Évangile selon Luc 11 / 1-13 (1)

 

texte :  Évangile selon Luc, 11 / 1-13   (trad. : Bible à la colombe)

premières lectures :  Exode, 32 / 7-14 ;  première épître à Timothée, 2 / 1-6a

chants :  47-04 et 47-08  (Alléluia)

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Je ne vais pas prêcher là-dessus, mais le début du texte de l’Exode ressemble à un parent fort en colère à propos de son gamin, et qui lui envoie l’autre parent en lui disant : « ton fils a fait ceci… », « ton fils », pas « notre fils » ; « ton peuple que tu as fait monter du pays d’Égypte » ! Comme si lui, Dieu, n’y était pour rien… En ceci Dieu tente Moïse, lui présentant une fausse figure de Dieu, tout comme il avait fait envers Abraham, là aussi à propos de son fils ! Mais Moïse ne se laisse pas faire et renvoie à Dieu, « l’autre parent », que c’est son peuple à lui, reprenant la même formule que j’ai citée mais en l’adressant à Dieu : « ton peuple que tu as » etc. Et sa prière sera exaucée.

 

Prière exaucée. Cas rare ? Pourquoi faut-il prier, quand on voit bien que la plupart des prières ne sont pas exaucées ? L’épître à Timothée répond à sa manière, encore que ceci n’épuise pas ce qu’on peut entendre du texte : il faut prier Dieu parce qu’il y a un seul Dieu, c’est-à-dire que personne d’autre n’est susceptible d’exaucer les prières. Il n’y a pas d’autres dieux, il ne sert à rien de prier Allah ou Śiva, ni aucun des saints réels ou inventés de la tradition catholique. Mais il ne sert à rien non plus de prier le parti, le capital, le peuple, la race, ou je ne sais quelle autre instance à prétention divine, ni ceux qui les représentent officiellement ! Ce serait une raison de désespérer grandement, de n’avoir ainsi qu’un seul être vers qui se tourner, et non plusieurs en fonction de nos besoins, sans pouvoir alors jouer de la rivalité entre eux… si ce Dieu n’était le Père de « Jésus-Christ, qui s’est donné lui-même en rançon pour tous. »

 

Trois solutions s’offrent alors aux humains. La première, la plus répandue, c’est l’illusion. La religion. L’esclavage intellectuel et spirituel. La soumission à des vanités, à des mensonges, comme la Bible appelle les idoles, les faux dieux. Continuer à attendre des services, de la reconnaissance, sa propre identité, d’êtres ou d’instances qui n’existent pas ou pas par eux-mêmes. Se confier dans du vide. La deuxième, qui semble être l’inverse, c’est de ne plus prier, c’est de ne plus rien attendre de personne, de ne se confier qu’en soi. L’humanisme se mue alors en misanthropie, en égoïsme farouche : puisque rien ni personne ne peut m’aider, je suis seul au monde et moi seul compte, jusqu’à ma mort qui sera la fin de tout de toute façon… Mais c’est là encore une illusion : « moi » n’est pas plus une instance crédible que les autres, et je ne puis pas plus faire confiance à ce dieu-là qu’aux autres vanités ! L’expérience d’ailleurs le montre assez…

 

Pourtant cette seconde solution reste fortement implantée, y compris chez nous, en nous. Ne plus prier puisque Dieu ne répond pas. Ou, pour le dire en « politiquement correct », ne pas importuner Dieu, qui a autre chose à faire, avec mes petits problèmes pour lesquels je devrais pouvoir me débrouiller seul, et c’est d’ailleurs ce que Dieu attend de moi… Sachez donc, et moi avec vous, que rien dans le texte biblique n’étaye cette interprétation ! Elle est une fuite, le signe d’un manque de confiance en Dieu, mais aussi en nous, dans notre propre foi qui, alors, ne ressemblerait plus qu’à de la religion, donc à une illusion à laquelle nous ne croirions plus vraiment – c’était en fait la première solution : Dieu comme un faux dieu qui ne répond jamais… comme le psalmiste le disait déjà avec violence au sujet des statues : « Elles ont une bouche et ne parlent pas, Elles ont des yeux et ne voient pas, Elles ont des oreilles et n’écoutent pas, Elles n’ont pas de souffle dans leur bouche. » (Ps. 135 / 16-17)

 

Dénoncées nos tentatives de contourner le silence de Dieu, il ne reste plus alors qu’une troisième solution : apprendre à prier, comme les disciples de Jésus le lui ont demandé un jour qu’il rentrait d’avoir lui-même prié le Père. Et c’est ainsi qu’il leur donna ce qu’on appelle « le Notre Père », ou « l’oraison dominicale » comme on disait autrefois, « la prière du Seigneur », dans un français plus actuel. Nous ne nous attarderons pas ce matin sur les différentes versions de cette prière, longue ou brève, ni sur les différentes traductions. Retenez juste ici que Jésus ne critique aucunement cette demande, mais qu’au contraire il y répond. C’est plutôt sur le commentaire qu’il rajoute que nous nous arrêterons, car c’est lui qui, à vrai dire, constituait le texte du jour dans ma liste ! Et puis, ce commentaire est surtout un encouragement, et c’est toujours bon à entendre et à prendre, car vous et moi, nous en avons besoin, n’est-ce pas ?

 

La caractéristique de notre troisième solution, en fait la seule solution qui reste à des chrétiens, est énoncée dès le début de ce commentaire que Jésus fait sur la prière, dans l’exemple qu’il prend. C’est un tout petit mot : « ami ». Celui à qui la prière s’adresse est avant toute chose « un ami », et c’est aussi à propos d’ « un de mes amis » que je le prie. Autant dire que je suis doublement impliqué dans la relation que la prière présuppose : je suis lié d’amitié avec celui que je prie, comme avec celui pour qui je prie. Aucun des deux ne m’est indifférent, aucun des deux ne m’intéresse seulement théoriquement. Mais le plus important, bien sûr, c’est cette amitié entre l’orant et le destinataire de la prière. Cela me renvoie à la question déjà évoquée tout à l’heure : quel dieu est-ce que je prie ? On peut aussi se poser cette question depuis un autre angle de vue : quel orant suis-je, quel croyant suis-je, qu’est-ce que j’attends de celui que je prie ? Est-ce bien en tant qu’ami s’adressant à un ami, que je le prie ?

 

Or cette relation ne se construit pas à ce moment-là. Il ne s’agit pas de se diriger vers un inconnu et de lui taper dans le dos en l’appelant « mon ami », avant de chercher à lui extorquer ce pour quoi on est venu. On n’est ni dans le marché capitaliste, ni dans la classe politico-médiatique ! Comme toute amitié, celle-ci à la fois se reçoit et se construit. Sinon elle n’existe pas. Avant-même de se poser la question de la prière, c’est bien celle de notre amitié pour et avec Dieu qu’il faut se poser. C’est un préalable. Dieu exauce-t-il la prière de ceux qui ne sont pas ses amis ? Ce n’est pas notre problème… Nous qui prétendons à cette amitié, comment la vivons-nous ordinairement – je veux dire : en-dehors des moments où nous avons besoin de lui ? Le modèle, c’est Abraham : « Abraham crut à Dieu, et cela lui fut compté comme justice ; et il fut appelé ami de Dieu. » (Jacques 2 / 23) Le fonctionnement de cette amitié est donc bien la foi, c’est-à-dire non pas la croyance, mais la confiance.

 

C’est par elle que, comme Abraham, je suis justifié devant Dieu. Sans elle, je n’y aurai aucun titre, car je suis et je reste pécheur. Je sais que Jésus est mort pour moi, pour m’obtenir cette amitié imméritée. Je le sais, mais est-ce que je le crois, c’est-à-dire est-ce que je fais confiance à cet Évangile, à cette bonne nouvelle ? Le savoir ne sert à rien. Est-ce que je vis de cette confiance, ordinairement, comme on vit d’une amitié même quand l’ami(e) est loin ? Pour utiliser un mot qui résonne avec les psaumes, est-ce que je m’attends à Dieu ? Est-ce que je l’écoute quand il me parle, est-ce que je le lis quand il m’écrit ? Et donc, pour que la relation ne soit pas dans un seul sens, déséquilibrée, est-ce que je lui parle, est-ce que je lui écris, comme ça, par amitié… ? Car après tout, la prière, c’est ça.

 

Mais ça n’est pas que ça, car lorsque j’ai besoin de lui, mon ami, je peux aussi non seulement lui parler, mais lui dire ce dont j’ai besoin, le lui demander à lui. Je peux même l’importuner, à des heures qui ne sont pas décentes, quand il dort déjà, etc. Est-ce que je n’accepte pas que lui le fasse ? Ah ! … Est-ce que j’accepte que lui le fasse ? Nouvelle question à laquelle je ne m’attendais pas à propos de la prière ! Est-ce que j’accepte que lui me prie, que lui s’invite, que lui vienne me casser les pieds en bousculant ma tranquillité, en dérangeant mon équilibre parfois difficilement construit ? En fait, ce n’est qu’une nouvelle formulation de la même chose : est-ce que Dieu compte dans ma vie ? Qu’est-ce que je fais de ce que lui a fait pour moi, qu’est-ce que je fais de la mort du Christ pour moi, par laquelle il a fait mourir mon péché en me donnant sa vie ? En quoi ma reconnaissance change-t-elle mon existence – pas seulement mes convictions, mais ma vie quotidienne et mes relations avec les autres ?

 

C’est lorsque je réponds en vérité à cette question, que je peux aller embêter mon ami avec mes histoires à moi, mes besoins qui lui sembleront peut-être dérisoires mais qui sont les miens… C’est lorsque je sais, aussi, que je n’ai rien à offrir à mes amis, que je puis aller me présenter à lui avec ce manque, avec ce manque enfin reconnu, lorsque je sais que, sans lui, je ne puis rien faire (Jean 15 / 5). Et c’est là que la comparaison devient limitée, incapable de dire le vrai de la relation avec Dieu : c’est que je n’ai pas besoin d’ameuter tout le quartier pour que cet ami-là m’écoute et me donne ce dont j’ai besoin. Au contraire, dit Jésus : « demandez et l’on vous donnera ; cherchez, et vous trouverez ; frappez, et l’on vous ouvrira. » Ou comme il le dit ailleurs : « Tout ce que vous demandez en priant, croyez que vous l’avez reçu, et cela vous sera accordé. » (Marc 11 / 24)

 

Parce que Dieu n’est pas seulement un ami, mais un père, ou plus exactement un « parent nourricier », ce qui est une image plutôt maternelle. Et il nous donne vraiment ce dont nous avons besoin. Il nous le donnerait d’ailleurs sans que nous le lui demandions, mais on n’apprend pas à un enfant à grandir en le gavant ! Il nous apprend à vouloir ce qui est bon pour nous, plutôt que ce que nous convoitons spontanément. Il nous apprend à regarder à lui, pour devenir adultes, plutôt qu’à nous complaire dans notre enfance. Et Jésus nous révèle ici ce qui est bon pour nous, pour que nous grandissions dans la foi, pour qu’en nous le « vieil homme » cède la place à « l’homme nouveau » (Éph. 4 / 20-24). Et ce qui est bon pour nous, ce que nous pouvons demander en étant sûrs de le recevoir, certains dans notre confiance en Dieu notre Père, c’est son Esprit saint.

 

La prière de demande n’est donc pas tant quelque chose à apprendre dans la forme : priez donc comme vous voulez, comme vous le sentez. Avec un ami, y a-t-il donc besoin de respecter des formes ? Seulement de respecter l’autre ! Mais la prière de demande doit s’éduquer sur le fond, sur ce que nous avons à demander à Dieu. Il nous faut apprendre à lui demande le Saint-Esprit. Lorsque nous sommes en manque : le Saint-Esprit. Lorsque nous sommes malades : le Saint-Esprit. Lorsque les nôtres sont malades, abîmés, mourants : le Saint-Esprit. Lorsque l’Église va mal : le Saint-Esprit. Lorsque notre pays ou notre village va mal : le Saint-Esprit. Etc. En toute circonstance : le Saint-Esprit. Dieu est notre ami, Dieu est notre Père : il nous donnera le Saint-Esprit si nous le lui demandons avec confiance. Alors nous pourrons faire face à la nécessité à cause de laquelle nous l’avons prié. Sans l’ombre d’un doute. Parce qu’alors, nous ne serons pas seuls avec nos propres forces qui n’en sont pas, mais nous aurons la force-même de Dieu… qui nous mènera peut-être ailleurs que nous l’avions souhaité, mais ça, c’est une autre histoire ! Amen.

 

Raon-l’Étape  –  David Mitrani  –  21 mai 2017

 

 

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