Ésaïe 7 / 10-14

 

texte :  Ésaïe 7 / 10-14

premières lectures :  Évangile selon Matthieu 1 / 18-25

chants :  31-01 et 32-08

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Voici donc le verset utilisé par l’évangéliste Matthieu comme prophétie annonçant cette étrange naissance que nous célébrons depuis de nombreux siècles ! Cela se passait à l’époque du roi Achaz de Jérusalem, quelques 730 années plus tôt, alors que le royaume du nord d’Israël vivait ses dernières années, tout en menant la guerre contre Jérusalem sous l’œil intéressé des Assyriens. Mais quel intérêt par rapport à Noël, alors que ni Samarie ni Jérusalem ni d’ailleurs Ninive ne sont plus rien du tout, qu’un monarque étranger règne grâce à la protection des Romains ? L’évangéliste ne retient que l’annonce de la naissance de l’enfant de la jeune fille – de qui s’agissait-il ? – par laquelle le prophète annonçait le soutien de Dieu à son peuple. Car l’essentiel est là, bien sûr, dans le nom d’Emmanuel : « avec nous, Dieu ». L’essentiel est la présence de Dieu à ceux qui croient en lui, bien qu’ils croient fort mal et de manière intéressée ! Mais s’agit-il d’une présence puissante, tonitruante, miraculeuse, de celles qui font s’effondrer les ennemis et les adversités, les maladies et les possessions, les guerres et les injustices, les misères de toutes sortes ?

 

Chers amis, vous savez bien que non. D’ailleurs, ça se verrait ! Or tout ce qui fait du mal aux hommes et aux femmes concrets de notre monde continue d’être là et de faire du mal, malgré nos espoirs et nos prières… La présence de Dieu avec nous ne sert donc pas à cela. Sert-elle alors à quelque chose, si ce n’est pas à cela ? Quand il n’a plus été obligatoire de croire en Dieu, la plupart ont cessé de le faire, dans notre pays et ses voisins. Beaucoup y ont contribué : l’humanisme, le rationalisme, la Révolution, le positivisme, Nietzsche, Marx et Freud, le nazisme, le capitalisme sans âme, et tant d’autres de toutes les couleurs… Il y a 27 siècles, Achaz croyait-il en Dieu, ou bien ne croyait-il qu’en son propre pouvoir qu’il regardait avec effroi s’effondrer ? Mais notre Dieu ne se laisse pas facilement décourager, nous l’avons tous déjà éprouvé dans nos propres vies, à moins que nous ne soyons trop préoccupés de nous-mêmes pour nous en rendre compte.

 

Aussi, par le ministère du prophète Ésaïe, Dieu s’adresse de nouveau à Achaz, mais est-ce Dieu ou bien une illusion souhaitée ou crainte, de la part d’Achaz ou bien d’Ésaïe ? Dieu utilise donc les trucs des païens, de ces trucs que nous aimerions bien pouvoir utiliser : il propose à Achaz de demander un signe, que Dieu est prêt à lui donner pour attester que sa parole de soutien vient bien de lui, Dieu, et n’est pas un fantasme religieux ou psychologique. Achaz apporte une réponse qui est certes belle et bonne : « je ne mettrai pas l’Éternel à l’épreuve ! » Mais c’est une fuite, c’est le contraire d’un acte de confiance. La confiance – la foi – n’a pas besoin de signe, encore que ça ne lui fasse pas de mal ! Tandis que la fuite ne veut pas de signe, qui la contraindrait à revenir ! Telle semble bien être l’attitude d’Achaz, ce qui met Dieu en colère. Le signe ne concerne donc ni la foi ni la fuite, mais le doute, l’incertitude, l’incroyance. Il dit la parole de Dieu malgré tout, malgré la réalité, malgré la peur, malgré la religion, malgré l’inéluctabilité. Dieu ne croit pas au destin, et il en donne des signes que la raison n’attendrait pas.

 

Et le type de signe que Dieu décide de donner n’est pas anodin. Et sans même qu’il soit besoin d’y lire l’annonce de la naissance de Jésus, qui est quand même son sens principal. D’ailleurs, ce que le prophète Ésaïe nous décrit permet d’éclairer aussi le sens de Noël, et plus largement le sens de Jésus lui-même, afin que nous aussi nous ne nous trompions pas de Dieu ! La proposition de Dieu à Achaz, c’était qu’il demande n’importe quelle sorte de signe, jusqu’au fin fond des enfers ou jusqu’au sommet des cieux. Après tout, Dieu n’est-il pas le créateur (Gen. 1 / 1) ? N’a-t-il pas fait reculer la mer pour qu’apparaisse une terre vivable pour les humains (Gen. 1 / 9-10 ; Job 38 / 10-11) ? N’a-t-il pas une fois de plus écarté la mer pour que les Hébreux puissent fuir l’Égypte de leur esclavage (Ex. 14 / 21-29) ? N’a-t-il pas arrêté le soleil à Gabaon pour que les Israélites puissent vaincre les Amorites (Josué 10 / 12-13) ? Lorsque Gédéon lui a demandé un signe, ne le lui a-t-il pas donné (Juges 6 / 17-21) ? Etc. Car Dieu est Dieu !

 

Or voici pourtant de l’inattendu. Non pas un signe tonitruant, irrécusable, une descente des cieux, une remontée des enfers ; mais un signe inattendu, anodin, qui ne prouve rien. Une jeune fille va enfanter un fils. Et contrairement à ce que les évangiles apocryphes vont fantasmer à propos de Marie, personne n’est allé vérifier la virginité de ladite jeune fille, non plus que dans les évangiles canoniques d’ailleurs. Où est Dieu là-dedans ? Or Dieu est précisément là-dedans ! Non pas dans toutes les grossesses ou dans toutes les naissances, car Noël n’est pas la fête des enfants, mais de l’incarnation du Fils de Dieu dans, justement, une chair ordinaire, humaine, juste humaine. Le signe est indéchiffrable sans la foi. C’est aussi ce que raconte l’évangéliste Luc, que je ne vous ai pas relu, lorsque l’ange dit aux bergers de Bethléhem qu’un signe leur est donné : « vous trouverez un nouveau-né emmailloté et couché dans une crèche. » (Luc 2 / 12) Signe de pauvreté, de déracinement, certes, mais pas d’intervention divine. Et les bergers feront confiance à la parole de l’ange, pas à la mangeoire ! C’est l’adéquation entre la parole et le signe qui en fait un signe, pas le miracle lui-même.

 

Car Dieu ne se manifeste pas d’abord par des miracles, qui sans la foi ne prouvent rien d’autre que le fait que la science actuelle n’explique pas tout. Dieu se manifeste par sa parole. Et dans le petit extrait du prophète Ésaïe qui nous est proposé ce matin, lendemain de Noël, c’est bien ce qui se passe. Dieu se manifeste et agit dans une parole à laquelle nous sommes invités à faire confiance. C’est ce qu’a compris et fait Marie lors de l’annonce par Gabriel de la naissance de Jésus. « Qu’il me soit fait selon ta parole », a-t-elle dit à la fin (Luc 1 / 38). C’est aussi à cela que nous sommes conviés lors de la célébration d’un baptême ou de la cène : nous faisons confiance à une parole qui est en même temps dite et montrée à travers un geste anodin, de l’eau dont on est retiré, du pain et du vin dont on est nourri. Rien que de très banal, même si le paganisme qui nous est naturel a camouflé cette banalité au fil des siècles.

 

Or c’est justement la leçon de Noël, qui nous est bien montrée dans ce passage du prophète. Achaz n’aura pas le signe puissant, le miracle, qu’il aurait pu demander, mais dont il n’a pas voulu par crainte d’être obligé de faire confiance à Dieu. Par contre, les lecteurs d’Ésaïe ont un signe à la fois clair et caché : ils ont une parole à laquelle faire confiance. Et cette parole a pris corps non pas à la cour du roi, que ce soit Achaz ou Hérode le Grand, mais dans la banalité sans nom du corps et de la vie d’une jeune fille et de son époux, dans la pauvreté d’une mangeoire à bestiaux accueillant celui pour qui même l’hôtel du coin n’avait pas de place… Et c’est là que Dieu se tient, dans cette parole chuchotée, dans ce signe invisible. Comme pour un autre prophète, Élie, réfugié à Horeb après avoir fait montre de puissance contre les païens pourtant plus forts que lui – vous connaissez ce texte : « Et voici que l’Éternel passa ; un grand vent violent déchirait les montagnes et brisait les rochers devant l’Éternel : l’Éternel n’était pas dans le vent. Après le vent, ce fut un tremblement de terre : L’Éternel n’était pas dans le tremblement de terre. Après le tremblement de terre, un feu : L’Éternel n’était pas dans le feu. Enfin, après le feu, un son doux et subtil. Quand Élie l’entendit, il s’enveloppa le visage de son manteau, il sortit et se tint à l’entrée de la grotte. Or voici qu’une voix lui dit : “Que fais-tu ici, Élie ?” » (1 Rois 19 / 11-13)

 

Tout ceci doit à la fois nous chagriner et nous réconforter, comme toujours l’Évangile le fait. Et d’abord nous chagriner, parce que nous aimerions bien VOIR. Nous aimerions bien que notre Dieu se manifeste par des actes de puissance, que tout le monde le sache et le reconnaisse, que nous soyons nous-mêmes au bénéfice de tels actes, de tels miracles qui nous éviteraient les doutes, les souffrances et la mort ; et accessoirement que nous soyons reconnus par les gens comme ayant eu raison de croire en ce Dieu ! Ah, si nous avions été à la place d’Achaz, que n’aurions-nous pas répondu, que n’aurions-nous pas demandé ! Or, justement, et sauf lorsque l’extraordinaire se mêle à l’intime pour nous faire signe, cela ne se passe pas ainsi. C’est ce qui nous chagrine. Lorsque la Bible se fait Évangile, elle nous force à renoncer à une telle puissance : celle de Dieu et la nôtre. – Quand je dis puissance, c’est à la compréhension humaine, ordinaire, de la puissance que je fais allusion. – La vraie puissance divine se manifeste dans la crèche et sur la croix, dans un corps ignoré, rejeté, meurtri, crucifié. Les disciples de Jésus ont dû en faire l’expérience en suivant ce maître, incompréhensible selon leurs critères, et pourtant vainqueur de la mort mais seulement reconnaissable par la foi.

 

Mais, comme on dit, « après l’effort, le réconfort » ! L’effort fut pour le Christ, le réconfort est aujourd’hui pour nous. Comme le Christ le dira à l’apôtre Paul : « Ma grâce te suffit, car ma puissance s’accomplit dans la faiblesse. » (2 Cor. 12 / 9) C’est un réconfort, une consolation qui nous fait tenir debout devant Dieu, au milieu des humains et même devant le diable lorsqu’il s’intéresse à nous de trop près : c’est que le « nous » de « Emmanuel – Dieu avec nous », c’est nous ! C’est nous qui croyons, qui faisons confiance à l’incroyable parole, qui recevons le signe qui ne dit rien aux autres, c’est avec nous, au milieu de nous, que Dieu se tient en Jésus-Christ. Je ne sais pas si, dans une crèche, nous serions les santons ou bien les bestiaux : qu’importe ! Il porte pour nous le double nom : « Dieu avec nous » et « il sauve », qui est le sens du nom Jésus. Joseph ne s’est pas trompé en donnant ce nom-ci à l’Emmanuel. Car si Dieu est avec nous, ce n’est pas pour juger ou condamner, mais pour sauver, comme Jésus lui-même l’a dit : « Dieu, en effet, n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui. Celui qui croit en lui n’est pas jugé ; mais celui qui ne croit pas est déjà jugé, parce qu’il n’a pas cru au nom du Fils unique de Dieu. » (Jean 3 / 17-18)

 

Nous sommes, nous faibles et pécheurs, ceux avec qui le Christ se tient au milieu des hommes et des femmes qui nous entourent. Nous sommes ceux qui avons fait confiance à la parole que nous avons reçue et que nous célébrons encore et dont nous sommes nourris. Nous sommes ceux qui échappons au jugement dès lors que nous nous tenons dans le Nom de Jésus-Christ, « le Nom qui est au-dessus de tout nom » (Phil. 2 / 9), et pourtant aux oreilles et au cœur de la plupart des gens un nom banal, sans pouvoir et donc sans intérêt, tout comme nous. Dieu se tient dans les petites choses et chez les petites gens. À nous donc de nous attendre à lui non pas dans notre grandeur mais dans notre faiblesse, non pas dans la puissance d’une Église triomphante mais dans la faiblesse du petit troupeau. Car voici, « Dieu avec nous » est bel et bien avec nous, tel est son projet, sa volonté, et donc il vient s’y faire une place. Où ça ? Chez nous. Amen.

 

Saint-Dié  –  David Mitrani  –  26 décembre 2021

 

 

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