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Évangile selon Luc 1 / 26-56
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texte : Évangile selon Luc, 1 / 26-56 (trad. : Bible à la colombe)
première lecture : Michée, 5 / 1-4a
chants : 31-10 et 45-06 (Alléluia)
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Chers amis, nous venons donc d’entendre ce long passage du prologue de l’évangile de Luc, dans lequel sont mises en parallèle deux naissances, deux femmes, deux histoires, qui résonnent d’autres histoires de l’Ancien Testament. Mais de ces parallèles et de ces références je ne parlerai pas aujourd’hui. De toute façon ce texte est très connu, et vous l’entendez chaque année à pareille époque depuis toujours. Et ce bien que la tradition réformée ait un peu négligé Marie, par pur anticatholicisme – il faut bien le reconnaître. Alors, aujourd’hui, c’est avec elle que nous allons cheminer ; c’est à travers elle qu’une parole nous est dite, cette femme que la théologie classique nommera « mère de Dieu » pour affirmer ainsi la divinité de Jésus. Nous allons le voir : Marie prend sens pour nous à cause de la venue par elle du Fils unique de Dieu, notre Sauveur en qui nous avons la vie.
Mais faut-il parler d’elle ? Luc est le seul des quatre évangélistes à le faire autant, puisque Matthieu se concentre sur la descendance davidique, par Joseph donc, et que Marc et Jean n’évoquent en aucune façon cette naissance. Mais Luc en parle longuement ! Et puis, surtout, il y a ici une prophétie : « toutes les générations me diront heureuse ». Il ne nous est pas permis d’y déroger. Et à défaut de prier Marie – ce que nous nous garderons de faire – il nous faut pourtant répéter avec Élisabeth : « tu es bénie entre les femmes ». Ainsi, oui, Marie est particulièrement bénie, elle est particulièrement heureuse et doit être reconnue comme telle. La première raison qui vient, à la suite des paroles d’Élisabeth, c’est évidemment que Marie a porté et donné naissance à Jésus, qu’Élisabeth appelle « mon Seigneur », lui donnant le nom-même de Dieu dans l’Ancien Testament.
Mais ce n’est pas non plus là-dessus que je veux attirer votre attention ce matin. Ce serait d’ailleurs peu aimable à l’égard de Marie, comme de toutes les femmes : c’est d’une personne qu’il s’agit et non pas d’un ventre ! D’aucuns, à d’autres époques ou en d’autres lieux, ont pu considérer ainsi les femmes. Mais quand bien même cette expérience peut être déterminante dans la vie de quelqu’un, personne n’est défini par sa capacité à enfanter ni par le nombre de ses grossesses. Marie pas plus que qui que ce soit. Alors sinon, qu’est-il dit d’autre à ou sur Marie, dans notre texte ?
C’est encore Élisabeth que nous écouterons, lorsqu’elle déclare à Marie : « Heureuse celle qui a cru à l’accomplissement de ce qui lui a été dit de la part du Seigneur. » Car Marie avait manifesté cette foi à la fin de son entretien avec l’ange, là où Zacharie, le mari d’Élisabeth, avait refusé de croire six mois plus tôt. Elle avait simplement dit : « Voici la servante du Seigneur ; qu’il me soit fait selon ta parole. » Quand je dis « simplement », entendons-nous bien : il n’est pas du tout simple de répondre ceci à un messager de Dieu. En fait, il n’est déjà pas du tout simple de reconnaître un message qui nous est adressé de la part de Dieu ! Mais ensuite, dire « OK, fais-le »… ! Abandonner toute vue personnelle sur la question, laisser Dieu faire, et pas seulement faire pour moi – ça, ça nous irait plutôt – mais laisser Dieu faire avec moi, faire de moi ce qu’il veut, de mon corps, de ma vie… Difficile, non ?
Difficile de sauter le pas. Oui. Mais ensuite ? Ensuite, oui, c’est simple et facile : c’est Dieu qui guide, c’est son Esprit qui œuvre, et non plus moi. Marie a donc « simplement » accepté ça. Nous, depuis quelques petits siècles en Occident, nous pensons que la liberté consiste dans la liberté du choix : mais, bibliquement, ça c’était la parole du serpent, pas celle de Dieu ! (Gen. 3) Pour la Bible, ma liberté commence lorsque je m’en remets entièrement à Dieu. Avant, je suis prisonnier du choix, parce que je suis prisonnier de moi, de mes propres pensées, de mon inconscient aussi, de mes déterminations familiales, sociales, génétiques, culturelles, etc. Je suis prisonnier du projet que j’ai pour moi, ou bien prisonnier de mon absence de projet pour moi. Ainsi je ne vois pas que ceux qui m’aiment ont aussi un projet pour moi, et que ce projet est fait pour me rendre heureux. Et au premier rang de ceux qui m’aiment, il y a mon Dieu ! En disant oui, Marie a accédé à la liberté, celle que l’apôtre Paul appellera « la glorieuse liberté des enfants de Dieu » (Rom. 8 / 21).
Ainsi son bonheur consiste dans sa liberté. Elle est heureuse d’être portée et de se laisser porter par le projet de Dieu pour elle, par l’action de l’Esprit saint en elle. C’est aussi ce qui nous est proposé à chacun, et à notre Église en tant que nous y formons un corps. C’est une bonne nouvelle : nous sommes appelés au bonheur d’être délivrés de nous-mêmes, au bonheur d’être les libres enfants du Père qui nous aime. Mais regardons de plus près la bénédiction d’Élisabeth : « Heureuse celle qui a cru à l’accomplissement de ce qui lui a été dit de la part du Seigneur. » C’est, en quelque sorte, le premier pas de Marie qui est dit l’avoir rendue heureuse. C’est cette foi en la réalisation des promesses de Dieu qui lui ont été adressées à elle.
Souvent, lorsque nous, nous lisons la Bible, ou lorsque nous entendons ou même parlons de l’Évangile, nous avons l’impression que c’est quelque chose d’intemporel, d’extérieur à nous, même si notre tête croit que c’est vrai – parfois avec un peu de difficulté d’ailleurs. En fait, nous faisons comme si c’était de la mythologie ou de l’histoire, quelque chose hors de notre atteinte et qui s’est passé il y a longtemps. Bien sûr, cela a pesé sur notre histoire et a fait de nous ce que nous sommes. Mais le moteur est arrêté, et, selon le sens de la pente, ça avance toujours, ou bien on ne bouge plus, ou même on recule… Il faut que nous réalisions que ce n’est pas parce que nous n’entendons pas le moteur qu’il ne tourne pas. Comme il n’est pas sous notre capot à nous, c’est vrai qu’il est parfois difficile à entendre ou à ressentir ! Mais plus que ça : l’Évangile est une parole qui nous est adressée, et régulièrement adressée, à nous, nous-mêmes, dans et pour notre propre vie. Bien loin d’être de la mythologie, des choses « nous sont dites de la part du Seigneur », via le texte biblique, ou de toutes sortes de manières.
Elles nous ont été dites, elles nous sont dites, et peut-être s’agit-il chaque fois de choses différentes, à moins que Dieu n’ait besoin de répéter à cause de notre surdité ou de notre inattention. Quand vous aimez quelqu’un, vous ne passez pas votre vie à le lui dire comme ça, mais vous avez normalement plein d’autres choses à lui dire à cause de cet amour. Dieu, c’est pareil. Parce qu’il nous aime, il a des tas de choses à nous dire, des tas de choses qu’il nous annonce vouloir faire pour nous ou par nous ou changer en nous. La phrase d’Élisabeth à Marie retentit alors aussi dans notre vie : avons-nous cru, voulons-nous croire, que ces choses qui nous sont dites, ces promesses qui nous sont faites, Dieu les mènera au bout ? Marie nous est donnée en exemple, et Élisabeth nous le confirme.
Marie est dite avoir cru, et Élisabeth constate l’accomplissement. Cet accomplissement – en l’occurrence cette grossesse – est la preuve à la fois que Marie avait dit oui, et que Dieu a fait. Marie a eu raison, non pas parce que c’est bien de croire, mais parce que celui qui lui a annoncé son projet a tenu parole. La grossesse de Marie est la preuve qu’elle a eu raison de croire, c’est la preuve pour nous aussi que nous avons raison de faire confiance et de croire la parole, les promesses de Dieu, à notre égard. Marie est même allée plus loin. Sa grossesse lui a prouvé que Dieu tenait aussi les promesses faites à son peuple à travers les Écritures : c’est ce qu’elle chante dans son Magnificat. Je ne parle pas ici de psychologie, de la manière féminine d’appréhender la réalité quand on va donner la vie – je n’y serai de toute façon pas compétent ! Non, je parle bien de la parole de grâce de Dieu et de la foi qui y répond.
Comme Paul l’écrivait, lorsqu’il dit à propos de l’Évangile que « la justice de Dieu s’y révèle de la foi pour la foi » (Rom. 1 / 17). Dieu nous rend juste, il nous regarde comme ses enfants, à cause de sa « foi », c’est-à-dire de sa fidélité, de sa grâce, de son amour. Et cette justice prend corps en nous par notre « foi », par notre adhésion à cet amour gratuit, paternel. Marie a adhéré à cet amour de Dieu, en vraie fille d’Israël, héritière des promesses d’autrefois. Et elle a constaté dans son propre corps « l’accomplissement de ce qui lui avait été dit ». Elle est donc pour nous autres à la fois unique et exemplaire. Unique parce que ce qui lui a été donnée à elle de vivre ne le sera à personne d’autre. Et exemplaire parce que chacun de nous est invité à réagir comme elle, à adhérer à une parole, à recevoir les promesses de Dieu comme s’accomplissant en nous, dans notre corps, dans notre Église, dans notre vie. Nous sommes invités à croire Dieu, à lui faire confiance lorsqu’il nous parle de nous.
Vous savez, il y a des gens qui vous disent ne pas croire à cause de la création en 6 jours, à cause du Dieu vengeur, à cause des miracles, etc. Vous ne pourrez jamais les convaincre en leur expliquant la création, la jalousie de Dieu ou sa puissance. Mais la seule vraie question à leur retourner, à condition de se la poser aussi à soi-même, c’est : crois-tu ce que Dieu te dit à toi, sur toi, pour toi ? Lorsque Dieu te dit son amour, te propose de tout changer, de t’offrir la vie éternelle dès ici-bas, le crois-tu, même un tout petit peu ? Et si tu le crois, le crois-tu au point de lui dire : « vas-y » ? Le crois-tu au point de te lâcher, et de ne plus avoir comme sécurité que sa parole à lui ? « Heureuse celle qui a cru à l’accomplissement de ce qui lui a été dit de la part du Seigneur. »
Oui, Marie est heureuse, et elle peut librement chanter le Dieu qui tient ses promesses. Pouvons-nous le chanter, nous aussi ? Je veux dire : non pas parce qu’il a tenu ses promesses faites à Abraham… etc., non pas parce qu’il a tenu sa parole annoncée par l’ange à Marie, mais bien parce qu’il tient ses promesses envers nous, chacun de nous, et qu’il a fait de Jésus le Sauveur de chacun de nous. Certes, c’est la même parole, depuis Abraham jusqu’à nous en passant par Marie. Cette parole, c’est Jésus-Christ. Mais l’avons-nous entendue dans notre propre vie, l’avons-nous acceptée, en avons-nous vu l’accomplissement ? Chers frères et sœurs, ne soyez pas trop prompts à répondre que non, et à repartir déçus. Comme Paul l’écrivait à propos de la participation à la sainte cène : « que chacun donc s’examine soi-même, et qu’ainsi il mange du pain et boive de la coupe ! » (1 Cor. 11 / 28)
Et puis, faites confiance aux autres, qui sont témoins devant vous de ce que Dieu a fait pour vous. N’écoutez pas l’Accusateur de Dieu et des humains – Dieu lui-même a cessé de l’écouter – mais écoutez vos frères et sœurs lorsqu’en eux l’Esprit du Dieu vivant s’agite en reconnaissant en vous un enfant de Dieu gracié, chéri, promis à la vie. Du « parle, Seigneur, ton serviteur écoute » de Samuel enfant (1 Sam. 3 / 9-10), à « je suis la servante du Seigneur, qu’il me soit fait selon ta parole », c’est notre vraie place qui nous est montrée. Il nous suffit de l’occuper, comme Marie l’a fait. Amen.
Raon-l’Étape – David Mitrani – 20 décembre 2015