Ésaïe 54 / 7-10

texte :

« Dans un petit instant je t’ai abandonnée,

Et dans de grandes compassions je te rejoins ;

Dans un débordement d’irritation j’ai caché mon visage un instant de toi,

Mais dans une grâce de toujours j’ai eu compassion de toi »,

A dit l’Éternel, ton rédempteur.

« C’est pour moi comme les eaux de Noé,

Quand j’ai juré les eaux de Noé ne plus passer sur la terre,

Ainsi j’ai juré de ne pas m’irriter sur toi et de ne pas te menacer.

Comme les montagnes se retirent et les collines chancellent,

Ma grâce pour toi ne se retire pas et l’alliance de ma paix ne chancelle pas »,

A dit l’Éternel, qui a compassion de toi.

 

 

premières lectures :  Évangile selon Jean 12 / 20-24 ; Deuxième épître aux Corinthiens 1 / 3-7

chants :  84 et 21-03

télécharger le fichier PDF ici

 

 

prédication :

 

Au cœur du Carême, pour les traditions chrétiennes qui le célèbrent, ce dimanche est un jour de joie. Joie pendant le Carême ? Ce qui n’étonnera pas des Réformés, c’est que lorsque nous célébrons la Passion de notre Seigneur, ou lorsque nous nous y préparons, nous ne pouvons que nous rappeler pourquoi il est notre Seigneur : c’est que sa mort a été notre victoire définitive. Or la certitude de la résurrection de Jésus-Christ et, en lui, de la nôtre, ne peut être que cause de joie, même si c’est l’occasion de nous rappeler combien nous ne le méritions pas, et combien nous ne le mériterons jamais ! La mort du « grain de blé » a porté fruit, et c’est pourquoi nous sommes ici, devant lui, abondamment consolés de notre misère et de notre péché, vivant de la compassion de Dieu notre Père.

 

Et justement, celui des textes du jour proposé à notre méditation ce matin, celui du prophète Ésaïe, nous parle de cette compassion. Prononcé sur Jérusalem autrefois, sans doute à l’époque de l’Exil des Judéens à Babylone, nous ne pouvons qu’en prendre de la graine ! Car là aussi il est question d’une mort, d’un abandon, d’une absence. L’image utilisée depuis quelques versets est celle de l’épouse délaissée, renvoyée à cause de son infidélité, mais dont le mari – Dieu – est toujours amoureux. C’est une image classique. Ce qui est original dans notre Bible, c’est précisément cet amour de Dieu pour son épouse infidèle, cet amour qui ne fut pas partagé, mais au nom duquel tout est à nouveau possible, amour à nouveau proposé pour une nouvelle aventure commune.

 

Je voudrais d’abord noter la disproportion entre la première étape de cette relation et la seconde, le texte y insiste bien : « un petit instant » d’abandon, mais « de grandes compassions » désormais ; « un débordement d’irritation » certes, mais « une grâce éternelle » au bénéfice de laquelle nous sommes. C’est la même disproportion que dans les Dix commandements, vous savez, quand Dieu « punit jusqu’à 3 et 4 générations de ceux qui me haïssent », dit-il, mais « fait grâce jusqu’à 1 000 pour ceux qui m’aiment » (Deut. 5 / 9-10). Ce qu’il y a à retenir dans ces deux endroits, ce n’est pas la punition ou l’abandon, mais c’est la compassion, la grâce, précisément hors de proportion avec ce qui avait justifié la condamnation, et tout autant hors de proportion avec la première réponse à nos transgressions. Contrairement à ce que nous en retenons d’habitude, Dieu n’est pas d’abord celui qui punit ou abandonne, mais celui qui fait grâce et qui revient. Les parents aimants n’en font-ils pas autant ?

 

Souvent les ennemis de la foi, ainsi que ceux d’entre nous lisant trop vite, sont horrifiés par la loi du talion (p.ex. Deut. 19 / 21). Mais on comprend mieux ce que Jésus en fait dans le Sermon sur la montagne, et que je vous rappelle : « Vous avez entendu qu’il a été dit : “Œil pour œil, et dent pour dent”. Mais moi, je vous dis de ne pas résister au méchant. Si quelqu’un te frappe sur la joue droite, tends-lui aussi l’autre. Si quelqu’un veut te traîner en justice, et prendre ta tunique, laisse-lui encore ton manteau. Si quelqu’un te force à faire un mille, fais-en deux avec lui. Donne à celui qui te demande, et ne te détourne pas de celui qui veut emprunter de toi. » (Matth. 5 / 38-42) Dans cette antithèse entre le commandement de Moïse et l’interprétation de Jésus, on a simplement l’application de la disproportion dont je vous parlais. Si Dieu pratiquait le talion et nous rendait ce que nous méritons, nous serions morts, physiquement et spirituellement, annihilés à jamais. Or non seulement Dieu ne nous rend pas seulement selon le talion – ce qui nous ferait tout autant mourir, en fait… – mais Dieu revient en amour infiniment plus que ce que nous nous étions éloignés de lui en infidélité, désobéissance, désintérêt, etc.

 

La grammaire de ces phrases dans notre texte est intéressante. Si l’abandon et le voilement du visage sont au passé composé, à l’accompli, puisque, oui, ça a été le cas, le retour de Dieu vers nous est à l’inaccompli, toujours actuel, et la « grâce de toujours » est elle-même à l’accompli, comme si la proximité actuelle de Dieu avec nous était non pas un vrai revirement, mais un choix de départ. Nous sommes au bénéfice de la grâce que Dieu nous a manifestée en Jésus-Christ avant les siècles, avant notre naissance, avant que nous puissions nous y opposer ou l’accepter. Il y a comme un parti-pris de Dieu pour nous malgré nous, malgré le péché et la mort. Depuis toujours « l’Éternel est [mon] rédempteur », celui qui me rachète quel que soit le prix. Et cette affirmation de foi est elle aussi à l’accompli : non pas Dieu dit aujourd’hui (et ça pourrait changer) mais Dieu « a dit » (et ça reste donc vrai quoi que je fasse, puisque c’était dit avant que je fasse quoi que ce soit).

 

En fait, ce que la foi nous appelle à vivre existentiellement, dans la relation, dans l’instant présent, est pour Dieu une donnée essentielle : il fait profession de nous faire grâce, de nous aimer, de donner sa vie pour que nous, nous vivions au lieu de périr à cause de notre nature et de nos fautes. Et pour nous le faire comprendre, ce n’est pas maintenant avec un verset de loi, mais avec un verset de la Genèse qui concerne toute l’humanité : l’histoire du Déluge et de la sortie du Déluge, quand Dieu a mis un arc-en-ciel comme signe de sa promesse : « Il n’y aura plus de déluge pour détruire la terre. […] L’arc sera dans la nuée, et je le regarderai pour me souvenir de l’alliance perpétuelle entre Dieu et tous les êtres vivants qui sont sur la terre. » (Gen. 9 / 11. 16). Outre que ce verset nous évite toute crainte et fantasme de fin du monde qui sont pourtant très à la mode, il nous annonce surtout un signe par lequel Dieu se lie à sa propre promesse, et ce signe de sa grâce, c’est la Croix du Christ, sa mort effective. La rédemption des humains que nous sommes a été accomplie par le don que Dieu a fait de lui-même en Jésus-Christ. L’histoire du Déluge, quelle que soit sa réalité historique sur laquelle je ne sais rien du tout, cette histoire est d’abord et avant tout une figure de la grâce de Dieu en Jésus-Christ – c’est bien ce que dit Dieu selon Ésaïe ! Jurant de ne plus noyer la terre, en fait, il « a juré de ne pas s’irriter sur nous », etc. Lisant la Genèse, voilà ce que nous devons comprendre.

 

Mais Dieu sera-t-il assez patient avec nous ? Car, nous le savons bien, nous allons sans cesse retomber, que ce soit par nos actions ou par nos inactions : nous ne serons jamais à la hauteur de ce que Dieu attend de nous ! Et comme l’amour ne ligote pas la personne aimée, nous avons et aurons toujours cette pseudo-liberté de retomber dans l’esclavage du péché. Comment Dieu réagira-t-il avec nous dès la prochaine minute et pour ce qui nous reste d’existence ici-bas ? Dieu fait plus que sa part qui est déjà énorme, et nous largement moins que la nôtre qui est toute petite. Dieu nous supportera-t-il encore longtemps ? Si vous avez bien écouté jusqu’à présent, vous savez que oui. Nos repentances ne sont pas des promesses de mieux faire, mais le moyen de recevoir le pardon qui nous a été offert, et qui peut changer nos vies – lui, pas nous…

 

Ainsi, les paroles de la grâce de Dieu « sont certaines et vraies » (Apoc. 2 / 15). Aussi solides que les montagnes ? Non. Car même les montagnes peuvent s’écrouler ou exploser ! Vous seriez Américains, vous le sauriez depuis l’explosion du Mont Saint-Helens : ce volcan de la côte Nord-Ouest des États-Unis a explosé au printemps 1980 et a perdu 400 m de hauteur, sans parler du reste. Oui, même les montagnes peuvent « se retirer » ! Dieu nous déclare lui-même que ses paroles, et notamment sa « grâce pour nous », ne peuvent pas le faire : elles demeurent à perpétuité ; leur actualité, fondée dans un acte qui nous dépasse totalement, fondée en Dieu lui-même, leur actualité ne change pas et ne changera jamais. L’alliance qu’il a conclue lui-même avec nous, tout seul, sans que nous contresignions, est une « alliance de paix », de « sa paix ». Pas la paix entre lui et nous, mais sa paix à lui à notre bénéfice. Nous n’avons rien à construire de cette paix, contrairement à celles auxquelles nous ne croyons pas dans nos petites guerres mesquines qui font tant de dégâts et de morts. C’est Dieu lui-même qui construit la paix pour nous, et c’est son Fils, le vrai « prince de paix » (És. 9 / 5).

 

La question qui nous intéresse, c’est : où donc Dieu construit-il notre paix ? Il y a beaucoup de réponses qui sont fausses ou par trop approximatives. La construit-il « au paradis » pour après notre mort ? La construit-il « au ciel » quand nous, nous vivons sur la terre ? La construit-il pour demain, mais pour quel demain ? Nous qui sommes vivants sur terre aujourd’hui, ces réponses ne nous apportent rien ou pas grand-chose ! Dieu construit-il la paix sur la croix de Jésus ? Amen ! C’est vrai. Mais là encore, qu’est-ce que cela nous dit, qu’est-ce que cela nous fait ? C’est pourtant le discours que je vous tiens depuis le début. Alors ? C’est que la croix du Christ est notre actualité dans la foi. La foi, c’est de faire de la croix du Christ notre actualité. C’est d’accepter de vivre la confiance et la suivance de Jésus. Dit autrement, Dieu construit sa paix par et en Jésus, en nous, en chacun de nous qui lui fait confiance, et entre nous qui lui faisons confiance. Sa paix commence et s’accomplit dans nos vies individuelles et dans notre vie communautaire, dans notre vie d’Église, chrétiens les uns avec les autres.

 

La paix de Dieu en Christ, voilà donc notre actualité, le fruit des « grandes compassions » ou des « grandes miséricordes » de Dieu pour nous. Lorsque nous nous abandonnons à Christ, le Dieu « compatissant » peut alors activer son « alliance de paix » dans notre existence ; il peut nous réconcilier avec nous-mêmes, réparer les brèches, agrandir nos cœurs, bref : faire en nous tout ce que ni nous ni nos psys n’arrivons à faire malgré parfois beaucoup d’efforts. Car une fois que nous n’avons plus peur de Dieu dès lors que nous savons son amour et sa grâce, il nous reste ces peurs viscérales de nous et des autres, nourries de notre histoire et de notre inconscient, qui nous pourrissent la vie. Et c’est là que Dieu agit, c’est là que sa paix est nécessaire pour que notre foi soit active et joyeuse. C’est là que la mort de Christ se fait victoire pour nous et nous donne la joie. Puissions-nous alors cesser de penser que nous allons périr noyés dans le Déluge, et tenir bon la confiance que la mort de Jésus est notre vie à jamais. « L’Éternel [l’]a dit, qui a compassion de toi. » Amen.

 

Raon-l’Étape  –  David Mitrani  –  19 mars 2023

 

 

Contact