15a (trad. : Bible à la colombe)
premières lectures : Ésaïe, 60 / 1-11 ; Psaume 126
chants : 31-04 et 31-09 (Alléluia)
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« Le peuple était dans l’attente. » C’est la dernière phrase de l’extrait de l’Évangile selon Luc, que je vous ai lu. Elle récapitule non seulement les quelques dialogues exprimés auparavant autour du baptême de Jean au Jourdain, où chaque groupe exprimait cette attente, suite à la prédication, disons, assez violente, du Baptiste, en lui posant la question du « Que faire ? » Mais elle récapitule aussi toute une ambiance. Les Juifs de ce temps-là attendaient. Leur attente se déclinait de plusieurs manières. Attente messianique pour les uns, sacerdotale pour d’autres, révolutionnaire souvent : c’est que le pays était occupé par des païens, dirigé par des collaborateurs de l’occupant, desservi par des prêtres impies ou ressentis comme tels, etc. Ce que Luc rappelle sous prétexte de dire une date : il nous donne les noms ! « Car voici que les ténèbres couvrent la terre et l’obscurité les peuples », nous disait déjà Ésaïe.
Or cette constatation est toujours actuelle : les media nous redisent à l’envi combien les perspectives sont sombres, que ce soit au niveau électoral, économique, social, militaire, international. Bref, nous sommes des nuls, et, au cas où nous ne le saurions pas, d’aucuns se chargent de nous en prévenir. Ce bourrage de crâne étant dénoncé, il n’empêche que la situation de beaucoup de gens de par le monde n’est pas fameuse, que celle de la planète semble problématique, et que notre pays lui-même se fut mieux porté qu’aujourd’hui. Et si cette constatation peut susciter du désespoir – ce qui ne ferait qu’empirer les choses – elle peut aussi, plus positivement, susciter une attente. Les textes de ce matin nous disent donc, à leur manière, cette attente, et je vous invite tout d’abord à y retrouver la nôtre, même si nous ne la dirions pas forcément avec ces mots-là.
Qu’entendons-nous selon le prophète ? « Tu seras couverte d’une foule de chameaux, ainsi que de dromadaires de Madian et d’Épha ; ils viendront tous de Saba ; ils porteront de l’or et de l’encens… » Je ne sais pas si votre rêve est de voir la vallée du Rabodeau ou toute la Déodatie recouverte de chameaux ! D’or, peut-être plus… Vous me direz que d’autres phrases du prophète sont moins terre à terre. Mais certes, si l’on attend que « la gloire de l’Éternel se lève », cela se manifestera, selon ce texte, par l’amoncellement de richesse et de puissance pour le peuple de Dieu, auquel se soumettront toutes les nations. Et aussi par le retour de tous les enfants d’Israël sur leur terre. C’est donc aussi une attente de rétablissement, de pardon, mais qui là encore se manifestera par un bonheur tout ce qu’il y a de plus humain, pour les individus comme pour tout le peuple.
Le psaume que je vous ai lu également se concentre sur l’attente du retour, du rétablissement, en parlant des « captifs de Sion ». Donc sur l’attente de quelque chose de moins trivial que les richesses matérielles. Mais quand même sur un avenir radieux humainement, réjouissant pour soi et visible par les autres. Pourtant, après avoir annoncé ce retour comme s’étant déjà produit, le psaume demande à Dieu d’opérer cette libération. Étrange mouvement qu’on attendrait inverse. Mais c’est signe, sans doute, que la satisfaction d’une attente tellement humaine – et tellement légitime – ne saurait se suffire à elle-même. C’est signe que notre désir, tel que nous le comprenons, n’est peut-être pas le tout de notre attente véritable, et que le satisfaire trop vite ne peut que nous laisser insatisfaits ! Pour ne pas l’avoir compris, combien de parents ont-ils gâté leurs enfants et leur propre existence ?!
Alors, quelle est notre attente, notre prière, notre espérance ? Le texte de Luc est sûrement le plus proche de nous. Comme les gens qui allaient écouter le Baptiste, nous avons conscience du mal-être de notre monde, et du nôtre à chacun, conscience de notre responsabilité, que tout nous rappelle à tout instant, même si nous la refusons. Nous sommes minés de l’intérieur et de l’extérieur par cette culpabilité devant « les ténèbres » qui nous environnent et nous pénètrent. Et lorsque nous ne la rejetons pas sur les autres dans la violence de nos relations, alors nous prêtons l’oreille au Baptiste. Il nous dit que nous devons aplanir la route du Seigneur pour qu’il vienne et nous réconforte, nous relève, nous rétablisse. C’est donc à nous de faire, par crainte du Jugement qui ne fera sinon qu’entériner ces ténèbres, les nôtres.
Tout à l’heure, nous avions des attentes, j’allais dire : bêtement ou bassement matérielles : nos « chameaux » ! Mais maintenant, c’est plus grand. Car certes c’est l’attente du pardon, puisque comme le dit l’évangéliste à propos de Jean : « il prêchait le baptême de repentance, pour le pardon des péchés ». C’est un peu comme dans le psaume, car l’attente du retour, c’est aussi l’attente de mon retour vers Dieu. Et qu’est-ce qui peut l’accomplir, ce retour, sinon le pardon reçu de Dieu ? Mais dans cette attente, comme le psaume 126 le remarquait, nous sommes toujours insatisfaits, car toujours en demande, toujours en attente du pardon. C’est sans doute que, pour l’obtenir, il y a des choses à faire, des commandements à observer…
Et c’est ainsi que les différents groupes de gens interrogent le Baptiste : « Que ferons-nous donc ? » Or le prédicateur répond à cette question, comme vous l’avez entendu. Il y répond de manière beaucoup plus douce que ne l’aurait laissé penser son attaque violente contre « tout arbre qui ne produit pas de bon fruit ». Les fruits attendus sont donc pour tout un chacun de donner de son superflu à qui est en manque du nécessaire, et d’accomplir honnêtement son travail quand on est dans une situation qui permettrait d’abuser des autres en les rançonnant ou en les maltraitant. Et là, vous pourrez dire que vous le faites, encore que nous puissions avoir du mal à évaluer vraiment la taille de notre superflu ! Le jeune homme riche aussi avait fait tout ce qui était demandé (Luc 18 / 18-21) ; pourtant, comme le psalmiste, il était insatisfait de ce que son obéissance ne répondait pas à son désir qui était toujours là, désir d’autre chose, désir de Dieu lui-même peut-être, plus que désir de ce que Dieu peut donner…
Alors, si nous faisons ce que nous devons faire, et que nous attendons pourtant toujours, serait-ce que le Baptiste s’est trompé ? Vous savez bien que lui-même, depuis sa prison, se posera la question, et la fera poser à Jésus (Luc 7 / 19). Je ne prêcherai pas ce texte maintenant. Mais je veux simplement que nous remarquions qu’effectivement, le Baptiste se trompe. Pourquoi ? Parce que son attente, c’est que nous nous comportions comme si nous étions restaurés dans la communion avec Dieu, rendus hommes et femmes nouveaux, alors-même que ce qu’il nous demande, c’est pour que nous y parvenions. Pour que Dieu fasse de vous des gens bien, soyez des gens bien et Dieu vous en rendra capables. C’est un peu circulaire, n’est-ce pas ! Finalement, attendre la richesse ou attendre la morale, c’est un peu la même chose : c’est de l’ordre du fantasme, un fantasme qui nous place nous-mêmes au centre de notre attente, alors-même que nous croyons que c’est pour les autres !
Jean attend donc la conversion de ses auditeurs. Mais alors, pourquoi « en vue du pardon des péchés » ? À quoi celui-ci servira-t-il, si nous sommes capables de ne plus être pécheurs par nous-mêmes ?! Dans ces textes, d’une manière ou d’une autre, oui, c’est notre attente qui est soulignée, mais aussi c’est notre attente qui nous est montrée comme dévoyée. Nous attendons de Dieu qu’il nous donne ce qui nous manque, ou qu’il augmente ce que nous avons déjà ou ce dont nous sommes capables sans lui. Et pourtant le psaume, comme l’évangéliste avec sa dernière phrase, nous montrent du doigt que cela ne marche pas : le psaume comme je vous l’ai montré, en appelant la libération après avoir cru qu’elle avait eu lieu, et notre évangile en soulignant l’attente du peuple après avoir entendu les conseils du Baptiste.
Si Jean se trompe d’attente, n’est-ce pas parce qu’il se trompe sur Jésus, comme il le craindra ; n’est-ce pas parce qu’il se trompe sur Dieu ? Je ne sais pas, en fait, si nos attentes correspondent à la caricature que je vous en ai faite. Mais ce dont je suis sûr, c’est que très souvent, dans cette attente de lui, nous nous trompons sur Jésus, nous nous trompons de Jésus ! Je vous le suggérais tout à l’heure, nous espérons un Dieu qui satisfasse nos désirs exprimés ou cachés : qui nous remplisse de bien(s), avec ou sans s. Nous attendons pour nous, pour les nôtres, pour notre Église, pour notre monde, un Dieu puissant qui nous rende puissants – que cette puissance soit en richesse, en pouvoir, en bonté, en foi même : « augmente-nous la foi » (Luc 17 / 5) ! Et comme les auditeurs du Baptiste, nous sommes prêts à des efforts pour ça, pour payer cette puissance que nous désirons tant.
Chers amis, rappelons-nous donc que Jésus n’a pas été un tel Dieu, païen et fantasmatique. Il n’a pas, contrairement à Jean Baptiste, témoigné d’un Dieu qui attendait qu’on lui ouvre la route, mais au contraire c’est lui qui est venu nous ouvrir la route à nous. Lui, le Seigneur, s’est fait serviteur, pour que notre propre puissance consiste en service, à son image. Et c’est bien ce dont témoigne le baptême chrétien, qui, lui, n’est pas un signe de bonne volonté en vue d’un pardon à obtenir ; il est la parole de Dieu par laquelle nous sommes pardonnés sans l’avoir mérité. On comprend bien alors que, au Jourdain, les gens continuaient d’attendre : ils n’avaient rien obtenu, croyant y avoir droit. Nous, nous savons que nous n’y avons pas droit, et que pourtant nous avons reçu ce pardon, cette restauration de notre identité d’enfants de Dieu, gratuitement, en Christ. Or, ayant reçu cela, « nous avons tout pleinement » (Col. 2 / 10). Et ayant tout, nous n’avons plus besoin de rien. Notre attente n’est plus alors que de voir ce que nous croyons, de contempler ce qui déjà nous fait vivre. Tout comme l’amoureux n’attend rien de l’aimée, sinon elle-même, le croyant n’attend rien de Dieu, sinon Dieu lui-même, sa présence aimante enfin sensible, sa venue enfin connue de tous et profitant à tous, car « même ceux qui l’ont percé le verront » (Ap. 1 / 7).
Les exhortations morales du Baptiste sont-elles donc caduques ? En tant que commandements permettant de hâter la venue du Seigneur, oui ! C’est son amour qui a voulu, permis et réalisé cette venue. Le but de la morale n’est plus d’obtenir quelque chose de Dieu, mais de permettre la vie en société, en particulier celle des plus faibles. Le chrétien est libéré de se préoccuper de son salut, c’est-à-dire de lui-même, serait-ce en étant bon pour les autres. Il peut donc se préoccuper d’eux, pour eux, et c’est le lieu privilégié de son témoignage chrétien, témoignage de ce que nous n’attendons plus rien pour nous-mêmes qui avons tout reçu, mais que nous attendons le Seigneur pour les autres, pour ceux qui ne le connaissent pas encore, pour ceux qui se méprennent sur lui et sur leur propres attentes. Puisse cette attente-là, cette espérance de la foi, trouver sa réponse en celui « qui est venu pour servir et donner sa vie en rançon pour la multitude » (Matt. 10 / 28). Que le monde se réjouisse : il vient ! Amen.
Senones – David Mitrani – 6 décembre 2015