Évangile selon Jean 1 / 29-34

 

texte :  Évangile selon Jean 1 / 29-34   (trad. liturgique catholique)

premières lectures :  Ésaïe 49 / 3. 5-6 ; première épître aux Corinthiens 1 / 1-3

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« Voici l’Agneau de Dieu […] et moi, je ne le connaissais pas… » Quelle parole étrange ! Comme si des chrétiens parlaient de Jésus, et reconnaissaient qu’ils ne le connaissaient pas… Nous ne faisons jamais ça, n’est-ce pas ?!  Eh bien… si, souvent ! Même nous, même pendant nos célébrations. Nous ne nous en rendons pas compte, peut-être, mais d’autres, oui. La manière que nous avons de dire des répons ou des amen machinalement, d’écouter ou de chanter des cantiques sans faire attention aux paroles, d’être juste posés là, par habitude, ou bien par certitude intellectuelle – d’autres que nous, en nous voyant, en nous entendant, se rendent compte que nous parlons ou agissons sans rien connaître de celui que pourtant nous appelons notre Seigneur. Nos jeunes y sont particulièrement sensibles, mais pas seulement eux. Nous savons quoi dire sur Jésus, et pourtant bien souvent nous ne savons pas ce dont nous parlons, nous ne connaissons pas celui dont nous parlons, sinon pour avoir entendu parler de lui depuis toujours, ou pour nous être fabriqué des convictions qui nous conviennent, qui justifient notre religion et notre morale, mais qui ne les fondent pas.

 

Oui, nous sommes tels, nous sommes comme Jean, le Baptiste, avant… Avant quoi ? Par deux fois, l’évangéliste place dans la bouche du Baptiste ces mots : « Et moi, je ne le connaissais pas, mais… » Il y a donc un « mais » ! Ce « mais » renvoie, les deux fois, à la mission que Jean avait reçue. Il ne connaissait pas son Seigneur, et pourtant celui-ci l’avait envoyé pour une mission bien précise. Je vous invite à considérer que nous aussi, vous comme moi. Certes Dieu ne nous donne pas à tous la même mission. Chacun reçoit la sienne en fonction des dons que Dieu lui a aussi donnés, voire de ses propres capacités. Quand Gédéon déployait force physique et vigueur des reproches adressés à Dieu sur son inaction supposée, Dieu lui a dit alors : « Va avec cette force que tu as » (Juges 6 / 14). Alors, si vous êtes de ceux qui ne savent pas quelle mission Dieu leur a destinée, cherchez donc quelle est votre force, qu’est-ce que vous savez faire bien – et employez-vous à le mettre en œuvre selon l’Évangile.

 

Car c’est ainsi que Jean a « baptisé dans l’eau », sachant comment faire, avec sa verve prophétique, ses exhortations tranchantes, pour amener ses auditeurs à repentance. C’est ainsi que certains d’entre nous exercent un ministère reconnu dans l’Église. C’est ainsi que d’autres exercent des responsabilités politiques, économiques, culturelles, militaires, associatives, etc., dans la société. C’est aussi ainsi que d’autres encore font ce qu’ils ont à faire sans se poser de question, sans y être forcément reconnus. Mais faire au nom ou à cause du Seigneur ne signifie pas le connaître. C’est le verbe « savoir » qui est utilisé, et dans « savoir » vous entendez « voir » ; c’est pareil en grec. Je peux tout faire, même être pasteur, sans avoir « vu », et donc sans « savoir », sans connaître le Seigneur qui pourtant m’a envoyé. Nous pouvons tous dire des choses sur Jésus et sur Dieu, nous les disons chaque dimanche avec les antiques formulaires de la foi, nous pouvons aussi les dire avec les formules tout autant stéréotypées du témoignage évangélique ou charismatique. Rien n’est faux là-dedans. Mais rien ne sonne vrai tant que nous ne « savons » pas…

 

Car nos mots, même les plus inspirés, ne peuvent convaincre. Si l’on vous demande de décrire quelqu’un, et que ce soit une personne que vous aimez, allez-vous parler objectivement d’elle, en faire une description scientifique ? J’espère que non, car si vous l’aimez vraiment, alors elle fait partie de vous et vous faites partie d’elle : comment pourriez-vous décrire cette personne comme si c’était une chose ?! Nos credo et autres formules sont justes. Mais ce n’est pas ainsi que nous pouvons témoigner du Seigneur vivant, notre Seigneur et Sauveur, Jésus-Christ. La question aujourd’hui n’est pas de prouver intellectuellement l’existence de Dieu : qui s’en soucie ?! C’est de rendre un témoignage crédible, c’est de pouvoir parler de Jésus comme d’une personne qu’on a rencontrée, y compris si elle ne correspond pas à ce qu’on attendait. Car c’est bien aussi le problème de Jean, le Baptiste : il va découvrir quelqu’un dont il se rend compte alors qu’en fait il ne savait rien de lui… « Et moi je ne le connaissais pas, mais… »

 

Rien dans le ministère prophétique de Jean n’est remis en cause. Rien de sa mission de précurseur, au contraire. Mais une personne n’est pas un concept, et la réalisation d’une prophétie dépasse toujours ce qui était annoncé. Lorsque paraît celui qu’annonçait le Baptiste, celui-ci reconnaît simplement, comme Job, qu’il a « fait part, sans les comprendre, de merveilles qui [le] dépassent et [qu’il] ne connaissait pas. » (Job 42 / 3) Mais il n’en conclut pas pour autant que sa mission s’arrête. Par contre, il est vrai qu’elle change de nature. Ce n’est plus de dire « il va venir », mais « il est là, suivez-le » … Ce n’est plus de parler de lui, ou plutôt sur lui. C’est de dire simplement : « c’est lui ». Vous n’êtes pas Jean, le Baptiste ; moi non plus. Vous n’êtes pas non plus pasteurs ni prêtres, la plupart d’entre vous ! Nous n’avons pas tous le même langage, soit à cause de différences socio-culturelles ou ethniques, soit à cause de nos différences confessionnelles, soit à cause de notre formation et de nos engagements. Mais tous, nous devrions pouvoir dire : « c’est lui » non plus en montrant un tableau ou une statue, en désignant une œuvre musicale, en récitant un formulaire de foi, mais en désignant Jésus, en désignant Jésus dans nos propres existences.

 

C’est ce qu’a fait Jean, avec ses mots, avec ce qu’il était. C’est ce que nous avons à faire, non pas les seuls ministres, mais tous les chrétiens, chacun avec ses mots, avec sa propre expérience. Puisque c’est de cette expérience, de cette rencontre, de cette compagnie, que nous pouvons témoigner. « Et moi, j’ai vu, et j’ai rendu témoignage que c’est lui… » Le dernier « et moi » de ce témoignage du Baptiste n’est plus suivi de « je ne le connaissais pas » mais de « j’ai vu ». Entendez bien : ce n’est pas une conversion vers la foi ; Jean était croyant, naturellement, comme vous et moi, peut-être plus que moi d’ailleurs. C’est dans le même évangile que Jésus dira, à la fin, à Thomas : « heureux ceux qui n’ont pas vu et qui ont cru » (Jean 20 / 29). Mais pour Jean, ce jour-là, c’est une vraie conversion dans la foi : il sait qui est Jésus parce qu’il l’a rencontré. Alors, désormais il n’en parlera plus, il le montrera et dira de le suivre : « Voici l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde. » Ne dites pas cette phrase aujourd’hui dans la rue, personne ne la comprendrait. Mais, oui, désignez le Christ tel que vous le connaissez, le Christ que vous montrent Jean et toutes les Écritures, le Christ qui est venu se révéler à vous dans l’intimité de la foi et la communion de l’Église.

 

Racontez-le. Racontez, comme Jean, votre émerveillement d’avoir découvert la personne en qui vous avez la vie éternelle, votre émerveillement de l’avoir vu avec les yeux de la foi, d’avoir été changé par cette rencontre. Votre témoignage invitera des gens à le suivre, eux aussi. Le feront-ils ? Ce n’est pas votre problème ! Mais c’est à chacun de vous de les y inviter, par votre témoignage et par votre amour, vous savez : cet amour des ennemis que seule cette rencontre avec le Christ permet. Que votre vie chante la rencontre vécue entre Jésus et vous. Et si jamais vous pensez ne pas l’avoir rencontré, demandez-le-lui ; associez-vous pour vous-même à la prière de l’Église pour le monde : « Viens, Seigneur Jésus ! » (Apoc. 22 / 20) Il vous rappellera peut-être que, oui, il était déjà venu vous voir, et que cela vous avait déjà changé, même si vous n’en avez pas eu conscience. Mais, certes, comment témoigner de ce dont on ne se rappelle pas ?! Alors demandez Dieu à Dieu, il a promis de répondre à cette prière : « Cherchez l’Éternel pendant qu’il se trouve, invoquez-le tandis qu’il est proche », disaient les prophètes (És. 55 / 6), « Je me laisserai trouver par vous » (Jér. 29 / 14).

 

C’est au témoignage chrétien que nous sommes invités ce matin, c’est d’ailleurs le seul sens de notre désir de prier pour l’unité des chrétiens : c’est « afin que le monde croie », comme Jésus le demandait lui-même au Père (Jean 17 / 21). Non pas témoigner de soi comme chrétien, ni de soi comme Église. Non pas se désigner soi-même, comme le Pharisien de la parabole, qui priait ainsi : « Je te rends grâce de ce que je ne suis pas comme le reste des hommes… » (Luc 18 / 11). Bien sûr que non ! Mais désigner le Christ, le Christ dans notre vie, et s’arranger pour que les gens ne regardent pas le doigt qui montre, mais bien le Christ lui-même. Reconnaître qu’avant, je savais des choses sur lui, mais que maintenant je ne peux plus les dire comme s’il m’était étranger, car il ne l’est plus : il a donné sa vie pour moi, il est mon Sauveur, et malgré mon indignité il m’aime et c’est son amour qui me transforme et qui me porte à parler de lui, à vouloir que toi aussi, toi que j’aime, tu le connaisses. Chers frères et sœurs, une mission passionnante nous attend : que chacun avec sa propre voix témoigne de l’unique Seigneur là où celui-ci l’a placé, en reconnaissant humblement que « moi, je ne le connaissais pas, mais » maintenant, « moi, j’ai vu et j’ai rendu témoignage : c’est lui ! » Amen.

 

Saint-Dié (messe, Unité des chrétiens)  –  David Mitrani  –  19 janvier 2020

 

 

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