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Évangile selon Luc 21 / 25-33
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texte : Évangile selon Luc 21 / 25-33
premières lectures : Ésaïe 63 / 15 – 64 / 3 ; épître de Jacques 5 / 7-11
chants : 31-10 et 31-01
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Nous venons de chanter « viens dissiper l’obscurité ! ». Mais notre texte de ce matin parle d’autre chose. Les images qu’il utilise sont plus brillantes et plus bruyantes, au moins dans mon imagination à moi. « Des signes dans le soleil, dans la lune et dans les étoiles », qui dans la Genèse sont des lampes, ne l’oublions pas (Gen. 1 / 15-18). Non pas donc l’obscurité, mais des troubles dans la lumière, peut-être des troubles qui obscurcissent la lumière, comme le décrit l’Apocalypse de Jean (Apoc. 8 / 12). Des troubles. C’est bien le sens de notre texte, qui souligne deux phrases plus loin que « les puissances des cieux seront ébranlées. » Plus que des troubles : un ébranlement, un chamboulement, les choses les plus solides au monde qui vont vaciller, comme si la création allait se défaire.
La question sur laquelle les théologiens se disputent depuis 2.000 ans, et déjà à l’époque du Nouveau Testament d’ailleurs, est celle-ci : est-ce que ce texte parle d’aujourd’hui, de bientôt, de plus tard ou de dans très longtemps ? Avant que la science revienne sur le devant de la scène dans notre culture européenne, la moindre turbulence céleste faisait peur aux gens, car renvoyant à ce qu’annonce notre texte. Ainsi des éclipses, des pluies de météorites, des supernovæ, etc. C’était ainsi l’imminence de la catastrophe, de la fin des temps, qui était soulignée. D’autres ont préféré lire ce texte comme purement symbolique, décrivant donc plutôt les affres dans lesquelles se débat l’humanité de tout temps. C’est alors l’actualité intemporelle de l’annonce qui est mise en avant. D’autres encore soulignent la gravité des phénomènes décrits, et leur extériorité par rapport à l’humanité, pour considérer qu’on n’y est pas encore, et que la date, certes future, n’est pas connaissable, sauf à la renvoyer à 5 milliards d’années, quand le soleil se transformera en géante rouge. À moins que cela ne décrive une catastrophe nucléaire, ou pourquoi pas écologique, dans laquelle sombrera notre monde.
À l’appui de la lecture symbolique, actualisante, on peut certes remarquer que la lumière de la foi s’est bien obscurcie, en tout cas dans notre pays et notre univers culturel, et que les anciennes morales et manières de vivre qu’on avait cru issues du christianisme ont bien du plomb dans l’aile… Dans notre société et notre monde, les bruits violents de l’existence, le déchaînement des systèmes économiques et l’effondrement des idéologies, l’incapacité des politiques à influer sur la société, font que de plus en plus d’« hommes rend[ent] l’âme de terreur dans l’attente de ce qui surviendra pour la terre. » Il y a certes lieu de s’en inquiéter, et de nous demander quelles paroles et quels gestes de notre part, à nous chrétiens, pourraient donner ou redonner du sens, rendre l’espoir, redonner une raison de vivre, aux hommes et aux femmes de notre monde, à commencer par nos familles, nos voisins, nos collègues, nos villages…
Mais à cette interprétation s’opposent plusieurs éléments, dans le texte lui-même, et notamment l’emploi de verbes au futur. L’interprétation précédente supposait le texte également descriptif, de manière imagée, de la société du temps de Jésus et de l’évangéliste, société dont on ne peut pas prétendre qu’elle était rassurante pour un Juif ou un chrétien, que ce soit en Judée ou à Rome ! Or notre texte est bel et bien au futur. Le risque est alors, si l’on s’en tient à une lecture symbolique, de penser à chaque époque que c’est maintenant, que c’est en train d’arriver. Chaque fois que cette interprétation a gagné les foules, ç’a été l’horreur, le déferlement de violence contre les puissants de l’Église et de la société, chaque groupe s’érigeant en agent divin pour punir l’injustice. Relisez Le nom de la rose d’Umberto Eco à propos du XIIIe siècle ! Le djihadisme est de toutes les époques et de toutes les religions…
Faut-il alors attendre un événement cosmique et planétaire en même temps, qui réalise littéralement les choses décrites dans le texte ? Et quelle que soit la réponse à cette question, quelle que soit notre lecture de ces annonces, faut-il en avoir peur, comme on aurait tendance à le faire ? – Le fait de les lire de manière symbolique, atemporelle, est aussi une manière de fuir cette peur ! – Or le texte, la parole de Jésus, nous invite à une toute autre réaction : « redressez-vous et levez la tête, parce que votre délivrance approche. » Ces images de catastrophe sont donc porteuses de bonne nouvelle, et même de l’Évangile, puisqu’il s’agit de « [la venue du] Fils de l’homme sur une nuée avec beaucoup de puissance et de gloire. » Le « Fils de l’homme » est la figure de celui à qui le jugement et la domination sont remis. Or « celui qui croit [au Fils unique de Dieu] n’est pas jugé » (Jean 3 / 18). Quelle que soit notre interprétation des images du texte, je le redis, le texte annonce ce qui est pour nous chrétiens, qui vivons dans la foi l’espérance de la victoire du Christ, l’excellente nouvelle de notre victoire avec lui.
La conséquence de cela, c’est que plus aucune peur n’a de raison d’être pour nous. Même la chute des étoiles n’aurait pas de raison de nous faire peur ! Or les uns et les autres, nous sommes encore tenaillés par des peurs. Oh, pas tous par les mêmes, bien sûr. Cela dépend de nos histoires personnelles, de notre psychologie, de notre piété, de notre âge, etc. Mais la plupart du temps nous ne sommes pas à la hauteur. Pourquoi ? Parce que nous ne prenons pas la Bible pour une bonne nouvelle. Peut-être seulement pour une « histoire sainte », pour une doctrine, pour une morale, que sais-je ? Parce que nous avons peut-être seulement une relation distante, voire théorique, avec le Christ ? Or si la vie nous fait peur, comment pourrions-nous calmer la peur des autres ? Aucune chance… ! Il me semble que l’un des messages essentiels du texte de ce matin, c’est de nous dire de cesser d’avoir peur, de cesser de courber la tête sous tout ce qui prétend peser sur nous, que ça vienne du dehors ou du dedans de nous-mêmes. Non pas parce que ce serait bête : certes ça l’est, mais ce n’est pas une raison ! Non. C’est parce que Christ vient, et qu’avec lui nous serons libres, c’est-à-dire libres d’aimer comme nous sommes aimés, libres comme les enfants adultes du Père de Jésus-Christ. Alors « redressons-nous et levons la tête ! »
La parole suivante de Jésus, qui poursuit le même thème, après avoir énoncé qu’étant bien capables de lire les signes d’autres choses nous devrions savoir lire ceux-là, cette parole nous annonce plus clairement le temps de cette promesse : « cette génération ne passera point que tout cela n’arrive. » C’est dire deux choses qui sont toutes deux l’Évangile. La première, c’est que tout cela a été réalisé dans la mort et la résurrection de Jésus-Christ. Nous ne pouvons pas faire comme si Jésus n’était pas ressuscité, comme s’il avait seulement été « le prophète de Nazareth en Galilée », comme le disaient les gens le jour des Rameaux à Jérusalem à ceux qui demandaient de qui il s’agissait (Matth. 21 / 11). Or « si Christ n’est pas ressuscité, votre foi est vaine, vous êtes encore dans vos péchés, et ceux qui sont morts en Christ sont perdus. Si c’est dans cette vie seulement que nous espérons en Christ, nous sommes les plus malheureux de tous les hommes. » (1 Cor. 15 / 17-19) Comment d’ailleurs pourrions-nous être libérés par quelqu’un qui aurait été vaincu par la mort, quand bien même il aurait dit et fait d’excellentes choses ? Non, c’est sa victoire qui entraîne la nôtre !
La seconde chose que dit cette dernière parole est justement celle qui nous concerne. « Cette génération », ce n’est pas seulement la génération apostolique, c’est aussi celle des lecteurs du texte. Nous sommes ces lecteurs, aujourd’hui. Le texte parle de nous. Bien sûr, c’est vrai à chaque moment : la parole s’adresse aux lecteurs, aux gens qui lisent ce texte et qui lui font confiance. « Cette génération », c’est l’Église, c’est nous et beaucoup d’autres. La promesse nous est donc faite à nous, que nous verrons dans notre propre existence « le Fils de l’homme venir sur une nuée avec beaucoup de puissance et de gloire. » La question qui va avec, c’est : voulons-nous de lui ? Comme lorsque Jésus demandait à celui qui attendait au bord des eaux bouillonnantes de la piscine de Bethesda : « Veux-tu retrouver la santé ? » (Jean 5 / 6) Or la réponse n’est pas évidente. Notre existence, nous y sommes habitués, évidemment : c’est la nôtre ! Nous aimerions bien en changer, mais… pas vraiment… Ce n’est pas le cataclysme cosmique qui nous fait peur, mais celui que l’Esprit de Dieu peut provoquer dans notre existence. Nous vivons en croyant en Jésus-Christ, mais bien contents aussi qu’il ne soit pas trop proche !
Or il est proche ! Telle est sa promesse ! Il est proche, et nos peurs pourraient ne plus avoir de prise sur nous. La parole de l’apôtre Paul pourrait être vraie pour nous, selon laquelle « toutes choses coopèrent au bien de ceux qui aiment Dieu, de ceux qui sont appelés selon son dessein. » (Rom. 8 / 28) Plus aucune catastrophe ne nous atteindrait, au contraire notre liberté augmenterait « jusqu’à ce que nous soyons tous parvenus à l’unité de la foi et de la connaissance du Fils de Dieu, à l’état d’homme fait, à la mesure de la stature parfaite du Christ. » (Éph. 4 / 13) Ces versets de Paul me semblent bien éclairer notre texte, ils traduisent en prédication, en promesse actuelle, les images catastrophistes du texte de ce matin. C’est le même Évangile : « dans toutes ces choses, nous sommes plus que vainqueurs par celui qui nous a aimés. » (Rom. 8 / 37) Ainsi, que vous ayez une lecture libérale ou littéraliste ou autre de notre texte, peu importe, finalement. L’important, c’est l’Évangile, c’est la promesse et la réalisation de la promesse selon laquelle, en Christ, nous sommes libérés, nous sommes libres de tout le mal qui nous environne, nous étreint, nous pénètre, et même de celui qui vient de nous.
Alors, tant que nous n’y sommes pas déjà, mais dans la certitude que Dieu tient ses promesses, nous ne pouvons qu’avoir une attente active, et dire : « Viens, Seigneur ! », viens vraiment, viens bientôt ! « Je ne suis pas digne que tu entres chez moi, mais dis seulement une parole… » (Matth. 8 / 8) Amen.
Senones – David Mitrani – 8 décembre 2019