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Évangile selon Luc 17 / 3-10
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texte : Évangile selon Luc 17 / 3-10
premières lectures : Daniel 6 / 17-24 ; première épître de Pierre 5 / 5b-11
chants : 47-12 et 53-05
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« Si vous aviez de la foi comme un grain de moutarde… », que ne feriez-vous pas, chers amis, et moi comme vous ! Le texte proposé pour aujourd’hui, en fait, se limite à ces deux versets : la demande des apôtres et le début de la réponse de Jésus. Mais j’ai voulu le replacer dans ce qu’il y a autour, et qui n’est pas complètement anodin. Et d’abord, pourquoi les disciples demandent-ils : « augmente-nous la foi » ? Est-ce pour résister victorieusement, tel Daniel, aux bêtes féroces à qui ils risquent d’être jetés s’ils préfèrent tenir la confession de Christ plutôt que de faire comme tout le monde, plutôt que de faire comme les ennemis de la foi l’imposent à tout le monde ? Ou bien est-ce pour résister au diable qui « rôde comme un lion rugissant, cherchant qui dévorer » ? Les deux motivations seraient légitimes, non ? Illusoires, mais légitimes…
Ce n’est que dans certains récits de martyres comme celui de Daniel, ou comme d’autres datant de l’Église des premiers siècles, que les confesseurs de la foi assistent à la transformation des lions en gentils chatons qui ronronnent autour d’eux… J’avoue quelques doutes quant à la réalité historique de telles scènes – vous m’en excuserez, j’espère… Mais, après tout, la non-violence telle que l’ont pratiquée et prêchée des gens, chrétiens ou pas, tels Gandhi ou Martin Luther King Jr., n’a-t-elle pas réduit à l’impuissance des êtres et des puissances plus féroces que des lions ? Mais hélas l’ambiance raciale aux États-Unis comme en Inde, aujourd’hui plus qu’hier, montre que la victoire n’était pas définitive. Tout comme les pays ravagés par les barbares qui se réclament de l’islam sont certes des lieux de témoignage chrétien jusqu’à la mort, mais celui-ci ne désarme en rien les assassins… Simplement, il n’y a souvent pas d’autres moyen qui puisse, parfois, être efficace, que cette non-violence. C’est elle aussi qui permet de réparer ensuite les gens et les sociétés, même de manière très partielle.
Quant à résister aux assauts du diable… Ils sont multiformes, vous le savez bien, vous les subissez autant que moi. Son nom de « diable » signifie la division : il porte ce nom en tant qu’il brise les relations harmonieuses entre nous et Dieu, entre nous, et en nous. Il est l’agent de cette aliénation qui nous chosifie et nous détruit violemment ou à petit feu. Il est aussi le « satan », l’accusateur, celui qui accuse Dieu dans nos cœurs, et qui nous accuse à nos propres oreilles. La Bible le montre aussi essayant de nous accuser auprès de Dieu, mais elle affirme aussi que Dieu ne l’écoute plus, que Dieu a confiance en ses serviteurs, en ses enfants. Rappelez-vous seulement Jésus disant aux disciples rentrant de mission : « Je voyais le satan tomber du ciel comme un éclair. » (Luc 10 / 18) Cette puissance – car ce n’est pas une personne – cette puissance est aussi le tentateur, à notre égard comme envers Jésus après son baptême (Luc 4 / 1-13). C’est là le moyen de sa division, et c’est lorsque nous succombons que son accusation envers nous comme envers Dieu devient la plus forte, la plus efficace.
Alors justement, est-ce que le contexte de notre verset n’est pas un tel contexte de tentation ? Le premier verset que je vous ai lu expose ce contexte : « Si ton frère a péché, reprends-le, et, s’il se repent, pardonne-lui. » La tentation est ici à plusieurs niveaux. Le premier, sur lequel je prêchai l’autre jour, c’est la tentation de ne rien dire, de ne rien faire, de laisser le frère en question dans son péché, parce que c’est son problème, pas le mien : « Suis-je le gardien de mon frère, moi ? » disait Caïn après l’avoir tué (Gen. 4 / 9). J’avoue que, par timidité, par crainte, peut-être par humilité (encore que ce soit une excuse facile), je cède souvent à cette tentation : je ne dis pas, je ne « reprends » pas « mon frère » ou ma sœur. Je me dis aussi que ma prédication est assez claire, mais je sais bien qu’elle risque de ne pas être entendue si elle n’est pas reprise en privé. Bref, sous prétexte de les respecter, nous laissons souvent nos frères et sœurs mariner dans leur péché, et d’autant plus que nous ne sommes pas nous-mêmes exempts de péché !
Un autre niveau, au rebours de ce que je viens juste de dire, c’est la tentation de se croire supérieur à l’autre, de pouvoir lui faire des remarques parce qu’on serait « mieux » que lui, plus pieux, plus cohérent dans la foi, menant une vie plus conforme à la volonté de Dieu, etc. Cette fois, rappelez-vous le Pharisien priant au Temple de Jérusalem : « Le Pharisien, debout, priait ainsi en lui-même : “Ô Dieu, je te rends grâces de ce que je ne suis pas comme le reste des hommes, qui sont accapareurs, injustes, adultères, ou même comme ce péager : je jeûne deux fois la semaine, je donne la dîme de tous mes revenus.” » (Luc 18 / 11-12) Tentation de celui ou celle qui est, peut-être, effectivement « mieux » que l’autre ; la tentation consiste alors à en tirer prétexte, à en tirer profit, et à dédaigner l’autre, à le mépriser pour n’être pas aussi « bien » que moi. Paul écrivait : « Tu es donc inexcusable, qui que tu sois, toi qui juges, car en jugeant les autres, tu te condamnes toi-même, puisque toi qui juges, tu agis comme eux. » (Rom. 2 / 1) Rappelez-vous aussi l’histoire de la femme adultère amenée à Jésus et la manière dont Jésus a confondu les accusateurs (Jean 8 / 2-11).
La même tentation de se croire supérieur intervient facilement lorsque le pécheur se repent, revient à Dieu de son égarement, de son adultère, de son addiction, de ses erreurs et de ses dérapages. Alors, si jamais c’est grâce à moi, quel orgueil ! Où est alors la fidélité à Dieu, où est la fidélité à l’autre qui est mon frère, ma sœur ? Et où est la fidélité à ma propre foi, à ma propre humilité de pécheur pardonné, racheté non par mes propres œuvres mais par le sang de la croix de Christ… ? Oui, que de tentations quand je suis à proximité d’un frère ou d’une sœur qui est pécheur. Et si, en plus, c’est contre moi qu’il a péché, c’est-à-dire si son péché envers Dieu s’est manifesté comme une faute envers moi-même, tout est démultiplié. Faut-il alors lui pardonner s’il m’agresse sans cesse, et qu’il demande pardon, explicitement ou non, à chaque fois ? La réponse de Jésus, dans ce texte ou dans les textes parallèles, est sans équivoque. Car le pardon est la manifestation ordinaire et extraordinaire de l’amour du Dieu qui a donné sa vie pour nous.
Mais voilà. Si, en me forçant ou pas, je sais comment « reprendre » mon frère, en fait je ne sais pas pardonner. La dernière tentation que ce texte évoque, c’est la tentation de ne pas pardonner sous prétexte qu’on ne sait pas faire, ou qu’on a trop mal, ou qu’il ne mérite pas (évidemment que l’autre ne mérite pas, sinon il serait excusable…), etc. Et c’est là qu’intervient la demande des apôtres : « Augmente-nous la foi ! » Nous sommes alors, toujours, dans la tentation. Pourquoi ? Cette demande n’est-elle pas légitime ? Que Dieu nous donne assez de foi pour pardonner ? Oui, mais ce que nous avons alors en tête, c’est foi = puissance ! Que Dieu donne à notre foi, à nous-mêmes, assez de puissance contre le tentateur pour que nous sachions pardonner là où celui-ci nous tente de ne pas le faire, mais de juger, de condamner, voire d’ignorer… C’est donc aussi la tentation de prendre la foi pour quelque chose qui se quantifie, quelque chose dont on peut avoir une certaine dose.
Après tout, les gens ne disent-ils pas qu’ils ont « perdu la foi » lorsque leur croyance s’est évaporée ? Mais contrairement aux apparences dues à son style un peu « catalogue », la confession de foi chrétienne n’est pas un questionnaire où on aurait 20/20 en cochant toutes les cases, 0/20 en n’en cochant aucune, et où la plupart des croyants auraient une note intermédiaire ! Ah, là, aujourd’hui, j’ai 12/20, je pourrais mieux faire, on verra demain… ! Seigneur, fais-moi passer à 14, parce que je le vaux bien ! ou parce que je ne suis pas capable de progresser seul ! Ah, pauvre de moi, j’ai dégringolé à 6, comment remonter ? Dieu m’aurait-il abandonné ? Paf, mauvaise question ! 5/20 !
Je ne sais pas quelle est la foi d’un grain de moutarde. J’ai cru comprendre qu’il était déjà lui-même tout petit. Et je ne suis pas sûr, malgré les antispécistes, qu’un grain de moutarde soit supposé croire en Dieu ! Avoir la même foi que lui, en qualité ou en quantité, signifie-t-il ne pas avoir la foi ? Pourquoi en effet vouloir déraciner et noyer un mûrier-figuier ? La foi du grain de moutarde est-elle insensée ?! Les chrétiens voudraient-ils jeter à la mer l’arbre que Jésus leur montrait ce jour-là ? À moins que ça ne veuille dire que vouloir accomplir des miracles n’est pas digne d’une foi véritable, mais seulement de la foi du grain de moutarde, qui n’est rien ! Vouloir une foi puissante au sens humain, c’est le péché de Simon le Magicien selon les Actes des Apôtres (8 / 9-24), dont les hérésiologues chrétiens de l’Antiquité ont fait le père de la gnose et de toutes les hérésies… « Seigneur, fais de moi un meilleur chrétien ! » Si cela signifie d’être plus confiant en Dieu et de laisser agir le Saint-Esprit, cette demande est légitime. Mais si elle signifie d’avoir plus de puissance en tant que croyant afin de faire des miracles, alors la demande n’est pas légitime, parce que je ne suis pas là pour ça.
La suite de la réponse de Jésus – car c’est dans la même réponse – c’est la parole sur les « serviteurs inutiles », ceux qui n’ont pas de puissance, qui ne sont pas des maîtres, qui sont là pour servir et faire ce que le maître demande. Lorsque le maître demande son repas, le serviteur lui répond-il qu’il ne sait pas faire à manger, ou qu’il a oublié ? Lui répond-il que le maître doit le promouvoir afin qu’il en soit capable ? Lui demande-t-il à manger ? Non : le serviteur obéit. L’image n’est certes pas actuelle, pas à la mode, mais qu’importe, elle n’est pas faite pour être mise en œuvre socialement, pourtant elle parle ! Le serviteur – en fait, dans le texte, c’est l’esclave – doit se contenter de servir ; il n’est pas plus ou moins esclave en quantité, il est ou il n’est pas. S’il n’est pas, dans ces sociétés-là, alors il est vendu ou tué. De même, on est croyant ou pas, c’est-à-dire qu’on fait confiance à Dieu… ou pas. Celui qui fait confiance fait confiance, il n’y a pas de degrés dans la confiance, il n’y a pas de quantité, et le grain de moutarde, s’il devait faire confiance, le ferait tout autant que toute l’Église rassemblée, malgré sa petite taille, et sans doute ne se préoccuperait-il pas des mûriers-figuiers ! Il ferait avec confiance ce que le Roi des rois, le Seigneur des seigneurs, lui commanderait.
Et s’il avait à pardonner, ce qui est certes plus difficile que de faire se déraciner et se jeter dans la mer un arbre par la simple parole, alors il pardonnerait parce qu’il fait confiance à Jésus-Christ. Il ne nous est rien demandé d’autre, jusque dans le « Notre Père » que nous prions sans cesse : « pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés » (Matth. 6 / 12). Facile ? Difficile ? L’avis du serviteur sur la question n’a pas d’importance, il est là pour faire ça – point. Cela vaut donc aussi pour le début du texte, lorsqu’il est question de « reprendre [un] frère [qui] a péché ». Dieu n’est ni diable, ni satan, ni tentateur. Il est seigneur. Il demande. Il me demande. De reprendre et de pardonner. Je fais. « Parle, Seigneur, ton serviteur écoute. » (1 Sam. 3 / 9) Amen.
Saint-Dié – David Mitrani – 12 septembre 2021