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Évangile selon Jean 12 / 12-20
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texte :
Le lendemain, la foule nombreuse de gens venue pour la fête, apprit que Jésus se rendait à Jérusalem ; ils prirent des branches de palmiers et sortirent à sa rencontre, et il criaient : « Hosanna ! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur, le roi d’Israël. » Jésus trouva un ânon et s’assit dessus, selon ce qui est écrit : Sois sans crainte, fille de Sion ; Voici, ton roi vient, Assis sur le petit d’une ânesse. Ses disciples ne connurent pas cela tout d’abord ; mais quand Jésus fut glorifié, alors ils se souvinrent que ces choses étaient écrites de lui, et qu’ils les avaient faites pour lui. La foule, qui était avec lui quand il appela Lazare du tombeau et le réveilla d’entre les morts, lui rendait témoignage. C’est pourquoi la foule vint à sa rencontre, car elle avait appris qu’il avait fait ce signe. Les Pharisiens se dirent donc les uns aux autres : « Vous voyez que vous ne gagnez rien, voici que le monde est allé derrière lui. » Il y avait quelques Grecs parmi les gens qui étaient montés pour adorer pendant la fête…
premières lectures : Ésaïe 50 / 4-9 ; Épître aux Philippiens 2 / 5-11
chants : 33-33 et 48-05
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prédication :
Jésus avait ressuscité Lazare quelques jours plus tôt. Lazare – Éléazar en hébreu – « Dieu aide ». Et c’est dire s’il aide, en faisant que Jésus « appelât Lazare hors du tombeau et le réveillât d’entre les morts » ! Et maintenant, à l’approche de la Pâque, Jésus est revenu à Béthanie chez ses amis. Et c’est ainsi que commence notre texte, alors que d’autres Juifs viennent eux aussi à Jérusalem pour la Pâque. Ce à quoi nous assistons, c’est d’abord une rencontre : descendant à Jérusalem, Jésus et la foule vont se rencontrer – le mot est présent à deux reprises dans notre texte – mais cette rencontre ne sera pas fortuite. C’est aussi ce que nous sommes invités à vivre nous-mêmes, notamment lors d’un culte, à travers la prédication et la cène. Une rencontre avec Jésus « ressuscitant » et / ou ressuscité, tant le « signe » accompli à l’égard de Lazare renvoie à la résurrection de Jésus lui-même. Une fois de plus, il me faut souligner combien la relation entre Dieu et nous est médiatisée par la rencontre avec Jésus ressuscité, et uniquement ainsi. Toute autre vision de Dieu, de la foi, de la religion, serait fallacieuse.
Mais dans notre texte, qui est la foule ? En fait, il semble qu’il y en ait deux. La première « était avec lui quand il appela Lazare hors du tombeau ». Ce sont donc les gens de Béthanie, la famille et les amis de Lazare, de Marthe et de Marie. Cette foule « lui rendait témoignage », dit le texte. Ce qui coule de source : quand on assiste à une résurrection, généralement on en parle ! Voilà bien le problème de notre Église aujourd’hui : nous, nous n’en parlons pas. Nous faisons comme si nous n’avions pas vu agir le Seigneur, comme si nous ne l’avions jamais vu ressusciter qui que ce soit. Bref, comme si nous ne le connaissions pas, ou seulement par ouï-dire, sans être plus concernés que ça… Sans l’avoir déjà rencontré … C’est bien l’une des questions que nous pose ce récit, question que nous connaissons bien, à force de l’entendre ou de nous la poser nous-mêmes. Elle est en effet incontournable. Comment connaissons-nous Jésus ?
C’est la réponse à ce questionnement qui permet la suite de l’histoire pour nous. Car l’autre foule, celle des Rameaux proprement dite, celle qui acclame Jésus comme roi avec « des branches de palmiers » – selon cet évangéliste – ne peut le faire qu’en ayant entendu parler de Jésus, et de ce qu’il avait fait. Est-ce cette foule ou la précédente qui était déjà là la veille pour tenter de voir Lazare : ah ! voir le ressuscité ! Peu importe après tout. Les uns témoignent, les autres acceptent le témoignage comme véridique, et tous défilent… et non pas contre quelque chose ou quelqu’un, mais pour : pour Jésus roi d’Israël. Or Jésus ici accepte cette acclamation, ce rôle, alors qu’au chapitre 6 (v. 15) il l’avait refusé juste après la « multiplication des pains ». Est-ce parce qu’il sait déjà comment cela va se terminer ? Tout le procès de Jésus chez Pilate tournera autour de ce titre royal (Jean 18 / 33-37), et la mise en croix elle-même… (Jean 19 / 19-22)
Ce qui est étrange, aux dires de l’évangéliste, c’est que les disciples de Jésus n’ont pas compris ce qui se passait, n’ont pas compris ce qu’ils faisaient en acclamant Jésus, en l’accompagnant, lui sur son ânon. Ils n’ont pas « connu », dit le texte, qu’ils accomplissaient l’Écriture. Or tout le ministère de Jésus, jusques et y compris sa mort et sa résurrection, est un accomplissement de l’Écriture ! Et cette rencontre entre Jésus et la foule est un accomplissement de l’Écriture : ce n’est pas seulement la descente sur Jérusalem assis sur un âne – ce qui ne serait qu’une mise en scène, une théâtralisation pour que les gens comprennent. Et précisément, ça, ils ne le comprennent pas… Tout comme le sens de cette rencontre n’apparaît sans doute pas non plus aux disciples : il leur faudra attendre la scène suivante, dont je vous ai fait entendre le premier verset pour terminer ma lecture tout à l’heure. Mais même là ils n’auront pas encore compris.
Ce sont les Pharisiens qui ont compris, eux ! Dans cet évangile, ce sont eux les adversaires de Jésus. Que disent-ils donc à propos de cette rencontre historique entre Jésus et la foule suite à la résurrection ? « Le monde est allé derrière lui. » « Aller derrière », c’est la position du disciple. Rappelez-vous quand Jésus, dans un autre évangile, disait à Pierre : « passe derrière moi » (Matth. 16 / 23) – et non pas « arrière de moi », comme on traduit souvent sans comprendre. Rencontrer Jésus ressuscitant / ressuscité, c’est devenir son disciple, c’est tout lâcher de sa propre religion, de ses propres œuvres, et le suivre – ce que ne fera pas le « jeune homme riche » (Marc 10 / 21). Les adversaires de Jésus ont bien vu. Évidemment, eux, ils sont restés en dehors, ils n’ont pas suivi. Quand on s’extrait d’un mouvement de foule, on voit mieux ce qui s’y passe … mais on n’est pas dedans ! Ils ont vu « le monde » suivre Jésus. Ils ont vu que ce n’était plus une secte, mais un mouvement mondial, un « réveil » – pour le dire de manière protestante. La preuve en est donc apportée au verset suivant : des Grecs sont là aussi !
Ce mouvement n’est pas seulement une manifestation légitimiste et anti-romaine, ni une louange adressée à celui qui peut ressusciter les morts. Ce n’est plus une secte juive, et ce n’est même plus non plus Israël, contrairement au cri de la foule. C’est plus et au-delà. La séparation entre les Juifs et les autres a sauté. La résurrection est aussi signe de ceci. Si la tombe a été ouverte, c’est que ce qui condamnait certains a disparu. Si la mort est vaincue, alors tout ce qui fait mourir, à commencer par la séparation, est aussi vaincu. La séparation entre les Juifs et les autres était due au péché, les non-Juifs ne pratiquant pas les commandements de Moïse, étant donc par définition pécheurs… Or « le salaire du péché, c’est la mort » (Rom. 6 / 23). La mort vaincue, le péché l’est aussi. Ce à quoi les gens – tous les gens – ont assisté à Béthanie, c’était la mort de la mort. Et les païens qui sont dans cette foule ont bien compris que, pour eux aussi, cela voulait dire la vie, la vie éternelle, la vie avec Dieu.
Mais je ne vais pas commenter les versets que je ne vous ai pas lus ! Il nous faut pourtant bien noter ce que nous ne comprenons jamais du premier coup : c’est que si la foule rencontre Jésus, alors au sein de cette foule il n’y a plus de séparations. Lors de la cène, lorsque Jésus nous invite à venir le rencontrer personnellement, et que nous nous approchons ensemble, faisant cercle autour de sa table, cela devient par ricochet une rencontre entre nous. Si chacun de nous est institué frère ou sœur de Jésus, cela entraîne que nous sommes aussi frères et sœurs les uns des autres. Ce n’est pas dans l’autre sens que ça marche, mais bien ainsi : l’initiative est à Jésus, et la rencontre avec lui fonde tout le reste.
Bien sûr, « chassez le naturel, il revient au galop » ! Nous voudrions, consciemment ou inconsciemment, vivre d’abord la fraternité avant de nous approcher de Jésus. Nos œuvres à nous avant la rencontre avec Jésus, nos œuvres avant la foi qui nous vient de lui. Si nous voulions alors être cohérents, il nous faudrait sortir et vivre cette quête de notre propre justice jusqu’à la mort. Car au bout de nos œuvres, il n’y a que la tombe, seraient-elles les plus belles des œuvres pies ou morales pour nos proches ou pour le monde. L’Ecclésiaste l’avait déjà dit, me semble-t-il ! Alors ne nous trompons pas : allons à la rencontre de Jésus afin de pouvoir nous reconnaître comme frères et sœurs de ceux qui y vont aussi, même s’ils ne nous plaisent pas, même s’ils n’ont pas les mêmes idées, même s’ils ne disent pas sur Jésus les mêmes choses que nous, etc. Et même si, humainement, nous sommes en opposition à eux : mais pouvons-nous le rester… ?
Car c’est le témoignage évangélique qui fait cette foule qu’on appelle l’Église, et qui vit de sa rencontre avec celui dont elle avait entendu parler. C’est la leçon des Samaritains au début du même évangile, après qu’une femme avait rencontré Jésus au bord du puits de Jacob : « Plusieurs Samaritains de cette ville crurent en Jésus à cause de la parole de la femme qui rendait ce témoignage : “Il m’a dit tout ce que j’ai fait”. Aussi, quand les Samaritains vinrent à lui, ils le prièrent de rester auprès d’eux ; et il resta là deux jours. Ils furent encore beaucoup plus nombreux à croire à cause de sa parole, et ils disaient à la femme : “Ce n’est plus à cause de tes dires que nous croyons ; car nous l’avons entendu nous-mêmes, et nous savons que c’est vraiment lui le Sauveur du monde”. » (Jean 4 / 39-42) La même confession de foi que les Pharisiens constatent et refusent dans notre texte de ce matin : « le monde » et Jésus !
Vous voyez dans combien de rôles nous pouvons nous reconnaître dans cette histoire : les témoins, la foule qui a entendu, les disciples qui n’évaluent pas l’ampleur de ce qui est en train de se passer… ou les Pharisiens qui, eux, le constatent et s’en vont ! Je ne vous ferai pas la publicité de ce dernier rôle, il n’est pas pour nous, et bien assez de gens occupent cette place, voyant mieux que nous le danger que représente Jésus pour le monde de mort dans lequel nous nous trouvons. Contrairement à ce que nous pensons ou espérons, les morts veulent rester morts, c’est bien plus confortable que d’être « réveillé d’entre les morts ». Tant pis donc pour ceux qui ne reçoivent pas notre témoignage, si nous sommes parmi les témoins. Et si nous sommes parmi la foule à entendre le témoignage chrétien, alors levons-nous, attrapons quelques branches et acclamons celui que nous reconnaissons pour notre Roi. Et là, découvrons avec stupeur qui d’autre s’y tient que nous n’aurions pas pensé y trouver…
Après tout, c’est une manifestation ! Et les grands-prêtres ont peut-être craint les casseurs et autre « black blocs » pendant la Pâque ; n’est-ce pas à cause de ce risque que l’armée romaine était présente à Jérusalem à cette occasion, quand d’ordinaire elle stationnait le plus loin possible ? Mais la manifestation des Rameaux est pacifique : elle est créatrice de fraternité, comme souvent les manifestations. Cette fraternité n’est pas liée à un projet ni à une dénonciation, mais à une personne qui la suscite : Jésus. Le témoignage qui lui est rendu, par d’autres envers nous ou par nous envers d’autres, cimente cette fraternité non pour la mort, mais pour la vie. Elle ne la crée pas, mais elle la reçoit. Car la rencontre avec Jésus fait de nous un seul corps, et ce corps n’est pas notre œuvre, c’est son corps à lui, il en est la tête (Col. 1 / 18-22). Parfois nous pensons que la foi est une réalité intellectuelle, une croyance. Non. C’est une réalité charnelle, une rencontre, un corps dont nous sommes les membres différents et complémentaires. C’est le corps de Jésus, et c’est lui qui nous fait vivre. Il est, lui, notre résurrection. Amen.
Senones – David Mitrani – 2 avril 2023