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Évangile selon Luc 17 / 20-30
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texte : Évangile selon Luc, 17 / 20-30 (trad. : Parole de Vie)
première lecture : Psaume 90
chants : 321 et 602 (Arc-en-ciel)
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Angoisse. L’être humain est le seul animal que la mort angoisse : la sienne et celle des autres. Alors, nous nous projetons volontiers dans… dans quoi ? Voilà la question ! Dans l’avenir, mais quel avenir ? En son temps l’Ecclésiaste déjà, le sage de l’Ancien Testament, se posait la question : « J’ai regardé les occupations que Dieu impose aux humains. Dieu fait arriver toute chose au bon moment. Il a donné aussi aux humains le désir de connaître à la fois le passé et l’avenir. Pourtant, ils ne peuvent pas connaître l’ensemble de ce que Dieu accomplit. Ainsi, je le sais, le seul bonheur pour eux, c’est de se réjouir et de profiter de la vie. » (Eccl. 3 / 10-12) La Bible, comme toute philosophie, reprend cette question centrale de la vie des humains, celle de la fin, à la fois au sens du but de la vie et aussi de son terme – car c’est la même chose : à quoi est-ce que je sers, si c’est pour que ça s’arrête demain ?…
Et contrairement à beaucoup de religions, la Bible refuse d’entrer dans cette problématique. Elle refuse d’alimenter notre angoisse ! Pour caricaturer, on pourrait dire qu’elle y répond deux choses : 1. Dieu sait, et 2. occupe-toi du présent ! C’est comme cela que se termine par exemple le psaume 90 que je vous ai lu : « Seigneur notre Dieu, répands sur nous ta douceur ! Rends solide le travail de nos mains, oui, rends solide le travail de nos mains. » Mais comme nous sommes incorrigibles, nous continuons néanmoins à nous angoisser, et tout au long de l’histoire la question a pris des formes différentes, donné lieu à des types variés de réponses, parfois individuelles, parfois collectives, parfois philosophiques, parfois politiques, souvent spirituelles, rarement évangéliques…
Je ne vous ferai pas ce matin une présentation de toutes nos erreurs et autres approximations sur la question. En notre temps, lorsque cette angoisse a pris forme collective, nous avons tremblé et parfois chanté l’angoisse nucléaire, la faim, le terrorisme, la catastrophe écologique, l’invasion des pauvres. Ces deux dernières versions sont les versions actuelles, très actuelles, du Déluge et de Sodome et Gomorrhe ! À travers ces deux histoires, la Genèse déjà ne faisait pas autre chose que de nous parler de nos peurs et de nos réactions collectives devant ces peurs, la peur d’être submergés par l’eau ou par le feu, par la méchanceté ou par la masse grouillante de gens sans foi ni loi (ou avec une autre foi ou une autre loi que les nôtres). Disant cela, je ne nie pas les problèmes bien réels de notre société. Qui a dit qu’une maladie psychosomatique n’était pas une maladie ? Mais la crise écologique et celle des migrants sont aussi des maladies psychosomatiques, où l’angoisse se nourrit non pas seulement de la réalité physique mais aussi elle se nourrit d’elle-même. La vague des films-catastrophe et des films de zombies le montre à l’envi. Et les résultats prévisibles des prochaines élections devraient le confirmer, en France comme ailleurs…
Une version plus optimiste consiste en l’attente du Royaume de Dieu. Enfin… plus optimiste, ça se discute ! Ça peut aussi être une fuite dans les nuages, ou alors une désespérance profonde : on attend la venue de ce Royaume parce qu’on n’attend plus rien dans ce monde ; tout comme individuellement on peut attendre la résurrection seulement parce qu’on n’attend en fait plus rien d’autre que la mort ! Les Pharisiens de l’époque de Jésus croyaient en la résurrection – nous aussi ! Et ils attendaient la venue du Royaume. Sans doute ne mettaient-ils pas tous le même contenu ni dans cette attente ni dans ce Royaume, c’est ce que révèle la réponse de Jésus à la question qui lui est posée : « quand ? » Il laisse entendre que ceux qui lui ont posé la question s’attendent à un événement miraculeux, extérieur, une sorte de moment révolutionnaire – que ce soit politique ou spirituel, voire un peu des deux, comme on peut le lire ou l’apprendre par ailleurs. Ils attendent un « royaume ». Or la réponse de Jésus parle plutôt d’un « règne » ou d’une « royauté ». Comment bien traduire, puisqu’en français nous avons trois mots pour ça ?
Mais vous sentez bien la différence. Un royaume est une réalité extérieure à moi, tout comme une république ou toute autre sorte de pays ou de régime, même si j’en suis le sujet ou le citoyen, le défenseur ou le contempteur. Tandis que la royauté est quelque chose qui s’impose à moi, qui a pouvoir sur moi – quand bien même je serais roi, comme David l’a expérimenté à ses dépens avec l’histoire de Bethsabée (2 Sa. 11 – 12). Ainsi dit Jésus : la royauté de Dieu n’est pas extérieure, qu’il nous faille l’attendre un jour prochain ou lointain ; mais elle est intérieure à notre humanité, elle est un mode particulier de notre humanité lorsque celle-ci est soumise à Dieu et le reconnaît comme Seigneur et Roi. Du coup, demander quand est-ce qu’elle arrive, c’est reconnaître qu’on ne lui est pas déjà soumis. Attendre le règne de Dieu pour demain, c’est confesser qu’on ne vit pas déjà sous sa seigneurie, et donc qu’on s’oppose à lui aujourd’hui : c’est ce qu’on appelle le péché. Vouloir qu’il vienne pour qu’on soit libre, c’est confesser qu’aujourd’hui on n’est pas libre, qu’on n’a pas déjà été libéré.
Mais c’est bien normal, quand on ne connaît pas Jésus ! Or maintenant, nous le connaissons et « nous l’avons vu : c’est lui qui nous parle », comme il l’avait dit à l’aveugle de naissance qui avait été guéri (Jean 9 / 37). Ce n’est manifestement pas le cas des Pharisiens. Est-ce le nôtre vraiment ? Car si lui n’a pas de problèmes d’ubiquité, pouvant se tenir « au milieu de nous » et « à la droite de Dieu » (Marc 16 / 19), ayant porté son humanité ressuscitée au-delà du temps et de l’espace, eh bien nous, nous en avons un, de problème : nous ne pouvons pas être à la fois en sa présence et loin de lui. Aussi nous le cherchons, et parfois nous écoutons ceux dont nous croyons qu’ils savent mieux que nous où il est : dans tel ou tel projet politique, dans telle ou telle morale, dans telle ou telle piété, dans tel ou tel comportement à l’égard de soi, des autres, de la nature, de l’économie, etc. Nous écoutons tous ceux qui chosifient le règne de Dieu, parce que ça nous arrange : nous croyons savoir, nous pouvons nous diriger vers lui, nous pouvons être fiers de notre démarche. Nous sommes pris entre « on ne dira pas “il est ici” » et « des gens vous diront : “il est là” »… Il est facile de voir laquelle des deux voies nous tente le plus…
Or, le règne de Dieu, c’est là où se trouve le Christ, « le Fils de l’homme », comme il se nomme lui-même. Pour le dire avec d’autres images, mais qui sont implicites dans notre texte, l’important n’est pas le Jugement, serait-il dernier, mais le Juge lui-même, le Juge suprême. Ce qui sera – ce qui est d’ores et déjà – décisif, ce n’est pas mon rapport à la Loi, mais mon rapport au Juge. Tout l’Ancien Testament le clamait aux oreilles sourdes du peuple d’Israël. Or « les gens d’aujourd’hui le rejettent », dit Jésus. Ce n’est donc pas aujourd’hui qu’on peut les croire lorsqu’ils « disent “il est là-bas” ou “il est ici” » ! Il n’y a en effet pas de différence entre l’aujourd’hui du texte et l’aujourd’hui du lecteur : le texte n’a-t-il pas été lu aujourd’hui, là, ce matin, devant nous ? La souffrance du Fils unique est toujours déjà là, devant nous, et nous, notre société, notre monde, tout le rejette toujours déjà. Car notre désir nous porte vers lui mais comme s’il nous était extérieur, comme si nous pouvions le chercher, puis, l’ayant trouvé, nous l’approprier, tel un fruit défendu et ô combien tentant. Nous refusons « l’arbre de vie », qui est « au milieu de nous », et nous lui préférons « l’arbre de la connaissance » (cf. Gen. 2 – 3), qui nous place nous au premier rang… mais c’est au premier rang du vide !
Pour nous éviter ce désir mortifère et une course effrénée vers le précipice, pour nous et pour notre société humaine, Jésus nous donne une promesse et un avertissement. L’avertissement, vous l’aviez aperçu, j’imagine ! Mais la promesse est là aussi, elle est même là d’abord. C’est que « le Fils de l’homme viendra comme l’éclair, […] sa lumière va d’un bout du ciel à l’autre. » Ce qui veut aussi dire : quoi qu’on fasse ou qu’on ne fasse pas. Il n’y a pas besoin de le chercher, sa présence sera manifestée clairement à l’univers entier. Et l’Ancien Testament disait déjà que ceux qui lui appartiennent seront manifestés avec lui, rappelez-vous Ésaïe : « oui, vous sortirez dans la joie et vous serez conduits dans la paix ; les montagnes et les collines éclateront en acclamations devant vous, et tous les arbres de la campagne battront des mains. » (És. 55 / 12) Aucune de nos angoisses, personnelles ou sociétales, n’a plus aucun sens devant cette joyeuse promesse. Alors tenez-vous là, devant lui : il vient, et vous avec lui !
Quant à l’avertissement, il serait bon que nous le fassions entendre à nos contemporains et à notre monde. Et ce sans reprendre les slogans de ce monde, sans surfer sur ses peurs à lui, sans couler dans ses naufrages à lui. Ce que la parole de Jésus rapportée par l’évangéliste nous représente, dans ses références à Noé et à Loth, ce ne sont pas des gens mauvais, s’avachissant dans le pouvoir et dans l’indifférenciation – comme la Genèse nous les montrait. Ce sur quoi Jésus insiste au contraire, c’est qu’il s’agissait de gens normaux, qui menaient leur vie. Ceux qui seront noyés dans la « grande inondation » « mangeaient, buvaient, se mariaient ou donnaient leurs filles en mariage. » Ceux qui périront sous « une pluie de feu » « mangeaient et buvaient, achetaient et vendaient, plantaient et construisaient… » Ce que Jésus condamne, c’est que je vive sans lui, que je vive comme si j’étais mon propre dieu, comme si le sens de ma vie était dans son autoconservation et dans la réalisation de mes propres projets.
C’est vrai, j’y tiens, à ma vie – à la manière plutôt dont je conçois ma vie – et j’y tiens, à ce que je construis, de quelque ordre que ce soit. Pas vous ? Mais si j’avais bien lu l’Ecclésiaste – encore lui – je saurais que tout ceci « non plus n’a pas de sens, autant courir après le vent ! » (Eccl. 4 / 16) L’apôtre Paul, rempli de la joyeuse promesse dont je parlais, recommandait contre les ascètes de vivre toutes ces choses, mais sans s’y attacher : « Ceux qui profitent de ce monde doivent vivre comme s’ils n’en profitaient pas. En effet, le monde d’aujourd’hui ne va pas durer toujours. Je voudrais que vous n’ayez pas de soucis » (1 Cor. 7 / 31-32a), écrivait-il. Alors, si je ne m’attache pas à ce qui est périssable au point de périr en même temps, même l’avertissement de Jésus devient une promesse : il se passera pour moi – il se passe déjà pour moi – ce qui s’est passé pour Noé et pour Loth : même sans le mériter, je suis sauvé du Déluge, je suis épargné, et mes proches avec moi, par le feu de Sodome et Gomorrhe.
Oui « il se passera la même chose » n’est pas l’annonce de ma noyade, mais de ce que, moi aussi, je suis « entré dans le bateau » ; moi aussi, j’ai « quitté Sodome ». Frères et sœurs, abandonnez vos peurs, vos angoisses devant ce monde qui meurt, ou même simplement devant votre miroir. Faites confiance à Jésus, faites confiance à sa promesse : c’est pour vous qu’il a souffert, et en lui la colère divine s’exerce contre ce qui vous fait du mal et non pas contre vous, si vous savez son amour, si vous vous tenez devant lui. Ne cherchez pas votre salut dans la figure du monde qui passe, mais dans celle du salut de Dieu, c’est-à-dire Jésus-Christ. Ne le cherchez tout simplement pas : ouvrez les yeux, il est « au milieu de vous ». Amen.
Saint-Dié – David Mitrani – 8 novembre 2015