Ésaïe 66 / 10-14

 

texte :  Ésaïe 66 / 10-14

premières lectures :  Ésaïe 54 / 7-10 ; Évangile selon Jean 12 / 20-24

chants :  22-08 et 47-03

téléchargez le fichier PDF ici
la prédication sur Youtube ici

 

Chers amis, nous aurions dû nous retrouver ce matin en assemblée générale, après celle qui aurait dû se tenir dimanche dernier à Raon et y prononcer la dissolution de l’association cultuelle de cette paroisse-là. Oui, nous aurions dû, association cultuelle désormais unique pour les deux paroisses, élire ce matin le nouveau Conseil presbytéral. Tout ceci est bien sûr remis… mais à quand ? Espérons seulement que le confinement sera terminé, ainsi que le pic de l’épidémie, dans 2 mois… Ne l’espérez pas avant ! Mais si jamais cela arrive plus tôt, nous serons « déçus en bien », comme disent les Suisses…

 

Pourquoi est-ce que je commence cette prédication avec ces événements somme toute mineurs de notre vie d’Église ? Mais c’est que le texte d’Ésaïe qui vient d’être lu nous dit : « réjouissez-vous avec Jérusalem ». Or pour nous lecteurs chrétiens, Jérusalem, c’est l’Église. Or l’Église, en ce moment, nous en sommes privés. Nul doute que plusieurs n’en seront guère chagrinés (quoiqu’on n’ait jamais autant envie de quelque chose que lorsque ça manque…). Mais pour beaucoup de ceux qui, ce matin, lisent ou écoutent cette prédication, l’Église comme rencontre des frères et sœurs manque déjà ou va bientôt manquer. Bien sûr il y a le téléphone, il y a internet pour ceux qui l’ont. Mais plusieurs ne l’ont pas, ou pas même un smartphone sur lequel j’aurais pu envoyer cette prédication… Et puis – qu’on le réalise enfin ! – internet ne remplace pas le contact physique, visuel, chaleureux, le contact avec le corps de l’autre : internet ne remplace pas un échange de regards spontanés, une poignée de mains, une bise…

 

Pour l’Église catholique d’avant le dernier concile – je vais être un peu caricatural, comme toujours… – l’Église, c’était d’abord la hiérarchie ecclésiastique : les évêques et les prêtres ; c’était eux qui mettaient les gens, le monde, en relation avec Dieu. Depuis le deuxième concile du Vatican, il y a 55 ans, l’Église, c’est plutôt le peuple de Dieu, les gens, certes « confinés » dans l’unique maison qu’est l’Église qui se dit catholique, et unis en un seul corps par la participation aux sacrements que distribue cette Église. Mais nous ne sommes pas catholiques. Pour nos Réformateurs, l’Église, c’est la famille qui advient lorsque nous recevons les uns et les autres la parole de Dieu à travers la prédication de l’Évangile et les sacrements institués par le Christ. En fait, ce n’est ni le pasteur (ouf !), ni notre communauté, qui nous met en relation avec Dieu, en relation filiale avec lui, mais c’est le Saint-Esprit. C’est lui qui fait advenir l’Église, qui nous fait frères et sœurs les uns des autres, qui nous met chacun au bénéfice de la croix de Jésus-Christ. C’est bien pourquoi le prophète peut nous dire de nous réjouir avec l’Église, car celle-ci ne vient pas de nous, non plus que notre salut. Elle est don de Dieu à ceux qui croient dans le nom du Fils unique.

 

Dans cette prophétie qui nous appelle à la joie, je voudrais souligner deux choses. La première, que je viens d’introduire, c’est que c’est Dieu lui-même, « l’Éternel », le Seigneur, qui fait les choses. Ce n’est pas « Jérusalem », ce n’est pas l’Église, même si c’est elle qui nous « allaite et [nous] rassasie par son sein qui console ». L’Église est certes la « mère des croyants », comme le confessait Calvin – même si les protestants d’aujourd’hui sont allergiques à cette expression. Mais elle y est servante et non productrice, elle est nourricière et non génitrice. Car, oui, c’est Dieu qui commande à l’Église, qui offre à l’Église, c’est lui qui pourvoit pour nous : Dieu « Providence », c’est ce que ça veut dire ! Le prophète le confesse : malgré l’Exil, le confinement à Babylone, malgré tout ce qui peut nous apparaître tel et qui peut véritablement l’être, malgré notre éloignement, il est, lui, le Seigneur de l’Église et le maître de nos vies. Et voici, dit le prophète : « la main de l’Éternel se fera connaître à ses serviteurs, et sa fureur à ses ennemis. »

 

Alors il nous faut l’attendre. Oh, pas l’attendre comme on attend, parfois avec agacement, quelque chose qui ne vient pas alors qu’on y a droit : avec Dieu, ça ne marche pas comme ça ! Non. Il faut l’espérer, s’y attendre, comme lorsqu’à notre anniversaire ou autre, on s’attend à recevoir un cadeau, quelque chose qu’on n’a pas mérité mais dont on sait que ça va venir, et on s’en réjouit d’avance ! Ne faisons pas comme Dudley, le cousin de Harry Potter – pour ceux qui connaissent… Ne confondons pas cadeau et dû. Dieu ne nous doit rien, non plus que nos parents. C’est nous qui leur devons, à l’un comme aux autres. Dieu ne nous doit rien, mais il nous annonce son action favorable à notre égard, il nous annonce son secours, sa venue, sa présence à nos côtés pour la vie et non pour la mort.

 

Et c’est la seconde chose que je voudrais souligner aujourd’hui avec Ésaïe. Certaines personnes tremblent à l’idée que « Dieu vient » (Ps. 50 / 3), à l’idée du Jugement qu’on appelle « dernier » parce qu’il sera sans appel. Mais que ce ne soit pas là notre angoisse ni notre hérésie : nous, nous avons l’assurance de notre salut (cf. Hébr. 11 / 1 et 1 Jean) ! « Car ainsi parle l’Éternel : voici que je dirigerai vers elle la paix comme un fleuve. » La paix est donc promise à l’Église, c’est-à-dire à vous, mes frères et sœurs en Christ, comme à moi, à nous ensemble. Puissent les Églises persécutées dans le monde, en Asie, au Moyen-Orient ou ailleurs, bien entendre cette promesse et s’en nourrir abondamment. Mais elle est aussi pour nous autres, en ces jours difficiles et plus encore dans les jours et les mois à venir, où la maladie et l’effondrement de l’économie vont faire beaucoup plus de dégâts que maintenant, surtout pour les plus fragiles. La paix nous est promise par Dieu, sa paix à lui, pas forcément notre tranquillité à nous, ne confondons pas. Mais attendons-nous à sa paix.

 

Comme l’a dit Jésus à ses disciples : « Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix. Moi, je ne vous donne pas comme le monde donne. Que votre cœur ne se trouble pas et ne s’alarme pas. » (Jean 14 / 27) C’est celui qui a donné sa vie pour nous, et qui pour nous a vaincu la mort, qui a dit cette phrase, qui nous offre cette parole. « Aujourd’hui, si vous entendez sa voix, n’endurcissez pas vos cœurs. » (Hébr. 3 / 15) C’est à cause de cette mort et de cette parole qu’Ésaïe nous invite à la joie, la joie à cause de la paix que donne l’Esprit, qu’il donne à l’Église. Qu’alors nous sachions en être témoins les uns devant les autres – ça sert à ça, l’Église. Ne soyons pas témoins de nos peurs, de nos enfermements, de nos inimitiés. Mais soyons témoins de la paix de Dieu les uns auprès des autres, ayons souci des autres pour leur communiquer cette paix qui ne vient pas de nous : par téléphone, par internet, par courrier qu’on peut poster ou distribuer en faisant ses courses, par geste de secours là où c’est possible, etc. Soyons aussi témoins de cette paix en n’étant pas rebelles aux ordres du gouvernement, quoi que nous puissions penser par ailleurs. Ne sommes-nous pas en paix à cause du Christ ? Alors « restez chez vous » dans la paix et la joie : le Christ vient. Amen.

 

(Saint-Dié) en confinement  –  David Mitrani  –  22 mars 2020

 

 

Contact