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Ésaïe 65 / 17-25
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texte : Ésaïe, 65 / 17-25 (trad. : Bible à la colombe)
premières lectures : Apocalypse, 21 / 1-7 ; Évangile selon Matthieu, 25 / 1-13
chants : 403 et 409 (Arc-en-ciel)
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« C’est fait ! », dit le Seigneur au Voyant de l’Apocalypse. « Réjouissez-vous », dit-il par la voix de son prophète. C’est pour cela que le passage évangélique nous appelle à être prêts. Car ce n’est pas demain, ce n’est pas dans longtemps. Quel intérêt cela aurait-il alors, pour nous qui vivons pratiquement au jour le jour une existence éphémère ? Non, c’est aujourd’hui, selon ce qu’écrivait l’auteur de l’épître aux Hébreux en citant David : « Aujourd’hui, si vous entendez sa voix, n’endurcissez pas votre cœur… » (Ps. 95 / 7-8 ; Hébr. 3 / 7 ; 4 / 7). Aujourd’hui, c’est fait ; aujourd’hui nous pouvons, nous devons nous réjouir ! Le temps de l’attente est terminé…
Bizarre que le pasteur dise ça, alors que dans une semaine et pour un petit mois, nous célébrerons l’Avent, le temps de l’attente… Oui, nous célébrerons l’Avent, mais pour dire justement que, depuis Noël et Pâques, c’est terminé. Qu’il faille nous y préparer, c’est bien. Que nous restions dans cette préparation, c’est dommage, et pour tout dire parfaitement injustifié. Avez-vous pris assez d’huile pour vos lampes ? Ce n’est pas pendant toute votre vie – qui finira peut-être plus tôt ou plus tard que vous ne le pensez ou l’espérez – c’est maintenant qu’il faut vous poser la question, parce que le Seigneur vient aujourd’hui… ! Il crée « de nouveaux cieux et une nouvelle terre où la justice habitera », pour le dire comme l’apôtre Pierre (2 Pi. 3 / 13). Ce que le prophète nous montre dans sa vision, c’est ce en quoi consiste cette justice de Dieu, pour laquelle il faut nous réjouir, car elle est pour nous, elle est faite pour que nous en vivions.
Et c’est bien là la première leçon de cette parole : c’est Dieu qui fait advenir sa justice, c’est lui qui nous fournit de quoi nous réjouir, c’est lui qui crée pour nous une vie réjouissante. L’apôtre Paul, tout à l’heure, nous le disait avec d’autres mots dont notre protestantisme a plus l’habitude : « c’est par grâce que vous êtes sauvés… » (Éph. 2 / 8). Ces mots ne sont pas seulement le théologoumène fondamental de notre religion, mais ils concernent notre existence quotidienne, notre existence « aujourd’hui ». À l’heure où, autour de nous, parfois peut-être jusque dans nos maisons, la misère abonde, la révolte gronde, désordonnée et injuste, il est bon que nous, chrétiens, nous nous accrochions à ces paroles divines. Car nous avons à savoir que misère et révolte sont pour nous dépassées, et que sans avoir rien à faire sinon faire confiance, un monde nouveau nous est donné pour que nous en jouissions et en fassions aussi profiter les autres qui nous entourent.
Nous savons ce dont nous sommes capables. Et en dehors des moments d’exaltation orgueilleuse et des moments de dépression, nous sommes conscients de ce que nous pouvons faire et de la limite de ce que nous pouvons faire. Que nous le fassions ou pas est une autre question, dans laquelle notre salut n’est pas en cause, seulement notre honneur et notre citoyenneté… Mais il est en tout cas bien évident que même les plus généreux de nos efforts ne changeront pas le monde, tout au plus rendront-ils plus supportables sa misère et sa finitude. Oui, même les meilleurs d’entre les humains ne sont pas capables de faire advenir ce que la vision d’Ésaïe nous montre. L’humanité ne peut pas changer l’humanité, nous nous y sommes bridés, et c’est d’ailleurs une bonne chose : tous ceux qui ont voulu le faire ont commis des horreurs pires que tout, et ont transformé les humains en esclaves.
Qu’on se le dise : ce n’est pas le projet de Dieu ! Il suffit de lire la Bible pour le savoir et le reconnaître. Car la vérité n’est pas dans ce que nous voyons ni dans ce que nous voulons, elle est dans la parole que Dieu nous adresse au travers de la Bible, dans ses textes les plus durs comme dans ses textes les plus exaltants. Et si nous avons entendu vendredi soir, dans le livre des Lamentations, ce à quoi nous mène notre péché, nous recevons aujourd’hui ce que nous promet et nous offre le Père : « je crée Jérusalem pour l’allégresse et son peuple pour la joie ». Ainsi ce n’est pas seulement notre cadre de vie que Dieu change – ce qui sera déjà une bien bonne chose ! Mais c’est nous-mêmes : il fait de nous son peuple, il change non seulement notre vision et nos habitudes, mais aussi notre être-même, notre identité, il nous adopte comme ses enfants ! Nous nous savions déjà ses créatures, tout comme les étoiles, les bactéries et les amibes, et quelques autres plantes et animaux… Et déjà nous le refusions ! Mais désormais il s’offre à nous comme un père, et rien cette fois ne peut nous en priver, pas même nos refus…
Mais parmi nous qui entendons ces paroles, qui voudrait s’en priver ? Qui voudrait redescendre au niveau des anges, des pierres et des bêtes ? Le cadeau fait aux humains en Jésus-Christ, nous voulons le saisir à pleines mains, à plein cœur, à pleine vie. Et c’est pour aujourd’hui ! La langue hébraïque nous fait se cadeau supplémentaire de ne pas distinguer entre imparfait, présent et futur, elle ne connaît que le parfait et l’imparfait : l’imparfait, c’est à la fois notre présent et notre futur, c’est ce dans quoi nous sommes. Le créateur nous projette ainsi dès maintenant dans sa création nouvelle, non plus celle que nous avons abîmée et dans laquelle nous souffrons, mais une nouvelle œuvre de lui, dans laquelle la joie et l’éternité nous sont offertes.
La première forme que prend cette bénédiction, cette joyeuse vision, est la conséquence de nos besoins tels que nous les ressentons, ou, en l’occurrence, tels que les premiers auditeurs de la prophétie les ressentaient, dans un univers où beaucoup d’enfants mouraient tôt, où beaucoup de jeunes gens mouraient à la guerre, où l’ennemi occupait non seulement le pays mais jusqu’aux maisons et prélevait pour lui-même ce qui était nécessaire à la vie des gens. Est-ce si loin de nous autres ? Nous l’avons oublié ou refoulé. Mais tant de gens, tant de pays, vivent ainsi encore aujourd’hui, tant de pays sont dévorés par la guerre, la famine, la dictature, l’injustice… Il arrive même que notre propre pays en soit la cause sans même que nous le sachions, sans même que nous nous en rendions compte… Ainsi va le monde, vers la mort… Et c’est dans cette constatation réaliste que retentit la vision du prophète, la parole du Seigneur : il n’y a plus rien de tout ceci dans la création nouvelle !
Nous le savons, nous l’espérons, et nous avons à en témoigner. Mais c’est difficile. Et vous savez pourquoi c’est difficile ? Pas parce que nous sommes timides, pas parce que nous craignons d’être accusés de prosélytisme, pas parce que nous ne savons pas faire… En plus de tout ça, c’est difficile parce que ça ne correspond en rien à ce que voient les gens ! Lorsque nous parlons d’allégresse et de joie à cause de cette création à des gens qui ont perdu leurs proches, qui ont perdu leur travail ou que celui-ci fait souffrir, qui n’ont plus le nécessaire pour vivre ou pour faire vivre les leurs, etc., notre témoignage tombe à plat et nous revient violemment dans la figure… À moins, à moins que nous ne soyons suffisamment convaincus nous-mêmes pour que cette nouvelle création affleure dans notre regard et dans notre existence ! Or, si nous ne sommes pas convaincus, nous à qui cette annonce est faite, alors qui le sera ?
Car pour nous, la seconde forme que prend cette bénédiction ne concerne plus notre relation au monde, mais notre relation à Dieu ! « Avant qu’ils m’invoquent – dit Dieu – moi je répondrai ; ils parleront encore, que moi j’exaucerai. » – Rappelez-vous, ce n’est pas seulement un futur, c’est déjà un présent… – C’est donc dans la prière, c’est-à-dire dans la relation personnelle avec Dieu, que cette nouvelle création prend forme et réalité dans notre existence concrète. C’est dans la prière, dans la relation personnelle avec Dieu, que nous ne sommes plus des quémandeurs devant une idole, mais des enfants devant leur Père très-aimant. C’est là, dans cette relation nouée en Jésus-Christ, « au pied de sa croix » pour le dire de manière évangélique, que nous recevons pour en vivre nous-mêmes ce dont nous avons à témoigner pour qu’en vivent les autres. C’est là que notre espérance devient grâce, la grâce de Dieu qui se déverse sur nous par la mort et la résurrection de Jésus, dans la confiance en cette parole.
Êtes-vous plutôt lion ou plutôt agneau ? Ce n’est pas une question pour jouer, nous ne sommes pas à la télé ni dans un sondage pour magazine féminin ! Êtes-vous de ceux qui dévorent les autres ou bien de ceux qui sont dévorés par les autres ? Ne me dites pas que vous n’êtes ni des uns ni des autres, ça n’existe pas. Nous sommes un peu des deux, en toute modération… Mais dévorer modérément, être dévoré modérément, c’est toujours dévorer ou être dévoré… Alors entendez-le dans la bouche du Père : ceux qui dévorent ne le feront plus, ceux qui sont dévorés ne le subiront plus, et ça ne se fera pas par la destruction des uns ou des autres, mais les deux « auront un même pâturage ». Entendez aussi que, dans la foi, lorsque nous nous tenons devant le Père, cette réalité est déjà là. Si vous continuez à dévorer, si vous continuez à vous définir comme étant dévoré, de quoi témoignez-vous, sinon de ce monde qui tue et meurt ?! Que vous soyez lion ou agneau, vivez donc ce qui nous est montré ici – ce qui n’est possible qu’en le vivant ensemble ! Alors arrêtez de dévorer, si vous êtes lions, afin que les agneaux cessent d’être dévorés : la balle est dans votre camp, lions ; la balle est dans notre camp…
« Il ne se fera ni tort ni dommage sur toute ma montagne sainte, dit l’Éternel. » Cette parole est vraie. Mais si nous voulons pouvoir en témoigner, il faut qu’elle commence à prendre corps dans notre existence concrète. Car la « montagne sainte », le « temple du Saint-Esprit » (1 Cor. 6 / 19), c’est nous, son Église, c’est chacun de nous, corps et âme. Ne laissons pas nos corps, nos existences sociales, en arrière, car voilà ce qui témoigne de la vérité de nos paroles et de nos croyances : ce que nous vivons les uns avec les autres. Qu’il ne se fasse donc « ni tort ni dommage » au milieu de nous, que « le serpent » morde « la poussière » et se taise ! Nous y sommes appelés, et c’est quelque chose de joyeux, d’extraordinairement joyeux ! Avant de le vivre nous en avons peut-être peur ? Peut-être y voyons-nous comme un renoncement à nos droits, à notre propriété, à notre identité ? Mais notre identité véritable n’est-elle pas celle donnée dans cette création nouvelle, celle de fils ou de fille de Dieu ?!
Alors oui, « réjouissons-nous plutôt et soyons pour toujours dans l’allégresse » : cette joie nous est donnée, ce n’est pas la nôtre car ce monde-ci ne nous en donne pas de vraie, mais c’est celle de Dieu, « [sa] joie », celle d’un autre monde dans lequel nous sommes déjà, par grâce. Que cela se voie ! Amen.
Saint-Dié – David Mitrani – 25 novembre 2018