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Évangile selon Luc 22 / 39-46
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texte :
Après être sorti, [Jésus] alla, selon sa coutume, au mont des Oliviers. Ses disciples aussi le suivirent. Arrivé à cet endroit, il leur dit : « Priez de ne pas entrer en tentation. » Puis il s’écarta d’eux d’environ un jet de pierre, se mit à genoux et pria, en disant : « Père, si tu le veux, éloigne de moi cette coupe. Toutefois que ce ne soit pas ma volonté, mais la tienne, qui soit faite. » Alors un ange lui apparut du ciel, pour le fortifier. En proie à l’angoisse, il priait plus instamment, et sa sueur devint comme des grumeaux de sang, qui tombaient à terre. Il se releva de sa prière et vint vers les disciples, qu’il trouva assoupis de tristesse, et il leur dit : « Pourquoi dormez-vous ? Relevez-vous, priez, afin que vous n’entriez pas en tentation. »
première lecture : Évangile selon Jean 13 / 1-15. 34-35
chants : 24-03 et 24-05
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prédication :
Le temps de l’épreuve. Dites « tentation » si vous voulez… Un temps où s’effacent les certitudes, où monte l’angoisse de ne pas y arriver. Un temps où les choses se décident enfin. Pourtant, lors du dernier repas – mais on ne savait pas encore que ç’aura été le dernier – lors du dernier repas donc, il ne semblait pas qu’on en fût là. Le seder de la Pâque est un repas sérieux mais joyeux célébrant la libération, rendant grâces au Dieu qui a libéré son peuple de la servitude. Et comme souvent dans le récit évangélique, rien n’indique que les disciples de Jésus aient pris au sérieux, comme d’une actualité brûlante, l’annonce de sa mort. Encore qu’ils s’y fussent préparés avec armes et bagages, au sens propre. Et les voilà au Mont des Oliviers, leur retraite habituelle à Jérusalem, face au Temple. Jésus devant, et eux qui suivent, comme il convient à des disciples. Mais pour faire quoi ?
Pour prier. Jésus le leur annonce : « Priez de ne pas entrer en tentation. » C’est l’avant-dernière demande du « Notre Père » (Matth. 6 / 13). L’épreuve s’annonce, mais nous savons que nous n’aurons pas la force de tenir bon ; c’est pourquoi nous prions « de ne pas entrer en tentation », nous prions pour que l’épreuve nous soit évitée. C’est exactement ce que Jésus va faire ici, une fois de plus précédant et donnant l’exemple à ses disciples. Mais ce n’est pas un enseignement : sa vie est en jeu ! Comment d’ailleurs peut-on donner un enseignement de vérité, un enseignement vital, sans que précisément la vie de l’enseignant ne soit en jeu ?! Faut-il s’étonner qu’un enseignement ne soit pas reçu ni suivi d’effet lorsque l’enseignant est extérieur à sa propre parole ? Mais avec Jésus ce n’est pas le cas.
Or la tentation est multiforme. Avant notre extrait, et face à l’imminence de la fin, c’était la tentation du pouvoir. Rappelez-vous des deux fils de Zébédée qui réclamaient à l’avance les meilleures places après la victoire (Marc 10 / 35-37) ! Et puis, juste avant l’extrait de ce soir, ils ont pris des armes (v. 38). Quelle va être la tentation maintenant ? La peur de l’échec ? L’envie de fuir l’épreuve ? Certes, je vous l’ai dit, et c’est bien normal : plutôt la tranquillité que le combat, plutôt la victoire que la déroute, et même plutôt la victoire sans combattre ! Mais nous ne sommes plus aux Rameaux, Jésus est seul avec ses disciples, l’élan populaire s’est brisé, et il s’est brisé avec la complicité de Jésus qui n’a jamais voulu être roi, sachant que les rois ont vocation à être renversés lorsqu’ils ne servent plus. Le pouvoir est une illusion : quand donc les disciples le comprendront-ils, quand donc les chrétiens le comprendront-ils… ?
Il va donc bien falloir « entrer en tentation », comme dit la traduction actuelle du « Notre Père » ainsi que notre texte. Il va bien falloir passer l’épreuve : à Jésus en tout cas elle ne sera pas épargnée. Pourtant il a mis en œuvre pour lui-même sa recommandation aux disciples. Mais la prière n’est pas une commande à Amazon où on reçoit le plus vite possible le colis demandé ! La prière est une rencontre entre celui qui prie et celui qu’il prie, à savoir Dieu, le Père. D’autres évangélistes développent plus que Luc cette prière de Jésus à Gethsémané. Mais le contenu est toujours le même : cette prière permet à Jésus d’accepter l’épreuve, d’entrer dans sa Passion, d’affronter la mort qui vient. Vous avez bien entendu combien cette décision fut difficile, combien elle fut déjà un avant-goût amer de la mort elle-même. Car telle est l’épreuve, qu’elle scelle l’inéluctable. Jésus aurait pu partir, abandonner, fuir sa mission, fuir son identité-même… Mais fuit-on ce qu’on est, ce pour quoi on est là ? Il aurait pu : la libération célébrée lors du repas rendait libre ! Mais de même qu’autrefois il n’y avait pas de liberté hors de la Terre promise, sans traverser la mer et le désert, de même pour Jésus : pas de vie sans passer par la mort. Pas de vie pour lui, et pas de vie pour nous…
Aussi, lorsque l’épreuve est passée, et a été gagnée, l’évangéliste nous dit de Jésus : « se relevant », comme il avait été dit dans le même évangile de Marie, de la belle-mère de Simon, du paralytique, de Lévi, de l’homme à la main sèche, du fils prodigue, du lépreux, etc. Ce verbe tout simple, banal, est l’un des deux qu’on a traduit par « ressusciter ». Une telle « résurrection », une telle « remise sur pied », est donc celle qui suit les guérisons, mais aussi les départs. Dans notre texte, elle conclut la prière de Jésus. Elle termine l’épreuve. Celle-ci se passait « à genoux », dit le texte. Mais la liberté se vit debout ! Et c’est aussi à se relever que les disciples sont alors invités. Cela n’aurait pas été possible si Jésus n’avait pas passé et réussi l’épreuve, pour lui, pour nous. Mais sa Passion, avec tout ce qu’elle comporte, nous a acquis la liberté, à nous qui le suivons.
Pourtant, il renouvelle son exhortation, quoiqu’un peu différemment : non plus « priez de ne pas entrer en tentation », mais « priez afin que vous n’entriez pas en tentation ». Ce n’est plus le contenu de la prière, mais ce que la prière opère. L’accent est donc mis sur la prière, quelle qu’elle soit. C’est-à-dire sur le fait de se mettre en présence de Dieu, de se tourner vers lui. Ce qui, semble-t-il, devrait nous éviter « d’entrer en tentation ». Or ce n’est pas ce que nous faisons, non plus que les disciples à Gethsémané ce jour-là. « Assoupis de tristesse », comme a traduit Chouraqui. L’ambiance de l’entrée de Jésus dans sa Passion commence à leur déteindre dessus, mais pas comme Jésus le voudrait, pas comme il le leur a proposé. Ont-ils « prié de ne pas entrer en tentation » ? Se sont-ils assoupis en priant, ou bien avant même de prier ? Ou bien l’épreuve était-elle pour Jésus seul ?
Nous sommes donc comme ces disciples. Lorsque l’épreuve approche, elle nous attriste, nous démolit, et souvent nous préférons dormir d’une manière ou d’une autre pour « ne pas voir ça » … Or ici Jésus nous indique un autre moyen non pas de fuite, mais néanmoins d’évitement : être debout, comme des ressuscités, et prier : cela nous évitera la tentation, l’épreuve. La prière à genoux, le chemin vers la croix, c’était pour Jésus ; la prière debout, après son épreuve à lui, cette prière-ci est pour nous. Nous sommes au bénéfice de son épreuve à lui, pas d’une quelconque nôtre. Face à un danger ou une possible situation de malheur, notre prière ne devrait pas être que Dieu nous évite l’épreuve, mais plutôt de lui rendre grâces que cette épreuve ait été gagnée pour nous par Jésus. Ce me semble bien être le sens de ce changement de grammaire entre la première exhortation de Jésus avant sa propre prière et la seconde ensuite, juste avant que Judas et la foule qui le suit n’arrivent. « Vous relevant, priez », dit Jésus. « Vous êtes ressuscités, agissez comme tels, c’est pour vous que moi, j’ai passé l’épreuve et vais aller jusqu‘au bout. »
Dans nos liturgies, après la célébration de la cène, puis l’intercession, le culte se termine et nous sortons. Nous sortons et nous affrontons les épreuves, les tentations, et souvent nous échouons, nous tombons. Serait-ce que la prière, une prière digne des ressuscités, nous fait défaut ? Je ne parle pas de l’intercession, que nous vivons souvent comme un catalogue de demandes plus ou moins pour les autres, que nous adressons à Dieu au cas où il serait là à nous écouter. Prière à genoux sans épreuves, sans certitude non plus, presque machinale. Pas une prière de ressuscités, de chrétiens debout devant leur Père. Pourtant tel devrait être la sainte cène en tant que mémorial : nous tenir debout devant Dieu pour lui rappeler – manière humaine de parler – pour lui rappeler que Christ a déjà passé l’épreuve, et que sa mort nous a acquis la victoire, afin que toute épreuve passe loin de nous.
Ainsi la cène n’est-elle pas seulement le souvenir d’un repas d’il y a 2 000 ans, mais à travers la communion réelle avec le Christ, elle est notre prière, ou plutôt le début de notre prière, pour profiter en présence de Dieu de ce que le Christ a fait pour nous. Pour en profiter à longueur de journée. Lorsque malheur ou échec arrivent, notre question ne devrait pas être alors de « pourquoi cette épreuve », mais de comment vivre ce qui nous arrive ou risque de nous arriver non pas comme une épreuve, mais comme la victoire de Christ sur la mort au cœur-même du malheur et de l’échec. Dire merci à Dieu non pas du malheur ou de l’échec, bien sûr, mais de notre victoire en Christ au milieu de ça. Affronter échec et malheur comme des chrétiens victorieux et non pas dans les lamentations de ceux qui ne se savent pas sauvés.
Alors, en célébrant la cène – et combien elle nous est souvent nécessaire ! – certes nous pensons à la mort du Christ : « vous annoncez la mort du Seigneur jusqu’à ce qu’il vienne », écrivait Paul (1 Cor. 11 / 26). Mais pensons aussi, réalisons alors, qu’avec lui nous sommes ressuscités, et que ce repas nous en est aussi le signe : nous y recevons nourriture de vie éternelle, ou, comme on disait dans la primitive Église, « remède d’immortalité » (Ignace d’Antioche aux Éphésiens, 20 / 2). Il faut alors en tirer la conséquence dans notre vie de tous les jours, dans le bonheur et le malheur, pour soi et dans la relation avec les autres et avec la société. Celui qui s’est donné gratuitement pour nous, nous le recevons en partageant la cène, afin de vivre de sa vie dès maintenant, et non pas pour continuer à courber l’échine sous nos misères. Alors « prions sans cesse » (1 Thess. 5 / 17) et avançons dans cette vie nouvelle qui nous est offerte. Amen.
Saint-Dié – David Mitrani – 6 avril 2023