Évangile selon Jean 11 / 1-45

 

texte :  Évangile selon Jean, 11 / 1-45   (trad. d’après A. Chouraqui)

première lecture :  Deuxième épître à Timothée, 1 / 7-10

chants :  257 et 475  (Arc-en-ciel)

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L’Évangile, c’est la lumière de la résurrection, nous dit la lettre à Timothée. « S’il n’y a pas de résurrection des morts, Christ non plus n’est pas ressuscité. Et si Christ n’est pas ressuscité, alors notre prédication est vaine, et votre foi aussi est vaine. » C’est ce qu’écrivait Paul ailleurs (1 Cor. 15 / 13-14). L’Évangile n’est pas un livre, ni quatre non plus. Il n’est pas un récit, une « histo­ire sainte ». Il consiste en la mort et la résurrection de Jésus-Christ. Et celle-ci, en retour, n’est pas une opinion théologique parmi d’autres, elle n’est pas une option de la foi chrétienne. Elle est la foi, elle est l’Évangile. Qu’on comprenne cette mort-résurrection ou qu’on en la comprenne pas, en elle est le message, reçu et proclamé dans la foi. « Je n’ai pas jugé bon de savoir autre chose parmi vous, sinon Jésus-Christ, et Jésus-Christ crucifié », écrivait encore Paul (1 Cor. 2 / 2) ; et pour lui cette croix était une victoire : avec d’autres mots, c’est donc bien de la résurrection qu’il parlait ainsi. La mort de Jésus a détruit la mort, et désormais l’annonce de cette victoire accomplit, actualise, la même victoire. « L’Évangile est puissance de Dieu pour le salut de quiconque croit. » (Rom. 1 / 16)

 

Ce que je viens de confesser ici sous forme d’affirmations et en citant moult versets bibliques, ceci nous est montré sous forme de récit justement dit évangélique, avec la résurrection de Lazare. Ce récit évangélique l’est en deux manières indissolublement liées : il nous parle de la résurrection de Jésus, il nous parle de la nôtre. Adhérons-nous à ce récit, à cette parole, alors il l’accomplit dans la foi. Cette parole est celle de notre résurrection : elle nous ressuscite ! Nous laisserons-nous ce matin ressusciter, et non seulement pour un moment mais pour toute notre vie, à jamais ?

 

« Quelqu’un est malade : Lazare… » « Seigneur, voici : celui que tu aimes bien est malade… » Entre ces deux phrases, ce sont toutes les « théologies de la prospérité » qui s’effondrent, comme déjà avec le livre de Job et tant de passages des Psaumes ou d’autres livres bibliques ! Lazare nous est présenté à la fois comme un individu quelconque, lui, moi, vous, n’importe qui ; et comme un ami de Jésus. Faut-il en conclure que toute personne est un ami de Jésus, quelqu’un qu’il « aime bien » ? Pourquoi pas, après tout ? Mais surtout ici, il nous faut constater qu’être dans l’amitié de Jésus n’empêche aucunement la maladie ni la mort. Le texte insiste même, puisqu’après cette phrase il rajoute, avec un verbe autrement plus fort, que « Jésus aime Marthe, et sa sœur, et Lazare. » L’amour de Jésus, au sens de son engagement total envers ces gens, ne les empêche pas de souffrir, d’être malades, de mourir. D’ailleurs, si l’amour de Dieu empêchait cela, Jésus lui-même ne serait pas mort, comme le tentateur a essayé de le lui faire croire, au désert ou sur la croix.

 

Mais contrairement à ce que nous aimons croire quand nous réussissons dans la vie, Dieu n’est pas dans la réussite humaine, mais il se tient là où sont ses amis : dans la richesse et dans la pauvreté, dans la santé et dans la maladie, dans la réussite et dans l’échec, dans la vie et dans la mort. Mais – ce qui ne se voit pas – Dieu fait de la mort de ceux qu’il aime un sommeil, comme Jésus le dit à propos de Lazare. Et qui dit sommeil dit réveil à venir… Dieu ne nous évite pas l’épreuve, mais dans l’épreuve il nous garde. Or, contrairement à notre attente, cela ne signifie pas que nous ne chuterons pas, mais plutôt que Dieu sera avec nous dans notre chute. « Si c’est dans cette vie seulement que nous espérons en Christ, nous sommes les plus malheureux de tous les humains. » (1 Cor. 15 / 19) Espérer dans cette vie, dans leur deuil et leur malheur, c’est sans doute ce que se disaient les deux sœurs : « Seigneur, si tu avais été là, mon frère ne serait pas mort ! » C’est ce que disent les prédicateurs de la prospérité, qui ravagent l’Église en certains lieux : si tu es riche et bien vivant c’est que tu es béni de Dieu, si tu es pauvre et malade c’est que tu es un réprouvé… Si c’est vrai, si ces gens ont raison, alors Jésus est un réprouvé, et donc il n’est pas ressuscité, et nous, nous sommes morts, tous…

 

Les disciples eux-mêmes ont peut-être aussi cette idée, mais ils restent avec Jésus, persuadés de marcher tout comme lui vers leur mort. La mort de Lazare est donc bien la préfiguration de celle de Jésus mais aussi de la nôtre qui croyons en Jésus et le suivons : c’est vers la croix que nous marchons, pas vers la réussite sociale, la santé, la richesse, le pouvoir… Mais à la différence des disciples de Jésus dans ce récit, nous, nous savons la fin ! La fin du récit bien sûr, et aussi la fin de l’Évangile, nous savons donc notre propre fin à nous aussi, qui n’est pas la mort seulement, mais qui est la résurrection. Marcher avec Jésus, c’est « marcher le jour », à la lumière. C’est, déjà, voir notre résurrection, et donc vivre de cette espérance, en vivre ici-bas, ici et maintenant. « Vous êtes tous fils de la lumière et fils du jour », écrivait Paul. « Nous ne sommes pas de la nuit ni des ténèbres. Ne dormons donc pas comme les autres, mais veillons et soyons sobres. » (1 Thess. 5 / 5-6) Lazare, lui, ne peut plus faire autrement que de dormir. Mais nous, ce n’est pas le moment de dormir, ou de nous abrutir pour oublier qu’il fait jour. C’est pour nous le temps de marcher à la lumière et à la suite du Christ, vers la croix et la victoire.

 

Je ne parlerai pas beaucoup ce matin de Marthe, mais surtout de Marie. Marthe a confessé sa foi, la vraie foi, mais elle ne semble pas en tirer beaucoup de conséquences, sinon d’appeler sa sœur au même chemin. Or c’est celle-ci qui va permettre que l’Évangile se manifeste, que ce que Jésus a dit de lui-même et que Marthe a cru puisse se réaliser, prendre corps dans la réalité vécue. Pour elle, le chemin commence par un réveil – une résurrection – et se poursuit aux pieds de Jésus, sans rien lui demander. Position de disciple qui attend tout du Maître sans rien solliciter – car que pourrais-je solliciter qui ne soit pas mes propres désirs ? Le disciple attend que ce soit la volonté du Maître qui s’accomplisse, pas la sienne ! N’est-ce pas ce que nous disons à Dieu quand nous le prions comme « notre Père » ? Les gens venus de Jérusalem ne croient pas à la puissance du Maître, ils ne croient pas à la résurrection, ou alors seulement « au Dernier Jour », comme Marthe l’a dit. Celle-ci semble ne pas y croire non plus, malgré sa confession de foi.

 

Comme pour la multiplication des pains, le moment et le moyen du miracle nous échappent, nous n’y assistons pas. Il en sera de même dans les récits de la résurrection de Jésus : nous n’y assisterons pas, nous serons seulement avec les autres disciples au moment de ses premières apparitions vivant. Des évangiles apocryphes ont raconté ce que les textes canoniques omettent, ils ont eu tort, bien sûr. Jésus et le Père ne sont pas des magiciens, mais les maîtres de la vie. Marthe a seulement dit à Marie : « Le Maître est là, il t’appelle… » Devant la tombe, Jésus dit seulement : « Lazare, viens dehors ! » Une parole de réveil, une parole qui re-suscite un mouvement. Sur la croix, le Père entendra Jésus lorsqu’il criera : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » (Matt. 27 / 46) Et Jésus dit : « Père, je te remercie de ce que tu m’as entendu. Moi, je le sais : tu m’entends toujours. Mais je le dis pour cette foule qui entoure, afin qu’ils adhèrent à ceci : c’est toi qui m’as envoyé. » C’est la même certitude – pas la mienne, mais celle de Jésus – qui permet que l’appel soit celui d’un réveil.

 

Comme l’écrivait Paul, ce n’est « pas à cause de nos œuvres, mais selon son propre dessein, et selon la grâce qui nous a été donnée en Jésus-Christ avant les temps éternels », que nous sommes appelés, comme Marie, comme Lazare. Comme Marthe certes, nous sommes appelés à confesser la foi au Ressuscité. Mais par-dessus tout, comme Marie, comme Lazare, nous sommes appelés par le Maître, et cet appel nous réveille, en cette vie comme dans la tombe. Le moment n’a pas d’importance. Le moment, c’est maintenant. L’épître aux Hébreux cite l’Ancien Testament : « Dieu fixe de nouveau un jour – aujourd’hui – en disant par la bouche de David : “Aujourd’hui, si vous entendez sa voix, N’endurcissez pas vos cœurs”. » (Hébr. 4 / 7) et Paul aussi : « Car il dit : “Au temps favorable je t’ai exaucé, Au jour du salut je t’ai secouru”. Voici maintenant le temps vraiment favorable, voici maintenant le jour du salut. » (2 Cor. 6 / 2)

 

La citation qu’il fait n’est pas au futur, mais au parfait, dans l’hébreu original. « C’est fait. » (Apoc. 21 / 6) Tout comme c’était déjà vrai pour Lazare avant même que Jésus ne l’appelle à sortir hors de la mort, c’est aussi déjà vrai pour nous autres. Sans doute y a-t-il des choses dans nos existences qui sont « mortes », peut-être même « puent[-elles] » car elles le sont depuis bien « quatre jours » … Mais la lumière de l’Évangile brille aussi là-dessus, et c’est nous tout entier qui sommes appelés par le Maître à la vie éternelle. Dans les milieux missionnaires protestants, au moment de la création de la Cévaa et du Défap il y a 45 ans, on parlait volontiers de « tout l’Évangile à tout l’homme ». C’est bien ce qui nous est montré par ce récit de la résurrection de Lazare : c’est la totalité de la mort et de la résurrection qui nous est dite par Jésus et réalisée en lui. En lui Jésus, c’est donc bien déjà fait, déjà accompli. Mais il faut réagir à cet appel qui nous réveille, il faut sortir ! Nous ne sommes plus des adolescents, à entendre le réveil et les parents nous appeler le matin et à rester au lit jusqu’à midi ! C’est à la vie maintenant que nous sommes appelés, c’est notre « vocation », au vrai sens du terme.

 

Bon, nous allons encore nous trimballer quelques temps avec bandes et suaire ! Mais d’autres sont là pour nous détacher et nous laisser partir… L’Église sert à ça aussi, et peut-être même en premier. Pensez donc que ceux que vous trouvez encore attachés ont sans doute besoin de vous pour les délier. Et lorsque vous-mêmes êtes embringués dans des liens que vous n’arrivez pas à défaire seuls, pensez que certains de vos frères et de vos sœurs pourraient vous y aider : ne vous cachez pas, comme souvent le font les protestants dans ces cas-là, mais au contraire laissez-vous faire. Tout comme vous devez vous laisser faire lorsque le réveil sonne, lorsque Jésus vous appelle. Pour vous, il manifeste sa puissance. Pour vous, il manifeste la gloire du Père, qui est que vous viviez, que vous grandissiez, que vous portiez témoignage, que vous portiez les fruits de la nouvelle naissance. « Celui qui vous a appelés est fidèle, et c’est lui qui le fera… » (1 Thess. 5 / 24) « Ce n’est pas un esprit de timidité que Dieu nous a donné, mais un esprit de force, d’amour et de sagesse. N’aie donc pas honte du témoignage à rendre à notre Seigneur. »  Amen.

 

Saint-Dié  –  David Mitrani  –  11 septembre 2016

 

 

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