Évangile selon Jean 20 / 1-10

 

texte :  Évangile selon Jean, 20 / 1-10   (trad. : Parole de vie)

chants :  232 et 255  (Arc-en-ciel)

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Courez, courez ! Ce tombeau vide fait courir ! Avez-vous couru pour le chercher ? Mais quel intérêt de courir, puisqu’il est vide ? … Ils ont couru, pourtant. D’abord Marie, partie pleurer sur le tombeau, sur la mort de celui qui avait tant compté pour elle. Partie pleurer devant un tombeau fermé, devant une pierre, devant un mur. Devant rien, en fait. Comme nous tous quand nous pleurons, que ce soit sur des tombes ou devant nos télés, que ce soit sur nos morts ou nos échecs, ou à propos d’autres morts ou d’autres échecs : un mur, une dalle, un écran, font barrage. Ils disent une distance infranchissable. Pourquoi y courir, sinon pour s’y casser le nez ?

 

Mais non. Marie n’a pas couru vers le tombeau. Elle y allait, sans doute à pas tranquille, toute à sa peine. Mais c’est là-bas que tout s’est déclenché : la pierre avait été roulée ! A-t-elle eu peur, Marie ? S’est-elle cru dans un film d’horreur, ou bien dans un film de gangsters ? C’est là-dessus en tout cas qu’elle s’arrête au moment de trouver Pierre et « l’autre disciple » jamais nommé dans l’Évangile. « On a enlevé le Seigneur… » Oui, elle a couru pour le leur dire, pour leur dire non plus sa peine, mais son inquiétude, son incompréhension : « nous ne savons pas où on l’a mis… » La distance s’est augmentée, l’infranchissable a pris des dimensions affolantes. Non seulement le passé est mort, mais il s’est enfui. Marie y avait investi sa vie, dans sa rencontre avec Jésus. Elle se retrouve désormais sans aucune prise sur ce passé maintenant hors d’atteinte. C’était sur sa propre mort que Marie venait pleurer, et c’est elle qui a été enlevée : elle est perdue, vraiment perdue, introuvable. Elle court désormais pour trouver quelqu’un qui l’aidera, peut-être, à se retrouver…

 

« Simon Pierre et l’autre disciple » courent à leur tour, mais eux, c’est bien vers la tombe qu’ils courent. Pour voir quoi ? Pensent-ils avoir meilleure vue que Marie parce qu’ils sont des hommes ? On sait bien que le témoignage des femmes n’était pas vraiment reçu (Luc 24 / 11). Ou bien est-ce la mise en œuvre de l’Écriture ? « Moïse [a] dit : Quand quelqu’un a commis un crime, un péché ou n’importe quelle autre faute, le témoignage d’une seule personne ne suffit pas pour le condamner. Il faut deux ou trois témoins pour établir les faits. » (Deut. 19 / 15) Qui donc aurait ici commis un crime, sinon Jésus qui a été exécuté pour ça ? Le lui reprocheraient-ils, en s’apprêtant à témoigner… contre lui ?! Dans un autre texte, c’est bien ce que disent d’autres disciples rentrant à Emmaüs : « Nous, nous espérions que c’était lui qui allait libérer Israël. Mais, voici déjà le troisième jour depuis que c’est arrivé. » (Luc 24 / 21) Toujours est-il qu’ils courent maintenant, comme appelés par le vide du tombeau, aspirés par lui, au point-même qu’ils ne s’attendent pas l’un l’autre : « Ils courent tous les deux ensemble, mais l’autre disciple court plus vite que Pierre et il arrive le premier à la tombe. » Course symbolique vers la mort ? Espèrent-ils, eux, se « retrouver » là-bas, eux qui se sont perdus entre Gethsémané et Golgotha ? … Leur communion-même, qui était fondée par Jésus et en lui, leur communion n’est plus que de façade, chacun va à son propre rythme, chacun mène sa propre course, solitaire. Pauvre Église, sans son Seigneur !

 

Que se passe-t-il alors ? Difficile à interpréter… L’un regarde de dehors, l’autre entre, dans ce tombeau qui était comme une grotte, et pas comme nos tombes à nous ; puis le premier entre à son tour. Qu’y a-t-il donc à voir ? Le texte grec utilise trois verbes différents pour « voir », comme si c’était difficile, comme si voir ce qu’il y avait à voir était difficile. Pas pénible, car le corps de Jésus n’est plus là. Mais difficile à comprendre. L’explication de Marie est la plus simple. Les deux disciples cherchent-ils des indices ? Rien dans notre texte ne le suppose. Le tombeau est vide, il ne garde que le souvenir de ne pas l’avoir été, le souvenir qu’un corps y a été déposé, entouré d’un linceul et de bandes. Jésus a vraiment été mort… mais son corps n’est plus là. Ce vide désarmant révèle aussi, met au grand jour, les oppositions entre Pierre, le chef, et « l’autre disciple », entre la foi et la vue, entre le chrétien que je pourrais être et celui que je suis vraiment… Il y en a un qui regarde et qui ne voit rien qui donne sens, et puis il y en a un autre qui « voit et [qui] croit ». Mais qu’a-t-il donc vu que Pierre n’avait pas vu ? Rien. Comme Pierre, il a vu… rien. Et lui, il a cru. Mais il n’a pas compris, lui non plus : « en effet, les disciples n’avaient pas encore compris ce que les Livres Saints annonçaient… »

 

« Ensuite les deux disciples retournent chez eux. » Le tombeau vide n’a rien changé. Leur course-même n’a rien changé. L’un des deux a cru… quoi ? L’autre pas. Ils ont leur Bible, tout y est écrit, et ils n’ont pas compris ce qui était écrit. Ils n’ont pas compris que, dans ce qui deviendra l’Ancien Testament, « les Livres Saints annonçaient [que] Jésus doit se relever de la mort. » Nous, nous avons le Nouveau Testament, qui le dit clairement. En faisons-nous meilleur usage que les disciples de cette histoire avec leur Bible à eux ? Je ne suis pas sûr, pas même pour moi ! Il y a ceux qui courent plus ou moins vite, qui ont une lecture plus ou moins attentive, plus ou moins spirituelle ; il y a ceux qui cherchent à comprendre, et ceux qui croient. Et tous nous courons, attirés par un inatteignable, par le vide du tombeau, sans trop savoir si c’est celui de Jésus ou le nôtre, si c’est notre vide ou notre tombeau… Nous sommes de simples disciples, mystiques ou libéraux, laissés à notre propre course, à notre propre rythme. Et sortant de ce culte, peut-être « retournerons-nous chez [nous] » inchangés ; questionnés certes mais sans réponse ; ayant couru comme ceux qui ce matin entourent ce temple, mais sans plus de sens ni de but… Alors, où donc Jésus est-il passé ?

 

Peut-être est-ce la bonne question ! Non pas « où on l’a mis », mais : où il est passé, où il est allé, lui, de lui-même ? S’il est vivant, où est-il ? Jeudi, je recevais dans ce temple des élèves d’école primaire, qui posaient plein de questions. L’un d’entre eux m’a demandé : « mais alors, si vous dites que Jésus est ressuscité, vous croyez qu’il est vivant ?! » Chers amis, entendez et recevez cette question vous-mêmes. Vous qui êtes ici ce matin, qui fêtez Pâques, qui confessez que Jésus est ressuscité, croyez-vous donc qu’il est vivant ? Et si oui, où donc pensez-vous qu’il se trouve ? « À la droite du Père, d’où il viendra pour juger les vivants et les morts » ? Amen ! Mais vous entendez bien que cette formule est un brin… mythologique… Elle n’est pas une réponse, elle ne fait que redire la question, tout en soulignant que nous, « les vivants et les morts », nous y sommes impliqués ! Elle est comme le tombeau vide, elle nous dit à la fois que nous ne pouvons plus mettre la main sur Jésus, comme si c’était « notre » Jésus, comme ont cru pouvoir le faire ceux qui l’ont cloué au bois et mis dans ce tombeau. Mais le tombeau est vide ! Et elle nous dit aussi que nous avons à le chercher, et même que le jugement sur nos propres vies est en cause dans cette recherche, dans cette éventuelle rencontre avec un Jésus qui est vivant, mais où ? …

 

Ne courez donc pas vers le tombeau vide : il est vide. N’y allez même pas : il n’y a rien à voir ! Si Jésus est vivant, il n’y est pas : quel intérêt d’être vivant et de rester dans un tombeau ?! Or, si vous n’allez pas dans ce tombeau, sortez aussi des vôtres. Dans vos propres tombeaux, dans vos propres prisons, il n’y a rien non plus à voir ni à vivre. La vie est dehors ! Cherchez donc Jésus là où il y a de la vie. C’est-à-dire là où vous vivez, là où vous êtes heureux, là où vous avez mal, là où vous faites la volonté de Dieu, là où vous n’y arrivez pas. Vous ne trouverez pas Jésus là où vous oubliez de vivre ; ce sont les tombeaux qui sont les lieux de l’oubli, le lieu des murs froids où des noms sont écrits qui ne seront plus jamais prononcés. Ce sont nos croix et nos résurrections que Jésus fréquente, c’est là qu’il meurt et qu’il donne la vie. Mais vous risquez fort de ne pas l’y voir. Tout comme Élie, à Horeb, n’a reconnu le passage de Dieu qu’au « bruit d’un souffle léger » (1 Rois 19 / 12), ce « souffle fragile » que nous avons chanté tout à l’heure, c’est dans le silence que nous entendons sa voix, c’est dans l’invisible que se révèle sa présence, c’est dans un bout de pain et un peu de vin que sa vie se reçoit.

 

Il faut donc cesser de courir. Déjà pour nous attendre les uns les autres, sinon il n’y a pas d’Église, chacun n’a qu’à manger et boire chez lui, et y mourir seul (1 Cor. 11 / 33-34 ; 15 / 32). Mais Jésus nous dit : « quand deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis là au milieu d’eux. » (Matt. 18 / 20) Il faut cesser de courir, pour pouvoir nous tenir ensemble dans la présence du Seigneur, cette présence qui ne tient pas à nous, mais à son amour pour nous. On ne convoque pas Jésus, non plus qu’on ne le trouve dans les cimetières. Sa présence, son amour, se saisissent par la foi, par la confiance qu’il est vivant, et que son amour est agissant. C’est ce qu’il dit lui-même à la toute fin d’un évangile : « Je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde » (Matth. 28 / 20). C’est l’Esprit qu’il nous a promis dans un autre : « le Père vous donnera quelqu’un d’autre pour vous aider, quelqu’un qui sera avec vous pour toujours : c’est l’Esprit de vérité. » (Jean 14 / 16) C’est lorsqu’il a fini de courir, et après que Pierre a évalué ce qu’il voyait, que « l’autre disciple » a cru, c’est-à-dire a fait confiance, non pas à ce qu’il voyait – rien – mais à ce qu’il ne voyait pas, à celui qu’il ne voyait pas, mais dont les Écritures disaient qu’il est vivant.

 

Cherchez donc Jésus là où vous ne le voyez pas. Cherchez-le dans la Bible. Ou plutôt, non : cherchez-le avec la Bible ! Car il n’est pas dans la Bible, il n’est pas dans des livres, mais dans la vraie vie. La Bible peut vous aider à le rencontrer, à le reconnaître ; elle peut fortifier votre confiance. Mais c’est à lui en personne que vous pouvez faire confiance ! Un prophète écrivait : « Cherchez le SEIGNEUR pendant qu’il se laisse trouver. Faites appel à lui pendant qu’il est près de vous. » (Ésaïe 55 / 6) Oui, c’est là, près de vous, que Jésus est présent, lui, vivant, ressuscité. Sortez des tombeaux en courant, car en lui, vous avez la vie, vous aussi. Vivez ! Amen.

 

Saint-Dié  –  David Mitrani  –  27 mars 2016

 

 

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