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Évangile selon Luc 1 / 26-38
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texte : Évangile selon Luc, 1 / 26-38 (trad. : Bible à la colombe)
premières lectures : Évangile selon Luc, 1 / 45-55 ; Ésaïe, 52 / 7-10 ; épître aux Philippiens, 4 / 4-7
chants : 22-08 et 45-24 (Alléluia)
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« Grâce et paix à vous ! » C’est ainsi que l’apôtre Paul saluait les destinataires de ses lettres au début de celles-ci (Rom. 1 / 7 ; 1 Cor. 1 / 3 ; etc.). Et vous savez qu’il rassemblait ainsi en une seule formule les salutations traditionnelles en grec et en hébreu, les « bonjour » des deux langues, si vous préférez… Alors, bien sûr, quand l’ange s’adresse à Marie, il lui parle grec, comme les premiers lecteurs de ce texte, et il ne lui dit pas « je te salue », mais « grâce ! » Et cela donne une phrase étrange : « Grâce, graciée, le Seigneur avec toi… » Ne nous étonnons donc pas que l’évangéliste nous dise que, « troublée par cette parole, elle se demandait ce que signifiait une telle salutation. » D’autant que l’ange en rajoute : « tu as trouvé grâce auprès de Dieu. » De quelle grâce s’agit-il donc, puisque par trois fois ce mot est donné à Marie – et peut-être à nous à travers elle ?
Quand on vous dit « bonjour », on vous souhaite donc quelque chose de bon pour vous : une bonne journée, une journée qui comporte des choses qui vous fassent du bien. Quand on vous dit « shalom » en hébreu, on vous souhaite de connaître la paix, qui est cet équilibre de l’existence dans lequel les mauvaises pentes ont disparu, et où vous êtes donc en communion avec vous-mêmes, avec les autres et avec Dieu. Que vous souhaite-t-on lorsqu’en grec on vous dit « grâce » ? Eh bien c’est là aussi quelque chose qui est en lien avec Dieu. Avec les dieux quand on est païen, mais avec le seul vrai Dieu quand on est juif ou chrétien. Les paroles de l’ange Gabriel le disent d’ailleurs clairement : « Le Seigneur est avec toi », « auprès de Dieu » … Comme lorsqu’on parle d’un « retour en grâce » pour un courtisan qu’on ne recevait plus ! La grâce est alors la faveur du puissant, le fait qu’il vous accepte dans sa proximité sans que vous ayez à craindre quoi que ce soit.
Le sens de la salutation est donc assez clair. Pourquoi Marie est-elle interrogative sur le sens de ceci ? Il peut y avoir deux raisons. La première est la forme, étrange à l’oreille, de « grâce ! graciée… » Et puis, pourquoi une telle insistance sur ce mot ? La seconde est le sens de cette grâce qui lui a été faite à elle, et dont, manifestement, elle n’a pas eu conscience. Mais est-elle dans le secret de Dieu ? L’ange est d’abord un messager : il vient lui faire connaître ce secret, il vient lui révéler que grâce lui a été faite, et faite au point même que c’est cette grâce qui maintenant la définit. L’ange n’a pas dit « grâce, Marie, qui as été graciée », mais simplement « grâce, graciée », comme si « graciée » était sa qualité, son nom… La traduction catholique : « pleine de grâce » semble meilleure que « toi à qui une grâce a été faite », traduction protestante bien faible, peut-être volontairement faible pour éviter toute mariolâtrie… La troisième occurrence du moi est plus explicative : « tu as trouvé grâce »…
Dans le texte biblique, rien ne donne la raison de cette faveur. On ne nous a pas parlé de Marie auparavant. On ne nous a rien dit de ses parents, de sa jeunesse, de sa piété – contrairement aux textes apocryphes qui vont en faire des tonnes ! Seulement « une vierge fiancée à un homme », qui, lui, est un peu mieux défini. Si le texte biblique ne dit rien, ce n’est pas pour que nous cherchions, mais parce qu’il n’y a rien à chercher. Elle a « trouvé grâce », elle ne l’a pas gagnée ni méritée – sinon d’ailleurs on aurait plus de peine à parler de « grâce ». La seule initiative qui soit ici soulignée est celle de Dieu : c’est lui qui fait grâce à qui il veut, « l’Éternel est compatissant et il fait grâce, il est lent à la colère et riche en bienveillance » (p.ex. Ps. 103 / 8). Cette phrase souventes fois répétée dans l’Ancien Testament s’applique ici parfaitement, sans que rien qui concerne Marie ne soit connu, sans que rien ne donne d’autres raisons que la « bienveillance » de Dieu, la même qui sera chantée avec d’autres mots par les anges la nuit de Noël (Luc 2 / 14).
L’ange intervient trois fois. Et ces interventions sont trinitaires : dans la première, il est question du Seigneur, et ici il ne s’agit pas de Jésus qui n’est pas encore né, mais bien du Dieu de l’Ancien Testament, que Jésus appellera « Père » ; dans la seconde, c’est la naissance du Fils qui est annoncée ; et dans la troisième l’intervention du Saint-Esprit. Mais à laquelle de ces paroles Marie pense-t-elle lorsqu’à la fin elle déclare : « qu’il me soit fait selon ta parole » ? Je crois bien, s’il faut en choisir une, que c’est la première, celle qui justement l’avait laissée perplexe. C’est la grâce. Et dans ce jeu entre l’ange et Marie, dans ce jeu grammatical aussi, c’est toute la foi qui se joue, la liberté humaine alliée à la grâce divine : « graciée », dans la salutation de l’ange, était conjugué au parfait, comme quelque chose de déjà fait, d’accompli, dont ce dialogue n’était alors que la conséquence ; et la réponse de Marie suppose un avenir, une réalisation présente ou future de ce qui n’aurait été qu’annoncé.
J’insiste : je crois bien que c’est, là, de la grâce qu’il est question, et pas de la naissance de Jésus (qui n’arrive pas seulement à Marie, mais au monde entier !)… « Qu’il m’advienne » à moi, dit-elle. Il ne peut s’agir que de la grâce qui a été non pas annoncée mais déclarée au début. « Que le projet de Dieu pour moi, déjà réalisé par lui, devienne réalité pour moi, dans ma vie concrète… Ce qui aux yeux de Dieu est déjà là n’est, à mes yeux à moi, qu’une promesse à laquelle il faut que j’acquiesce. » Les deux sont vrais. Les deux moments sont contemporains l’un de l’autre : le parfait divin et le futur humain. Les deux réalités sont présentes côte à côte : la liberté souveraine de Dieu, et la liberté du choix de l’homme ou de la femme qui est concerné(e). En ce sens, Marie réalise une vocation, elle se fait librement la servante qu’elle était devenue par grâce. La foi procède toujours ainsi, elle n’est jamais prise de possession par Dieu d’un humain qui devient simple marionnette, hormis dans quelques cas très particuliers dont le prophète Jérémie est un bon exemple, ainsi que quelques-uns de ses collègues… Mais c’est une autre histoire !
Marie est ici un modèle, un archétype de la foi qui est le oui de l’être humain au oui de Dieu. C’est le contraire de ce qui se passe normalement : le non de l’être humain comme cause et conséquence du non de Dieu, le rejet par Dieu des humains coupables et le rejet par ceux-ci d’un Dieu qui n’est pas à leurs ordres. Marie, c’est tout le contraire. La foi, c’est tout le contraire. C’est la libre réponse reconnaissante de celui ou celle qui a été graciée, rempli, nouvellement défini, par cette reconnaissance gratuite de Dieu. Car la grâce est gratuite, et pourtant elle suscite la foi. Tout comme l’amour est gratuit, et pourtant il suscite l’amour. Lorsque ça ne « marche » pas pour nous, c’est que nous ne savons pas saisir ce qui nous est offert, c’est que nous persistons dans d’anciennes définitions de nous-mêmes. Nous ne nous acceptons pas comme « graciés ». Marie, elle, l’a fait. Avec étonnement et demande d’explications, mais elle l’a fait. Elle s’est acceptée « graciée ».
Pour revenir au français courant, lorsqu’on nous salue d’un « bonjour, comment vas-tu ? », et qu’il ne s’agit pas d’une vraie question mais de la suite du « bonjour », la seule réponse possible est « bien, merci ». Pas par convention ni parce que nous allons bien. Mais parce que le « bon jour » devient réalité pour nous dès qu’entendu et reçu, et cela fait qu’alors nous allons bien, même si d’autres choses en nous ou autour de nous vont mal. Le « bien, merci » signifie que le jour est devenu bon pour nous parce qu’on nous l’a souhaité et proclamé. « Bonjour » est une parole performative, qui réalise ce qu’elle énonce. Le « shalom » hébreu et la « grâce » souhaitée en grec font de même. Or la parole divine est toujours performative. Elle réalise toujours ce qu’elle énonce, comme aux jours de la Création : il dit, et cela est…
Chers amis, je ne parle pas de magie ni de mythologie, mais de la parole que Dieu nous adresse à nous, tout comme autrefois il a adressé la parole à Marie. Cette parole est spéciique pour chacun de nous, et nous ne sommes pas Marie, et vous n’êtes pas moi et moi pas vous, etc. Mais toutes les paroles que Dieu adresse à des individus particuliers réalisent toutes ce qu’elles énoncent. Et ainsi, tous ceux à qui Dieu s’adresse sont « graciés » de la même manière que Marie. Telle est la puissance de la parole de Dieu : elle transforme ceux à qui elle est adressée, parce que « le Saint-Esprit viendra sur toi », dit l’ange. Il y a une action de l’Esprit qui, non pas nous oblige, mais nous libère des obligations que nous avions et qui empêchaient que s’accomplisse en nous cette parole. Ce n’est pas lorsque la parole de Dieu nous atteint que nous devenons esclaves, mais c’est lorsque nous sommes esclaves que cette parole nous est dite pour nous rendre libres. C’est ce qui est arrivé au peuple hébreu autrefois, en Égypte ! « J’ai appelé mon fils hors d’Égypte » (Osée 11 / 1 ; Matth. 2 / 15), rappellera l’Évangile de Noël…
« Grâce, graciée, le Seigneur avec toi ! […] Tu as trouvé grâce auprès de Dieu. » Ceci nous a été dit au moment de notre baptême, même si la plupart d’entre nous ne l’ont pas entendu. Mais ceux qui l’ont entendu, ce jour-là ou lors de la confirmation de cette même parole, l’ont bien entendu comme quelque chose qui a été fait, à notre bénéfice. La réponse au pourquoi du comment, c’est la personne de Jésus-Christ, pour nous comme pour Marie. Et le pour quoi faire est différent pour chacun, mais on ne l’entend que dans la parole de Dieu. Lisez donc la Bible, méditez-la, afin d’entendre une parole plus personnelle, ou plutôt afin de comprendre comment cette parole très personnelle peut prendre corps dans votre propre existence. Car c’est elle qui est concernée : votre existence à vous, tels que vous êtes, vivant là où vous êtes, avec l’âge, la santé, la richesse et les forces qui sont les vôtres aujourd’hui.
Ne comptez pas sur vous, mais sur Dieu qui « donne ce qu’il ordonne ». La réponse à la grâce, c’est la foi, vous disais-je. C’est-à-dire la confiance. N’hésitez pas à faire comme Marie : à interroger le porteur de la parole, à interroger la Bible, à chercher à comprendre pour mieux pouvoir dire oui. Car le but n’est pas votre compréhension, qui n’est qu’un moyen. Le but est votre réponse. La foi est une réponse personelle, pas une doctrine. Elle est une rencontre qui certes nous laisse seuls – « l’ange s’éloigna d’elle » – mais qui nous laisse transformés, changés, plus « près / prêts » dans les deux orthographes du mot : plus près de Dieu, plus prêts à vivre ce qu’il nous confie. La « grâce » qui nous est faite est celle d’assumer que nous sommes « servantes » et serviteurs du Seigneur. Non pas pour nos projets définis sans lui. Mais pour son projet à lui pour nous, toujours bien meilleur de toute façon, et comme il voudra, quand il voudra…
Souvent la grâce de Dieu nous fait peur : peur de perdre notre liberté, peur de l’inconnu, peur du fanatisme. Mais ce n’est pas de ça qu’il s’agit. La grâce de Dieu, c’est le « bonjour » de Dieu, c’est ce qui rend nos jours bons, c’est ce qui met en nous sa paix. Ouvrez-vous, ouvrons-nous à la grâce que Dieu nous fait, ouvrons-nous à recevoir sa salutation qui change la vie. Marie nous y a précédés, il nous appartient de suivre le même chemin, celui de son fils. Il nous y attend. Amen.
Raon-l’Étape – David Mitrani – 18 décembre 2016