- Accueil
- Cultes et prière
- Prédications
- Évangile selon Jean 14 / 15-20. 23-27
Évangile selon Jean 14 / 15-20. 23-27
Partage
texte : Évangile selon Jean 14 / 15-20. 23-27
premières lectures : Genèse 11 / 1-9 ; Actes des Apôtres 2 / 1-21
chants : 35-14 et 35-15
téléchargez le fichier PDF ici
Chers amis, nous avons eu une excellente prédication il y a quinze jours sur la fin de ce texte. Aujourd’hui, c’est dans une autre direction que nos regards sont attirés, que nos cœurs et nos esprits sont sollicités. Le verset du prophète Zacharie qui a ouvert ce culte l’indique clairement : « Ce n’est ni par la puissance, ni par la force, mais c’est par mon Esprit. » (Zach. 4 / 6b) Nous, je veux dire autant nous-mêmes que notre société et toute société humaine, nous sommes comme les gens de Babel. En fait, nous sommes les gens de Babel… Nous mettons notre confiance dans « la puissance, la force ». Et cela se manifeste de multiple manière. Si cette puissance, nous l’avons, alors nous l’exerçons, sur nous-mêmes et sur les autres. Ce fut vrai de notre pays pendant des siècles, avec des éclipses certes. Et c’est vrai de ceux d’entre nous qui sont – pour caricaturer un peu – jeunes, riches, beaux et en bonne santé – ceux que la publicité nous montre, le plus souvent… Et si cette puissance, nous en manquons, alors soit nous nous confions dans ceux qui en ont – et le résultat est rarement extraordinaire, comme les prophètes de l’Ancien Testament le dénonçaient à l’envi – soit notre moral en prend un coup, et surtout l’image que nous avons de nous-mêmes. Que ce soit le taux de suicides, les éruptions de violence criminelle ou sociale de moins en moins contrôlées, ou que ce soit le défaitisme chronique de notre pays depuis des années, dans les domaines économique, culturel ou autres, tout ceci le manifeste lourdement.
Alors, frères et sœurs, en qui, en quoi, vous confiez-vous ? Réellement, je veux dire : dans la vie de tous les jours, dans les grands et les petits problèmes. La Bible ne nous dit pas que se confier en la puissance est voué à l’échec, tous nous avons en tête des exemples historiques ou vécus comme quoi ça marche très bien – si l’on est puissant ou fort… Mais la Bible nous dit que c’est un mauvais calcul, une pente glissante, et qu’au bout du compte l’échec sera bien là, l’échec et le non-sens, l’échec et la mort. Virginie nous avait prêché sur l’amour, qui est l’exemple parfait où puissance et force ne servent à rien : l’amour, c’est se confier en l’autre, l’autre à la fois semblable et différent ! Dans le texte de ce matin, Jésus invitait ses premiers disciples à se confier dans un défenseur qu’il allait leur envoyer. « Défenseur », « paraclet », « consolateur », « avocat » …, traduisez comme vous voulez : celui qui se tient à nos côtés et qui parle et agit pour nous. Je n’ai jamais été accusé dans un procès – sinon par le Satan dont c’est le métier, mais que Dieu n’écoute pas – j’y ai juste été juré. Mais il me semble que, s’il y a un avocat, et que l’accusé ou le défendeur parle lui aussi, alors c’est la cacophonie : soit je me défends, soit je laisse parler le défenseur. Lui faire confiance, c’est lui abandonner ma défense.
Dans notre texte, Jésus annonce ou accomplit plusieurs dons. D’abord, donc, la venue de ce consolateur envoyé par le Père, et qu’il nomme « l’Esprit de vérité » ou « le Saint-Esprit ». Ensuite, le fait que ses disciples verront Jésus, eux seuls, et sauront son unité avec le Père, et même vivront cette unité. Puis il rappelle le commandement de l’amour. Enfin, il « donne la paix », et non pas comme les gens se la souhaitent en se rencontrant, « *shalom », comme en français on se souhaite un bonjour qu’on ne pense pas forcément. Ces quatre dons sont liés, ils l’étaient pour les premiers disciples de Jésus, et ils le sont pour nous qui sommes leurs héritiers. Car, bien sûr, l’anniversaire que nous fêtons à Pentecôte n’a qu’un intérêt limité, si c’est seulement un anniversaire. Oui, l’Esprit a été donné aux premiers disciples, 120 d’entre eux. Et ce fut la naissance de l’Église, pensons-nous. Non. Ce fut le début de la mission chrétienne. L’Église naît ensuite de la mission, et non l’inverse. L’Église naît de ce qu’on entend l’Évangile. Et l’Évangile, c’est ce que l’Esprit saint annonce. C’est donc bien l’Esprit qui est premier, et non pas nous-mêmes, et non pas nos stratégies d’Église dont nous avons plutôt sous les yeux leur échec durable. C’est l’Esprit qui est premier, et non pas ce que nous faisons pour Dieu, pour Jésus.
Cette hiérarchisation est importante, car l’Esprit donné lors de la première Pentecôte à Jérusalem a aussi été donné dans la suite, tout le livre des Actes des Apôtres le montre, livre mal nommé : c’est donc bien le livre des actes du Saint-Esprit, et non pas des apôtres que l’on voit y résister ou bien s’y laisser porter, parfois avec étonnement. Or ce livre ne se termine pas : pas de mort du héros, ni de triomphe, mais une simple ouverture sur la suite non écrite. Frères et sœurs, nous sommes la suite non écrite ! C’est aujourd’hui que souffle l’Esprit donné par le Père aux amis de Jésus, afin que l’Évangile de Jésus soit prêché dans le monde entier et que « chaque jour [soient] ajoutés à l’Église ceux qui [sont] sauvés. » (Ac. 2 / 47) C’est aujourd’hui, c’est pour nous, c’est la promesse de Jésus, et Jésus tient ses promesses ! Aussi tout ce qui est promis dans ce texte, nous devons nous y attendre. Bien sûr, ça a été fait pour nous aussi. Mais la nature humaine étant ce qu’elle est – je veux dire : nous restons des pécheurs jusqu’à la fin – il y a nécessité que ces dons nous soient renouvelés toujours à nouveaux frais. Accessoirement, c’est aussi pour ça qu’il n’y a pas que le baptême, mais aussi la cène. Que deviendrait en effet quelqu’un qui serait né, mais pas nourri ensuite ? Il en est de même dans la foi : la cène nous offre à chaque fois ce que nous avons reçu une fois pour toutes à notre baptême : la présence de Jésus en nous par son Esprit.
Lui ferons-nous donc confiance ? Pour le dire autrement : aurons-nous la foi, ou bien seulement une religion, dont nous ne pratiquons les rites que selon notre habitude ou notre bon vouloir, et avec les dogmes de laquelle nous ne sommes pas toujours au clair ? Foi, confiance : laisser l’Esprit venir et agir, le laisser nous défendre devant Dieu et devant les autres, mais surtout devant nous-mêmes en tant que nous restons pécheurs. En ce sens, l’Esprit, l’Avocat, est le contraire du Satan, de l’Accusateur. Car si l’Évangile nous apprend que Dieu n’écoute plus le Satan à notre propos, nous, nous l’entendons toujours, que nous l’écoutions avec une complaisance masochiste ou bien que nous tentions de nous boucher les oreilles. L’Esprit nous est donné pour nous convaincre que la voix du Satan est mensongère et seulement digne de ne plus être écoutée. L’Esprit nous est donné pour nous défendre à nos propres oreilles ! Il nous est donné pour nous montrer la croix de Jésus qui nous lave de notre péché et qui nous rend justes aux yeux de Dieu, aux seuls yeux dont le regard compte. Faire confiance à l’Esprit, c’est se regarder soi, regarder les autres, regarder le monde, avec le regard de Dieu et non plus avec le nôtre.
Or, rappelez-vous le premier chapitre de la Genèse : tout ce que Dieu voit dans le monde créé par lui, il le voit « comme bon ». C’est une différence majeure entre la nature et la création. La nature est l’œuvre du hasard et de la nécessité, des cyanobactéries et de l’espèce humaine, entre autres… Nous y exerçons notre pouvoir, et souvent cela fait mal… La création est l’œuvre de Dieu, il la regarde comme bonne, et nous pouvons y exercer notre service, sous la direction de l’Esprit. C’est donc une question de regard : personne n’a le pouvoir d’abîmer la création, mais seulement la nature, espèce humaine comprise, et nous autres, personnes et relations. Ce qui nous est offert, c’est de contempler, dans le monde et en nous, non pas notre œuvre, mais l’œuvre de Dieu. La nature est certes passionnante à étudier comme à contempler. Mais combien plus l’œuvre de Dieu ! Pourquoi confondons-nous les deux ? Pourquoi l’œuvre du Créateur nous est-elle si indifférente, même lorsqu’il nous dit, à nous, que nous sommes des « créatures merveilleuses » (Ps. 139 / 14) ?
Laissons donc l’Esprit nous le redire et le rendre vrai ! C’est à cette fin que Jésus nous a promis la venue en nous de l’unité qu’il a avec son Père. Le Créateur nous associe à lui, comme déjà il l’avait dit dès la première page du Livre : « Dieu créa l’être humain à son image, à l’image de Dieu il le créa, mâle et femelle il les créa. » (Gen. 1 / 27) – Nous sommes très loin de la culture occidentale actuelle, fût-elle protestante ! – Le psalmiste affirmait aussi : « Qu’est-ce qu’un homme, que tu te souviennes de lui ? Et un fils d’humain, que tu prennes garde à lui ? Tu l’as fait de peu inférieur à Dieu, Et tu l’as couronné de gloire et de splendeur. » (Ps. 8 / 5-6) C’est donc à Dieu qu’il faut regarder pour se voir en lui comme en un miroir, pour savoir ce que nous sommes. Et Dieu ne se voit bien qu’en Jésus : « Celui qui m’a vu a vu le Père », disait Jésus quelques versets juste avant notre extrait du jour (Jean 14 / 9). Voilà ce que l’Esprit saint réalise : la communion avec Jésus nous fait réaliser qu’à son image « nous sommes enfants de Dieu » (Rom. 8 / 16), et que cela seul compte, que cela seul peut porter fruit. Or le mode d’exercice de ce statut, de cette dignité, c’est l’amour… Il y a là comme un « cercle vertueux » : l’amour pour Dieu et l’amour de Dieu en nous s’engendrent mutuellement, tout comme cet amour et la communion avec lui, au point qu’il est vain de chercher le début du cercle, sinon dans la mort de Jésus où il se montre comme Dieu d’une manière que le monde ne peut pas comprendre.
Et nous voici revenus au verset de Zacharie : « ni par puissance ni par force ». Jésus est Dieu, et l’Esprit nous le montre tel non pas malgré la croix, mais sur la croix. De même nous ne sommes enfants de Dieu « ni par puissance ni par force », et n’avons donc aucune raison ni aucun moyen d’exercer cette dignité par puissance ou par force ! C’est à l’image du Christ, par soumission, compassion, amour désintéressé, que nous pouvons montrer qui nous sommes et le réaliser même à nos propres yeux. C’est le but du quatrième don de Jésus, autre manière de dire ce don unique dont il nous parle tout au long de ce passage : « la paix » ! L’Esprit réalise en nous cet équilibre qui nous permet d’avancer, « ma paix », dit Jésus, la paix en lui, dans laquelle nous n’avons plus rien à craindre, comme nous le chanterons encore tout à l’heure en partageant la cène : « Craindrais-je encore ? […] Non, je ne crains rien. À toi la gloire, ô Ressuscité ! » Celui seul qui ne craint rien peut aimer, car aimer, c’est se déposséder, et c’est par peur que nous n’osons pas le faire… Jésus, lui, l’a fait. Il a fait confiance à Dieu. Pour que nous puissions faire confiance, il « nous donne [sa] paix. »
Cette paix ne s’illusionne pas sur les humains : Jésus savait que ça finirait comme ça a fini… Et si tu tends l’autre joue quand on te frappe, il n’y a pas vraiment de raison pour que ça s’arrête ! Mais la paix s’en remet entièrement à Dieu, ce dont l’être humain même le meilleur est incapable par lui-même. La méditation elle-même n’est que confiance en soi. Tandis qu’ici, c’est de confiance en Dieu qu’il est question, c’est de l’amour de Jésus, c’est de s’en remettre à l’Esprit saint. Alors Pentecôte ne signifiera plus le 50e jour après Pâques, mais la vie quotidienne des enfants de Dieu que nous sommes, dès lors que nous assumerons cette filiation spirituelle. C’est possible, puisque Jésus est ressuscité, et que lorsque nous appelons l’Esprit, il vient ! Amen.
Saint-Dié – David Mitrani – 9 juin 2019