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Évangile selon Jean 15 / 1-8 (1)
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texte : Évangile selon Jean 15 / 1-8
premières lectures : Genèse 1 / 1-4a. 26-28. 31a ; 2 / 1-4a ; Actes des apôtres 17 / 22-34
chant : 36-22
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Chers amis, chers sarments du vrai cep – car vous l’êtes, vous qui écoutez sa parole – trois mauvaises interprétations pour commencer ! La première, doloriste, misérabiliste, culpabilisatrice : je ne porte pas de fruit, je vais être jeté dehors et brûlé au feu éternel, d’ailleurs je ne mérite que ça… Certes je ne mérite que ça, mais ce n’est pas de ça que parle ce texte, et surtout, ce n’est pas à un tel sarment mort que le texte s’adresse, mais à des sarments dans lesquels la sève est vive. Deuxième mauvaise interprétation, qui est une suite possible de la précédente : au moins, sarment sec jeté au feu, je puis encore servir à quelque chose, j’alimente le feu. Là on serait dans le grand n’importe quoi, le retour de l’orgueil synonyme du péché, dans une sorte de théologie pseudo-libérale qui voudrait que le salut soit universel et que tout un chacun, tel qu’il est, serve à quelque chose dans le Royaume… Nulle part la Bible ne dit ceci, au contraire.
Troisième mauvaise interprétation, avant d’être plus positif : si je suis chrétien, alors le Père doit exaucer toutes mes prières. Or je constate que ce n’est pas le cas. Comment cela se fait-il ? Cette promesse serait-elle fausse ? Ou bien serais-je sans m’en rendre compte parmi les sarments rejetés et non parmi ceux qui sont entés sur le cep et qui portent fruit ? Retour de la culpabilité. Ou simple retour de la volonté de toute-puissance – c’est la même chose. Dieu serait mon obligé quand les conditions sont remplies. Mais non, c’est du paganisme, une théologie des œuvres camouflée aux couleurs de l’Évangile, simple peinture sur le péché originel. Car la condition ici, c’est d’être uni avec le Christ, de « demeurer en lui ». Or en Christ, on ne peut demander au Père que ce qui est conforme à sa volonté, et non l’expression de nos désirs. Quand je prie, est-ce que je prie « en Christ », demandant au Père ce que le Christ à ma place lui demanderait – lui demande – ou bien est-ce que je demande ce que je veux, ce dont je pense avoir besoin, pour moi et les miens et pour le monde, sans autre souci du Christ que pour terminer la prière en mentionnant rapidement son nom ? Mais mentionner son nom et « demeurer dans » son Nom, « en lui », sont deux choses bien différentes…
Alors, après l’élimination de ces mauvaises lectures, mortifères, que dit vraiment Jésus ? Il dit que nous sommes entés en lui, que nous vivons de la sève qu’il produit et qui est sa parole. Il nous dit que c’est cette parole qui porte fruit en nous. Tous les efforts des humains pour faire la volonté de Dieu sont vains : au jardin d’Éden déjà c’était impossible, et tout effort humain consiste toujours à prendre la place de Dieu, à vouloir faire et juger à sa place, comme s’il n’était pas là, comme s’il n’était pas capable de faire et de nous faire faire, comme s’il était muet et absent… Or, si le texte d’aujourd’hui porte bien une condamnation sur ces efforts-là – et elle est bonne à entendre, pour ne pas se tromper à nouveau, chaque jour, dans chaque circonstance – la parole principale du texte, après avoir dit la Loi, c’est bien l’Évangile : c’est la solidarité que le Christ a établie avec nous autres. Pour reprendre l’image des autres textes, c’est en Christ que nous sommes créés en tant que chrétiens, en tant que fils et filles de Dieu. Et ce n’est pas le produit de la nature ou de l’hérédité, mais de la résurrection du Christ.
Ce texte nous renvoie bel et bien à la manière dont nous concevons et vivons notre foi chrétienne. Car bien souvent, et moi le premier, nous continuons à vivre comme si de rien n’était, comme des gens parfaitement ordinaires qui essayons d’être honnêtes et de servir nos prochains et parfois même au-delà ; et c’est en plus que nous avons des convictions chrétiennes, que nous croyons (plus ou moins) ce que nous allons confesser tout à l’heure dans le Symbole des apôtres, encore que celui-ci exprime nos convictions de manière fort antique, paraît-il ! Oui, nous croyons, et cela entraîne une certaine morale… mais une morale qu’il n’est pas besoin d’être chrétien pour avoir et pratiquer ! En fait, bien souvent disais-je, nous nous conduisons comme des sarments coupés du cep… Mais Jésus nous dit : « sans moi, vous ne pouvez rien faire ». Non pas sans notre croyance, mais sans lui. En réalité, nous négligeons le fait que Jésus soit une vraie personne, aujourd’hui vivant bien qu’il ait été mort.
Car la vraie foi s’éprouve dans la relation personnelle avec lui, vous le savez bien. Il n’est pas objet de foi, mais sujet de la foi. Sans cette relation, la prétendue foi n’est qu’une idolâtrie, et nos croyances de la mythologie. Comme l’apôtre Paul écrivait : « si Christ n’est pas ressuscité, notre prédication est vaine, et vaine aussi votre foi. » (1 Cor. 15 / 14) Et c’est là-dessus précisément que les Aréopagites d’Athènes ont renoncé à l’écouter, sauf les quelques qui sont devenus chrétiens ! Ce n’est pas pour rien que le texte d’aujourd’hui nous est proposé dans ce temps de Pâques : la condition pour que ce qu’il dit soit vrai, c’est que Christ soit ressuscité. C’est qu’il soit vivant, étant ainsi le lien indéfectible entre le Père et nous. Sans lui, sans lui vivant aujourd’hui, nous sommes bons à être jetés au feu, brindilles sans intérêt dans un monde lui-même voué à la mort de par sa nature comme par nos propres œuvres.
Mais en Christ nous sommes « des créatures nouvelles », comme nous l’avons réentendu tout à l’heure après avoir confessé notre nullité en tant que créatures du monde, et c’est encore l’apôtre Paul qui nous le disait (2 Cor. 5 / 17). En lui, en Christ ressuscité, le monde au sein duquel nous vivons n’a plus de prégnance sur nos âmes, quand bien même il en a encore, et parfois de lourdes, sur nos corps et nos relations, sur notre psychologie et notre économie… Mais notre être véritable est en Christ, libéré de cela. Voilà pourquoi aussi nos prières concernant notre vieille nature ne sont pas exaucées, ou alors seulement parfois – sans que nous puissions savoir si c’est par Dieu ou par un processus naturel ! Seules nos prières « en Christ » le sont. En quoi consistent-elles – je veux dire : selon notre texte lui-même ? « Que vous portiez beaucoup de fruit… », dit Jésus. La prière chrétienne va donc consister justement dans cette demande : que, par l’Esprit saint, nous portions les fruits que Dieu attend de nous.
C’est Paul encore qui écrivait : « Maintenant, libérés du péché et esclaves de Dieu, vous avez pour fruit la sanctification et pour fin la vie éternelle. Car le salaire du péché, c’est la mort ; mais le don gratuit de Dieu, c’est la vie éternelle en Christ-Jésus notre Seigneur. » (Rom. 6 / 22-23) Et aussi : « le fruit de l’Esprit est : amour, joie, paix, patience, bonté, bienveillance, fidélité, douceur, maîtrise de soi. » (Gal. 5 / 22) Si nous nous tenons en Christ, ou plutôt : lorsque nous nous tenons en Christ, voilà ce que l’Esprit réalise en nous et par nous. Voilà ce qu’il convient de lui demander, tout comme Salomon avait demandé la sagesse et non la puissance. Nous ne changerons pas le monde, n’y comptez pas ! Mais l’Esprit de Dieu peut, lui, nous changer nous, et nous faire vivre des choses impossibles à notre nature, étrangères à notre tempérament. À nous de les lui demander, en Jésus. Amen.
(Senones) en confinement – David Mitrani – 3 mai 2020