Ésaïe 58 / 1-9a

 

texte :  Ésaïe 58 / 1-9a

autres lectures :  Première épître aux Corinthiens 13 ; Évangile selon Marc 8 / 31-38

chants :  33-24 et 46-02

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Aujourd’hui, c’est la Saint-Valentin ! Qui donc pourrait l’ignorer, tant le matraquage publicitaire est puissant ?! Mais autant qu’on nous parle de ça, plutôt que de nous balancer encore les annonces anxiogènes sur le virus et ses variants, le manque de vaccins, le nombre de morts en EHPAD, les restrictions des libertés, etc. ! Mais je ne pense pas que ce soit à cause de la Saint-Valentin que la liste biblique que je suis ordinairement nous propose pour ce dimanche – qui d’habitude ne tombe pas forcément le 14 février – le texte de l’épître aux Corinthiens, qui sert surtout aux bénédictions de mariage… Notez bien que cette affectation est imméritée si elle se limite à cette occasion-là. En effet, célibataires, veufs, gens malheureux en couple, peuvent tout aussi bien que les gens heureux en couple profiter de ce texte pour un amour qui n’est pas d’abord sexuel, mais qui est tel que décrit dans cette épître… et qu’à ma connaissance le Christ est le seul être humain à l’avoir vécu jusqu’au bout, comme l’écrit Jean dans son évangile : « Jésus, qui avait aimé les siens qui était dans le monde, les aima jusqu’au bout » (Jean 13 / 1) ; cette phrase ouvre un récit de la Passion qui commence par le lavement des pieds de ses disciples par Jésus !

 

Ce n’est donc pas ce texte qui nous est offert pour ce matin, mais plutôt celui du prophète Ésaïe. Nous garderons quand même en mémoire les deux autres textes, ceux de Paul et de Marc, qui nous donnent un bon éclairage… Car sinon, il serait trop facile, en ne choisissant que quelques lignes du texte, de penser que « faire le bien », être généreux, c’est ce que Dieu demande. Seraient alors confortées toutes les personnes qui disent qu’il ne sert à rien d’être pratiquant, voire d’être chrétien, et qu’il suffit de ne pas embêter son voisin – ce qui est certes un peu égoïste et limité. Seraient aussi confortées toutes les personnes qui remplacent la foi par l’humanisme, la pratique religieuse par l’engagement militant. Or ce n’est pas ce que dit le texte.

 

Replaçons-nous dans son contexte tel qu’il le montre lui-même. Dieu regarde son propre peuple, comme il nous le dit : « mon peuple ». Il ne s’agit pas de l’humanité en général, ni d’un État laïque ou chrétien ou autre ; il s’agit du peuple d’Israël. Et déjà vous savez bien, vous qui écoutez souvent prêcher votre serviteur, que dire « Israël » en lisant l’Ancien Testament, cela ne consiste pas à faire de l’Histoire antique, mais que cela veut dire pour nous « l’Église ». Le prophète est donc invité à sonner le shofar, la corne de bélier, pour rassembler les croyants et les avertir. Car d’avertissement il y a besoin, pour ces gens croyants qui cherchent Dieu dans la religion. Or Dieu ne les loue pas de cette recherche : au contraire, il les blâme ! Il leur reproche leur péché. La religion serait-elle péché ? On n’en est pas très loin. Un autre texte possible pour ce dimanche d’avant Carême est le fameux extrait d’un autre prophète, Amos, où Dieu dit : « Je hais, je méprise vos fêtes, Je ne puis sentir vos cérémonies. […] Éloigne de moi le bruit de tes cantiques. » (Amos 5 / 21-23)

 

Alors, qu’est-ce qu’on fait ici… ?! Eh bien on écoute le prophète nous secouer de la part de Dieu ! Car sainte convocation il y a, par une cloche plutôt qu’une corne, et vous vous y êtes rendus ce matin, et moi avec vous. Et Dieu nous dit d’arrêter de le chercher par la religion, car la religion ne sert pas à ça. Le reproche est plus aigu : ils cherchent à connaître la volonté de Dieu, alors qu’ils ne l’écoutent pas et ne la mettent pas en pratique… Tout au long de l’Ancien Testament, depuis le début, depuis Caïn et Abel, puis Noé, jusqu’au bout, Dieu nous dit qu’il ne veut pas de sacrifices, que cela ne change en rien le cœur de l’être humain. Il n’en a d’ailleurs pas demandé, dans la Genèse ! La Loi de Moïse les réglementera pourtant, mais c’est afin qu’on ne fasse pas n’importe quoi en Israël, qu’on ne fasse pas comme les païens – rappelez-vous le veau d’or… On assiste, dans notre texte comme dans d’autres, à un échange virulent de reproches entre Dieu et son peuple. Eux disent : on le cherche et il ne nous écoute pas ! Et lui répond : je suis là et c’est vous qui ne faites pas ma volonté !

 

Ce que Dieu ne veut pas est parfaitement clair. Comme je vous l’avais dit, pour ceux qui étaient là, à propos du « culte raisonnable » selon Romains 12 – c’était il y a un mois ici-même – Dieu ne cherche pas de cérémonie religieuse. Dieu ne veut pas non plus « la mort du méchant, mais qu’il se convertisse et qu’il vive » (Éz. 18 / 23). Quant à « ce qui est l’œuvre de Dieu, c’est que vous croyiez en celui qu’il a envoyé », a dit Jésus (Jean 6 / 29). La volonté de Dieu nous tourne donc vers Jésus, dont les autres textes de ce jour nous rappellent que toute sa vie et toute sa mort sont réglées sur l’agapè, l’amour au sens de Saint Paul, et que c’est ce qui l’a conduit à la croix. « L’amour est fort comme la mort », chantait Salomon (Cant. 8 / 6) – entendez : il est plus fort qu’elle ! La croix de Jésus a vaincu la mort. Ainsi est posé – et c’est toute la foi chrétienne – la réalisation par Jésus de ce déroulement de vie : l’amour – la mort – la résurrection. L’amour conduit à la négation de soi, il est la négation de soi, il est notre mort à nous-mêmes. Mais cette mort – non pas toute mort, mais celle-ci – mène à la vie et non au néant. Et c’est à ceci que Dieu nous invite : suivre son Fils. C’est ce que Jésus nous confirme dans le texte de Marc ce matin. C’est ce à quoi Pierre, le premier d’entre nous, résiste de toutes ses forces, et nous aussi.

 

Dieu ne nous demande certes pas de courir au martyre – l’Église chrétienne le rappellera sans cesse tout au long de son histoire, face aux dérapages de certains croyants trop zélés… mais du même zèle que ceux à qui Ésaïe s’adressait ! Croire que servir Dieu, c’est venir au temple, et croire que servir Dieu, c’est chercher la persécution, sont les deux voies qui nous sont proscrites : les deux mènent à la mort – certes pas la même, mais ça y va tout droit quand même… Les deux ressortissent de l’auto-humiliation que critique le prophète. Dieu ne veut pas des chrétiens qui passent leur vie à se repentir sans jamais croire au pardon de Dieu, et il ne veut sûrement pas des chrétiens morts… Sinon à quoi servirait par exemple l’ACAT ? Non, Dieu veut des chrétiens vivants et observants, non pas reclus dans la pénitence ou dans les prisons, mais debout, vivants et agissants. Alors nous serons de vrais martyrs, c’est-à-dire des témoins, puisque c’est le sens de ce mot.

 

Le prophète oppose ainsi la religion au droit de Dieu, le pieux désintérêt pour les autres au respect efficace pour les autres. Car se désintéresser des autres, c’est positivement les écraser, c’est faire l’œuvre du Prince de ce monde et non pas du Seigneur vivant. Car le monde est dur pour les faibles, les pauvres, les petits. Ne pas s’en préoccuper, c’est les enfoncer encore plus. Car le monde, c’est nous. Le malheur des autres, c’est notre sécurité et notre confort, à nous, dans ce pays. Il ne sert à rien d’en culpabiliser, mais on peut tâcher de redresser la barre, à notre échelle. Entendez bien : je ne vous propose pas une action politique ni, comme on dit aujourd’hui, « citoyenne ». Vous êtes bien assez grands pour ça, quels que soient votre choix et vos convictions là-dessus… Avec le prophète, je fais seulement retentir l’appel de Dieu à nous préoccuper des plus faibles que nous, des plus malheureux, des plus mal lotis, quelles que soient les causes de cet état, tout comme Jésus l’a fait pendant le peu de temps où, Fils de Dieu, il a revêtu notre humanité sur cette terre. « Amen, amen, je vous dis, celui qui croit en moi fera, lui aussi, les œuvres que moi je fais, et il en fera de plus grandes, parce que moi, je m’en vais vers le Père. » (Jean 14 / 12)

 

C’est donc bien sur ce chemin « de croix », mais aussi « de victoire » que nous sommes appelés à marcher. Cela ne consiste pas seulement à avoir une Entraide paroissiale, qui fait ce qu’elle peut et qui le fait bien : notre Entraide, c’est nous aussi ! Mais c’est dans la vie chrétienne de tous les jours que nous sommes interpellés. Certes Ésaïe s’adressait au peuple croyant ! Mais un peuple, ce sont ses membres… L’Église, ce n’est pas une affaire d’associations, même si en ce moment notre gouvernement feint de le croire. L’Église, c’est le peuple de ceux qui écoutent la parole de Dieu et qui la réalisent dans leur propre vie. Les deux choses : qui écoutent la parole de Dieu, et qui la réalisent dans leur propre vie. Comment la réaliser, en faire quelque chose, si on ne l’écoute pas, si on ne l’entend pas ? Et comment se prétendre croyant, si l’on se contente de l’écouter comme un beau discours religieux du pasteur qui parle bien, dit-on, encore que je sois dubitatif sur ce compliment pourtant gentil et agréable…

 

Écouter et réaliser. Comme je vous l’avais dit en janvier : écouter ici, et mettre en œuvre dehors, car c’est dehors qu’est le vrai culte, la mise en œuvre de ce qu’on a entendu et reçu dans ces murs. La sainte cène le montre bien : la communion au corps du Seigneur est un moment de partage de nourriture ; ce n’est pas anodin, n’est-ce pas ? Si la sainte cène n’était qu’une commémoration, cela n’impliquerait pas grand-chose. Mais elle est bien plus, elle est vraiment une communion au Christ vivant, et donc elle nous oblige ! Elle réalise en nous et pour nous ce qu’elle nous appelle à réaliser nous-mêmes au dehors, c’est-à-dire entre nous, et à l’égard de tous. Elle dit à la fois la fraternité et l’envoi en mission. Comme on le disait en latin autrefois avant la Réforme et à côté d’elle, la célébration se terminait par ces mots : « ite, missa est ». Ça n’a jamais voulu dire « la messe est dite », expression absurde, mais quelque chose comme : « allez, c’est l’envoi ». Notre culte dans ces murs est un envoi en mission, et la mission consiste à suivre les traces du Christ qui est en nous et pour nous, et avec nous par son Esprit.

 

C’est donc ainsi que nous témoignerons du Christ, aux yeux de Dieu et aux yeux des humains : en sachant que notre vie et notre bonheur prennent corps dans le secours des petits, dans l’abandon de ce qui est nôtre au profit de la suivance de Jésus-Christ. Paul écrira : « Les bonnes dispositions, quand elles existent, sont agréables en raison de ce qu’on a. » (2 Cor. 8 / 12) Il ne s’agit pas de s’inventer des capacités qu’on n’a pas, mais de faire ce qu’on peut, tel que l’on est, en vue du Christ promis. Cela ne nous le gagnera pourtant pas, qu’on soit clair : notre salut est son œuvre, pas la nôtre. Mais cela nous permettra d’augmenter en nous sa place, de pouvoir mieux recevoir sa présence, son amour, son salut, qu’il nous offre gratuitement, mais que notre préoccupation de nous-mêmes nous empêche de recevoir pleinement et d’en vivre. On pourrait dire ceci : débarrassons-nous de ce qui encombre notre vie, d’autres en ont besoin, occupons-nous d’eux et non plus de nous-mêmes. Alors brillera « la gloire de l’Éternel » qui n’est pas la nôtre, mais qui est Jésus-Christ. Ce ne sont pas nos œuvres qui nous glorifient, vous dis-je, ce sont les siennes. Encore faut-il les vouloir et les recevoir, leur faire la place.

 

Le Seigneur est là, il attend que nous puissions enfin l’entendre nous dire « Me voici ! », et non pas pour la mort, mais pour la vie. Il ne cesse de nous le dire, mais la plupart du temps nous ne l’entendons pas. Ouvrons-nous à sa présence, non pas par une quelconque méditation, mais en suivant l’exhortation du prophète. Car « ces trois-là demeurent : la foi, l’espérance et l’amour ; mais la plus grande, c’est l’amour. » Amen.

 

Saint-Dié  –  David Mitrani  –  14 février 2021

 

 

 

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