Évangile selon Jean 7 / 37-39

 

texte :  Évangile selon Jean, 7 / 37-39   (trad. : Bible à la colombe)

premières lectures :  Jérémie, 31 / 31-34 ; épître aux Éphésiens, 3 / 14-21 ; Évangile selon Jean, 15 / 26 – 16 / 4

chants :  490 et 507  (Arc-en-ciel)

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Comprenez-vous « quelle est la largeur, la longueur, la profondeur et la hauteur, et [connaissez-vous] l’amour du Christ qui surpasse la connaissance » ? Ou bien êtes-vous, sommes-nous, comme ces hommes pieux de l’Ancienne Alliance, qui se répètent l’un à l’autre « Connaissez l’Éternel ! » ? Certains vivent tranquilles, car personne ne leur demande de rendre compte de leur foi : c’est généralement notre cas… D’autres sont l’accomplissement de la prophétie : « l’heure vient où quiconque vous fera mourir pensera offrir un culte à Dieu », disait Jésus… Et comment ne pas penser à Manchester, mais aussi encore plus récemment au car dans lequel 29 Coptes, enfants compris, viennent d’être massacrés, sans parler de tout ce qui se passe régulièrement, quasi quotidiennement, au Cameroun, au Nigeria, aux Philippines, etc. ? Comprenez-vous ?

 

Non. Nous ne comprenons pas. Comment comprendrions-nous toutes les dimensions de l’amour du Christ dans l’espace et le temps, alors que nous sommes empêtrés dans le présent là où nous vivons, incapables de voir plus loin que nos propres peurs et notre propre intérêt et celui des gens qui nous sont chers, qui sont « les nôtres », comme nous disons avec vérité, tant nous les possédons pour nous-mêmes plutôt que pour eux ? C’est le poids du péché, de ce qui nous tire vers le bas alors que nous croyons souvent que ça nous tire en avant… Nous sommes comme l’homme de la parabole, vous savez, qui avait rempli son grenier de grain, sans savoir que sa vie s’arrêtait maintenant, pauvre fou rêveur plein de lui-même et pourtant vide de sens… (Luc 12 / 16-21) Comment connaîtrions-nous cet « amour qui dépasse la connaissance », quand nous ne nous connaissons pas nous-mêmes ?

 

Mais quand la fête s’achève, au sommet de la fête retentit la voix du Seigneur : « Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi et qu’il boive. Celui qui croit en moi, des fleuves d’eau vive couleront de son sein, comme dit l’Écriture. » C’est bien le même sujet ! Hors de la connaissance, hors de tout ce que je puis confesser de juste sur Dieu et sur le Christ, quelque chose peut se passer de vital, presque de « tripal », entre Jésus et moi. Son appel, c’est-à-dire sa mort pour moi, me fait réaliser à quel point j’ai soif, au lieu de croire que je n’en ai pas besoin et de mourir desséché, comme tous les autres. Et si je ressens cette soif qu’aucune doctrine, aucune morale, aucune richesse, aucune paix ni justice humaine, ne peut assouvir, je n’ai que deux solutions : mourir de soif en m’épuisant à chercher un verre d’eau là où il n’y en a pas, ou bien répondre à l’appel, et boire à cette source !

 

Pourtant notre texte est étrange et paradoxal : la source ne se tarit pas, mais le coup de projecteur n’est plus sur moi en train de boire, mais sur moi en train de laisser couler à travers moi la source à laquelle je m’abreuve. Ce texte-ci ne dit pas que je serai désaltéré, il dit que d’autres pourront boire à cette source qui « coulera depuis mes entrailles ». La promesse qui m’est faite concernant l’amour du Christ est donc bien une promesse qui concerne mon présent et mon avenir, mais pas ma compréhension : mes « tripes », je vous le disais, l’engagement de tout mon être intérieur dans une relation parfaitement nouvelle, très loin d’un tête-à-tête mystique avec Dieu seul, mais au contraire une relation dans laquelle l’engagement de Dieu envers moi, en moi, se poursuit vers les autres. Comme témoin de l’amour de Christ, je le suis avec mon être tout entier, car cet amour me traverse littéralement. C’est l’œuvre de l’Esprit saint, la présence agissante de Dieu, en moi.

 

Alors, pourquoi ça ne marche pas ? Pourquoi est-ce que, non seulement je ne comprends pas, mais je n’arrive pas non plus à aimer vraiment ? Parce que ce n’est pas « je » qui le fera, mais l’Esprit saint, comme je viens de vous le redire. C’est lui d’ailleurs qui est la source à laquelle je m’abreuve, et qui coulera à travers moi. Pourquoi ça ne marche pas, disais-je ? L’évangéliste nous répond : « l’Esprit n’était pas encore donné, parce que Jésus n’avait pas encore été glorifié. » Dans le cadre de la chronologie des récits sur Jésus, pour Jean cela signifie qu’on est avant la mort de Jésus, ou pour Luc cela signifierait qu’on est entre Pâques et Pentecôte, ce qui est le cas aussi de notre calendrier liturgique, n’est-ce pas ? Mais celui-ci n’est qu’une image, une image de nous autres…

 

Si « Jésus [n’a] pas encore été glorifié » de telle sorte que son Esprit ne me désaltère pas et ne me transforme pas moi-même en puits, c’est donc qu’il « [n’a] pas encore été glorifié » en moi, pour moi. Il est mort pour moi, je le sais, mais cela ne m’a pas encore atteint. Et comment saurai-je que j’ai été atteint ? Sans avoir besoin d’être pentecôtiste, il faut bien dire qu’on le sait, quand on est aimé d’une manière qui change la vie ! La question est donc plutôt : comment saurai-je les conditions qui doivent être remplies pour ce faire ? C’est évidemment manière humaine de parler… Mais à cette question, la réponse est donnée, étonnamment, par le « Notre Père » (Matth. 6 / 9-13). Je vous propose donc de le relire rapidement.

 

Première demande : « que ton Nom soit sanctifié ». Comment donc le nom du Seigneur est-il ou pas sanctifié dans mon existence ? Comment Dieu est-il Dieu et Seigneur dans ma vie, plutôt qu’un « truc » qu’il faut croire ?… Et comment ma vie permet-elle qu’il soit reconnu pour ce qu’il est ? Comment puis-je « dire “Seigneur ! Seigneur !” et ne pas faire ce qu’il [me] dit » ? (Luc 6 / 46) Si je ne m’abreuve pas déjà à la source d’eau vive qu’est Jésus-Christ, c’est qu’il n’est pas glorifié dans ma vie, c’est que son nom n’est pas sanctifié dans ma vie… Deuxième demande : « que ton règne vienne ». C’est la même chose avec d’autres mots. Qui peut dire que Dieu règne dans sa vie ? Qui peut prétendre qu’il n’a jamais l’ombre de l’idée que quelque chose ou quelqu’un d’autre est prioritaire par rapport à Dieu ? Oui, je lui obéirai tout à l’heure, mais là, maintenant, il faut que je fasse autre chose… Et le « maintenant » où Dieu n’est pas prioritaire peut durer toute ma vie ! Je serai à lui, tout à l’heure, demain, à ma retraite, après ma mort… Mais là, n’est-ce pas, il sera trop tard ! Alors je mets des « si ». Je serai à lui, il régnera sur moi, si ceci ou cela… Ça non plus, ça ne marche pas, vous le savez tous. C’est comme le tout jeune Luther effrayé par un violent orage, qui avait promis d’être à Dieu si l’orage l’épargnait. Résultat ? Une vie d’angoisse au couvent… Heureusement pour lui et pour nous, Dieu avait préparé autre chose…

 

Car après tout, troisième demande : « que ta volonté soit faite, comme au ciel aussi sur terre », c’est Dieu qui le fait, ce n’est pas nous, et c’est bien pour ça que nous lui adressons à lui toutes ces demandes qui n’en sont qu’une : « viens, Seigneur Jésus ! » (Apoc. 22 / 20) Ma terre à moi, ma vie, moi, cette terre est incapable de Dieu, et il ne sert à rien de tourner autour du pot quand on écrit une confession de foi : qu’on parle de péché ou bien qu’on ne veuille plus du mot, la réalité est là, je ne suis pas capable de pratiquer ce que Dieu ordonne de moi. Surtout si je dois le faire à l’image du ciel, de manière aussi parfaite. Je ne suis pas un ange, voilà. Ce n’est pas une excuse, c’est une constatation. Encore une fois, ma vie est incapable de « glorifier Dieu ». Mes lèvres seules savent parfois le faire, et encore : quand personne ne m’entend, sinon vous autres qui êtes comme moi…

 

Alors, si je ne suis pas capable du ciel, peut-être le ciel peut-il venir jusque sur ma terre ? C’est tout l’Évangile ! Quatrième demande : « donne-nous aujourd’hui le pain dont nous avons besoin », ce pain spirituel que même tout mon travail sera toujours incapable de fabriquer, car il n’est ni de farine ni d’argent ni de situation sociale ni de santé ni de quoi que ce soit de ce genre. Ce pain, c’est le Christ lui-même, et c’est par la prédication de son Évangile et le partage de son repas qu’il se donne à qui le reçoit avec foi. Pauvres et malheureux peut-être sans le savoir, tous ceux qui sont à la recherche du pain qui nourrit, et qui s’abstiennent de venir le recevoir et le manger là où il se donne gratuitement à tout un chacun. Nous qui savons que nous sommes pauvres et malheureux sans lui, n’hésitons jamais à nous approcher de sa chaire et de sa table. Peut-être est-ce ça, la façon par laquelle nous pouvons le glorifier : simplement être là quand lui s’approche et se donne à nous.

 

Une autre manière, cinquième demande : « pardonne-nous nos offenses comme nous aussi nous pardonnons… », ou plutôt « remets-nous nos dettes comme nous aussi nous remettons à nos débiteurs ». Nous sommes bien dans ce que Jésus disait dans le texte de Jean : quelque chose de reçu qui se déverse sur d’autres ! Accepter d’être pardonné. Ce n’est pas une question de morale. Accepter, se reconnaître en dette, en dette infinie, à l’égard de Dieu, au lieu d’être fiers, bêtement fiers, de notre religion. Et accepter que cette dette soit remise, sans avoir rien fait pour, sans l’avoir mérité d’aucune façon. Et comment le saurai-je, comment le verrai-je, comment les autres le verront-ils, que ma dette est remise ? Si je remets celles qu’on me doit à moi ! Si cette remise de dette me traverse pour atteindre ceux qui me doivent, à moi qui ne suis rien.

 

Si ça se passe, il se pourrait que j’en sois fier, il se pourrait que je pense être l’auteur d’une telle foi, d’une telle œuvre bonne. Il se pourrait que j’oublie ma propre dette, et celui qui me l’a remise. Il se pourrait que, sous couvert de remise généreuse de dette, j’ai lié l’autre à moi de façon perverse. Il se pourrait que je me sois fait diable en croyant faire l’ange. Sixième demande alors : « ne nous conduis pas dans l’épreuve », ne me mets pas dans une situation où je me tromperais sur Dieu et sur moi, au détriment des autres. « Ne [me] laisse pas tomber », comme dit la chanson (Femme libérée). Ne me laisse pas me prendre les pieds dans le tapis, ne me mets pas sur ce tapis-là, car « tu es mon rocher, ma forteresse » (Ps. 18 / 3). Septième et dernière demande : « délivre-nous du Malin », délivre-nous, délivre-moi, de toutes les fausses images de Dieu et de moi qui encombrent ma vie, ma piété, ma foi, et même mon Église.

 

Alors oui, « si quelqu’un a soif, qu’il vienne à [Jésus] et qu’il boive », qu’il vienne avec sa prière, avec son « notre Père » que nous prions ensemble, nous portant les uns les autres sur ce chemin où Christ vient vers nous. Ne cherchons pas dans notre obéissance, et ne regardons plus notre désobéissance. Regardons à Jésus, non pas au ciel de nos théologies ou de nos mythologies, mais dans notre vie, sur notre chemin à nous, précisément là où nous avons soif, précisément là où nous n’y arrivons plus. C’est seulement là que nous rencontrerons le Christ, là où il a été crucifié pour nous, à cause de nous, à notre place, afin d’être fait nourriture d’éternité et source d’eau vivifiante, pour notre profit et pour notre témoignage. Car il nous le dit, les deux sont une même chose : là où je bois à la source, c’est là qu’elle devient des fleuves abondants qui coulent depuis moi-même. Que personne donc n’en doute : le Christ a été glorifié, « c’est fait » (Apoc. 21 / 6), car « Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse pas, mais qu’il ait la vie éternelle ». (Jean 3 / 16) Immergez-vous en lui, buvez jusqu’à plus soif, buvez encore et toujours, car le monde qui vous entoure a besoin de ces « fleuves d’eau vive » que vous ne pourrez pas empêcher de « couler de [votre] sein. » « Tout le reste vous sera donné par surcroît. » (Matth. 6 / 33). Amen.

 

Saint-Dié  –  David Mitrani  –  28 mai 2017

 

 

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