Évangile selon Luc 23 / 32-49

 

texte :  Évangile selon Luc, 23 / 32-49   (trad. : Bible à la colombe)

premières lectures :  Ésaïe, 53 / 1-12 ; deuxième épître aux Corinthiens, 5 / 14b-21

chants :  33-08 et 33-13  (Alléluia)

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Beaucoup de personnages dans ce récit, n’est-ce pas ? Plus que dans beaucoup d’autres. C’est que tout l’Évangile se récapitule dans cette exécution capitale. Il y a Jésus, bien sûr. Pas d’Évangile sans lui. S’il n’était pas là, pas là sur la croix, pas là dans notre religion, alors il n’y aurait que mythologie et superstition, et les matérialistes auraient raison. Dieu sans le Christ est une idole, souvent mensongère, souvent sans intérêt. Ce n’est qu’un veau d’or… (Exode 32 / 4) Mais non : Jésus est là, au centre. « Nul ne vient au Père que par [lui]. » (Jean 14 / 6) Et autour, donc, beaucoup de gens : les deux autres condamnés à mort, nommés « malfaiteurs », les « on » ou « ils » qui désignent les exécuteurs, « le peuple », les « chefs », « les soldats » désormais nommés, et plus spécifiquement à la fin du récit leur capitaine, « les foules », et enfin, « à distance », « tous ceux qui connaissaient Jésus, et les femmes… » Et « l’inscription » exposant le motif de la condamnation dit elle-même quelque chose.

 

Les seuls personnages importants à ne pas être nommés en tant que tels sont les disciples, seulement par périphrase. C’est qu’ils ne sont pas là, eux. C’était sans doute trop risqué, ils se cacheront de la police jusqu’à la Pentecôte. Et ensuite, d’ailleurs, ils se feront effectivement arrêter. Mais peut-être leur absence dit-elle plus que cela. Hier, au cours du repas, à l’annonce de la trahison de l’un d’entre eux, ils s’étaient exclamé tour à tour un triste et angoissé « Pas moi ? » sans obtenir de réponse. (Marc 14 / 19) Et puis, les croyants préfèrent toujours les veaux d’or, qui ne souffrent pas, qui ne changent pas, qui ne parlent pas, et qui brillent ! Mais un Dieu crucifié ?… Difficile à croire, difficile à vivre, difficile d’en témoigner… Donc, pas de disciples.

 

Mais tous les autres ou presque ont une même parole : « sauve-toi toi-même ! » Fascinés par la mort d’un autre, coupable désigné à leur place – ouf ! – et en même temps envieux. Car s’il le faisait, s’il descendait de la croix, comme il en rêve dans La dernière tentation du Christ, vous savez, le roman de Kazantzakis devenu un film de Scorsese qui avait fait scandale quand il est sorti, eh bien tout le monde serait ébahi, tout le monde reconnaîtrait le miracle, la divinité de Jésus. Il serait devenu un veau d’or vivant, un Dieu qui brille et qui épate la galerie. Le diable aurait gagné… Car c’est bien le tentateur qui parle par leur bouche, le même qui avait déjà été là au désert, après le baptême de Jésus (Luc 4 / 13). Et puis, les gens seraient contents !

 

Car on entend bien, dans cette parole « sauve-toi toi-même », une évolution. D’abord c’est « il a sauvé les autres », ce qui est vrai s’il est question de guérison, mais qui est faux quant au salut qui, lui, viendra de la croix, pas de ce que Jésus avait fait d’autre. Ensuite, on ne parle plus des « autres ». Et enfin, l’un des deux autres crucifiés rajoute « et sauve-nous ! ». L’évangéliste nous fait comprendre comme notre salut est lié à celui de Jésus, mais aussi comment son salut est lié à sa mort, et non pas au fait d’éviter cette mort. Toux ceux, dans ce courant chrétien des origines qu’on appelle le docétisme, puis dans l’islam, qui refuseront cela, qui refuseront cette mort, n’auront rien compris à l’Évangile. La victoire du Christ sur la mort est effectivement notre victoire, mais il n’était pas possible qu’elle eût lieu sans traverser la mort. Et ça, c’est le dernier des trois crucifiés qui l’a compris, c’est son témoignage que nous recevons aujourd’hui. À défaut des compagnons absents de Jésus, c’est lui le disciple, c’est lui le chrétien, c’est lui qui nous désigne le Christ véritable et non pas une idole.

 

Il est le chrétien jusque dans la confession de son péché : « nous recevons ce qu’ont mérité nos actes », dit-il à son compagnon. S’agissait-il de banditisme, ou bien de résistance aux Romains, ou de quelque chose d’autre ? Peu importe, le péché est multiforme, et si tous les crimes ne se valent pas, le moindre écart est un écart, et celui qui ne marche pas sur la route marche en-dehors, qu’il soit à un mètre seulement ou à des années-lumière ! Ainsi, en-dehors du Christ, nous sommes morts parce que c’est ce que nous gagne notre existence. Pour garder l’image de la route, en-dehors d’elle nous sommes certes à côté, mais à côté c’est un précipice, et c’est pour ça que la taille de l’écart ne compte pas : nous sommes en bas de toute façon… La prière du condamné reste humble, elle résonne avec la parole de Job, qui confessait : « mon Rédempteur est vivant, il se lèvera le dernier sur la terre, après que ma peau aura été détruite ; moi-même en personne, je contemplerai Dieu. » (Job 19 / 25-26) Que celui qui rachète le pécheur soit là-bas, au fond du trou… !

 

Mais Jésus lui dit autre chose. Non pas qu’il va descendre, tomber, dégringoler en un quelconque lieu infernal. Mais qu’il va monter. « Aujourd’hui tu seras avec moi dans le paradis. » À travers la mort, c’est vers le haut que nous sommes tirés, c’est vers la vie et non pas vers le néant. Et c’est Jésus qui est l’auteur de ce renversement, c’est sa mort à lui qui transgresse la néantisation qui devrait être le salaire du péché. Mais cette parole n’est Évangile que pour ceux qui l’entendent et lui font confiance, et pas seulement au moment de la mort physique – ce serait bien tard pour en profiter pleinement ! C’est chaque fois que les puissances mortifères nous agressent ou nous tentent, chaque fois que le mal se présente à nous de manière plaisante, chaque fois que nous sommes tentés par nos compagnons, pourtant coupables et crucifiés tout comme nous autres. Oui, c’est alors que nous pouvons nous tourner vers Jésus non pas pour exiger de lui – à quel titre ? – mais pour lui faire confiance.

 

Alors, dans la confiance, dans la foi, nous pouvons l’entendre nous parler de « paradis » et nous dire que c’est pour aujourd’hui. C’est aujourd’hui que nos tentures religieuses se déchirent pour laisser voir que Dieu n’était pas derrière. C’est aujourd’hui que change le cours des astres et des temps. Il n’y a pas de destin, et tout ce qui est écrit, c’est que la mort de Jésus est notre vie. Nos œuvres ne sont rien, ne nous gagnent rien. Nous avons tous besoin d’être repêchés, et mieux que cela, l’Esprit de Jésus nous donne des ailes ! Là où l’existence humaine nous plombe, il nous tire vers en-haut, pour que nous puissions la vivre autrement, comme une promesse de « paradis » qui se réaliserait déjà ici-bas. Le « malfaiteur » crucifié avec Jésus n’aura pas eu cette liberté. Nous, nous l’avons, si nous tenons à Christ pour cette vie et pour la vie éternelle. Ce n’est en aucune façon une récompense. C’est un cadeau. Christ est mort pour nous l’offrir. Qui ne voudrait en profiter ? Amen.

 

Saint-Dié (Vendredi saint)  –  David Mitrani  –  14 avril 2017

 

 

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