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Ésaïe 50 / 4-9
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texte : Ésaïe, 50 / 4-9 (trad. Louis Segond)
autres lectures : Épître aux Philippiens, 2 / 5-11 ; Évangile selon Jean, 12 / 12-19
chants : 441 et 443 (Arc-en-ciel)
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Toute l’Église fête aujourd’hui les Rameaux, l’entrée triomphale de Jésus à Jérusalem, dans laquelle il est acclamé comme le Roi d’Israël, le Messie prophétisé par les Écritures. Manifestation politique, insurrectionnelle, sans doute, mais qui en tant que telle tournera court bien vite. Les textes bibliques d’aujourd’hui dirigent nos regards dans une autre direction. C’est bien une entrée triomphale. Mais ce n’est pas une prise de pouvoir politique ou religieux. C’est une entrée triomphale dans la Passion, dans un témoignage rendu à Dieu dans et par les souffrances et la mort. Qui donc, parmi ceux qui alimentent ce cortège, se doute de ce qui attend Jésus ? Seront-ils de ceux qui, le vendredi, auront fui hors de Jérusalem, loin de la police du Temple et de l’armée romaine ? Ou bien seront-ils de ceux qui auront crié « crucifie-le ! » ? Comment le sauraient-ils déjà, et qui le racontera d’ailleurs ?
Car dans sa Passion Jésus sera seul, bien plus que le jour des Rameaux ! Lui sait vers quoi il marche. Les disciples le devinaient sans doute, comme ils l’en ont prévenu lorsqu’il leur avait annoncé qu’il se rendrait auprès des sœurs de Lazare qui venait de mourir (Jean 11 / 8. 16). Mais dans l’excitation de la résurrection de Lazare et de ce cortège triomphal, peut-être ne s’en souviennent-ils plus… ? Comme l’écrit l’évangéliste, ce cortège accomplit l’Écriture, même si ceux qui marchent ce jour-là n’en ont pas conscience… Mais au-delà du verset de Zacharie (9 / 9) cité par l’Évangile, ce cortège accomplit l’Écriture d’autre manière, qui ne sera compréhensible qu’après la crucifixion, puis la résurrection de Jésus. C’est, je vous le disais, que le cortège royal est surtout un cortège funèbre. Pour l’Évangile, dans la foi, il n’est de Messie que crucifié, il n’est de règne de Dieu que paradoxal, où victoire et défaite, puissance et faiblesse, vie et mort, échangent leurs places.
Mais c’est bien de règne qu’il s’agit : le cortège n’est pas mensonger, et la parole des Pharisiens le confirme : « le monde est allé après lui. » Ce roi paradoxal entraîne le monde à sa suite, vers la croix, vers la victoire. C’est ce que Paul confirme en retransmettant aux chrétiens de Philippes l’hymne célèbre que nous avons réentendu tout à l’heure. Mais ce matin, c’est surtout à partir du 3ème « chant du Serviteur » dans le prophète Ésaïe que nous pouvons l’entendre. Ésaïe savait-il qu’il parlait de Jésus, qui viendrait plusieurs siècles après lui ? Ses premiers lecteurs ont considéré qu’il parlait du peuple d’Israël… L’un n’empêche pas l’autre ! Mais celui qui a inspiré le prophète, à n’en pas douter le faisait écrire pour nous, à propos de Celui qui allait venir. Car c’est d’abord de lui que parle ce texte, de sa relation avec Dieu et avec nous.
Et il en parle à partir de deux organes : la langue et les oreilles. La langue, c’est sa mission : il est la Parole de Dieu adressée à « celui qui est abattu », il est le réconfort apporté par Dieu à qui en a besoin. Et il fait, lui, ce dont nous, nous sommes difficilement capables : redresser ainsi celui ou celle qui est à terre, non pas en le prenant par la main, de manière paternaliste nous mettant en avant, ni de manière idéologique l’amenant à nous d’une autre manière. Il le fait par cette langue reçue de Dieu, et qui amènera l’auditeur de cette parole vers celui qui en est l’auteur : Dieu lui-même. Sa parole ne fait pas écran, comme la nôtre, mais au contraire elle révèle comme par transparence l’amour du Père. Elle relève en élevant – en « ressuscitant ». La condition, c’est bien sûr d’avoir reçu cette parole, c’est-à-dire d’avoir écouté. Celui qui parle de la part de Dieu ne peut qu’avoir reçu ce qu’il dit de Dieu lui-même, avoir abdiqué tout jugement sur cette parole reçue : être un simple canal de transmission fidèle.
C’est là autrement exigeant que nos manières de faire à nous, qui depuis le jardin d’Éden prétendons discerner et connaître ce qui est bien et mal, à commencer par ce que Dieu dit. C’était d’ailleurs la parole du serpent : « Dieu a-t-il vraiment dit… ? » (Gen. 3 / 1) Parlant de Dieu ou de sa part, nous ne faisons souvent qu’énoncer nos théologies, nos avis sur Dieu, à grand renfort de qualificatifs ou de verbes. En réalité nous ne parlons ainsi que de nous-mêmes, et c’est pour ça que notre parole est inefficace, et aujourd’hui n’est plus écoutée, plus reçue, et ne relève plus personne ou presque. Je vous le disais : nous faisons écran au lieu d’être transparents, et c’est parce que nous-mêmes nous n’écoutons pas, nous n’avons pas ces oreilles de disciples dont parle Jésus dans le texte d’Ésaïe. Il en parle pour lui-même : lui écoute, lui est attentif, parce qu’il laisse Dieu le rendre attentif, « éveiller [son] oreille ». Le Serviteur est d’abord un « disciple de Dieu », le seul vrai disciple, et donc le seul juste, le seul conforme à la vocation que Dieu adresse aux humains depuis toujours.
Cela a évidemment des conséquences, et c’est bien ce que le texte d’Ésaïe développe, en mettant l’obéissance du Serviteur à l’articulation de deux choses qui nous semblent bien différentes. Je vous rappelle la phrase : « Le Seigneur, l’Éternel, m’a ouvert l’oreille, et je n’ai point résisté, je ne me suis point retiré en arrière, j’ai livré mon dos à ceux qui me frappaient… » L’ouverture à la parole de Dieu, laquelle peut ainsi, en quelque sorte, envahir le Serviteur, cette ouverture entraîne la persécution, ou plus exactement la résistance non-violente à cette persécution. « Je n’ai point résisté » est à la fois acceptation de la parole de Dieu, et acceptation de la souffrance. Comment alors Jésus aurait-il ignoré ce vers quoi il s’avançait en entrant à Jérusalem ? Comment aurait-il pu croire s’avancer vers le pouvoir et les honneurs ? Ça, c’était le rêve de quelques-uns, peut-être de beaucoup. Mais la réalité a résisté, et ça ne pouvait pas être autrement, comme l’annonçait Ésaïe. Ce serait d’ailleurs vrai pour n’importe qui serait entièrement ouvert à la parole de Dieu… Mais il n’y en a eu qu’un seul, et c’est Jésus.
Dans le cortège des Rameaux, Jésus ne dit rien. C’est aussi une annonce de son procès et de sa Passion. Il n’y défendra pas son titre, et s’il est condamné et exécuté comme « roi des Juifs » ce n’est pas sa revendication. Jésus ne revendique rien pour lui-même. Que ce soit sa parole ou son silence, Jésus revendique pour Dieu lui-même la seigneurie et la royauté : c’est Dieu, le roi d’Israël ! Là encore, se taisant, Jésus refuse de faire écran, de devenir idole au lieu d’être seulement « image de Dieu ». Et se taisant, il manifeste qu’il est lui-même la Parole que Dieu adresse au monde : pas ses mots, mais lui en personne, et qui plus est en personne rejetée, maltraitée, souffrante. Dans Ésaïe, il parle alors non plus de sa langue et de ses oreilles, mais de son « visage » : « Je n’ai pas dérobé mon visage aux ignominies et aux crachats. » Le Serviteur est une image fidèle du Seigneur, il est le visage du Seigneur pour ceux qui ne peuvent voir le Seigneur lui-même. Mais en ce Serviteur, le Seigneur ne se révèle que dans la souffrance et l’abandon, et non dans la pompe et les honneurs, la politique et la religion. C’était déjà ce que nous célébrions à Noël : la naissance de Jésus non pas au palais royal, ni auprès des spécialistes de la Bible, mais dans une mangeoire à bestiaux…
Et le texte du prophète parle alors de la confiance absolue du Serviteur à l’égard du Seigneur – et l’on comprend pourquoi le Nouveau Testament préférera parler de Père et de Fils plutôt que de Seigneur et de Serviteur : ces relations ne sont pas celles qu’impliquent ordinairement ces mots, pouvoir et service, voire dictature et servilité… Non. C’est d’une union parfaite basée sur une confiance absolue. C’est un peu ce que l’histoire de la « ligature d’Isaac » (Gen. 22) manifeste, la confiance absolue d’Abraham envers Dieu son ami, et celle d’Isaac envers son père : « le Seigneur, l’Éternel, m’a secouru ; c’est pourquoi je n’ai point été déshonoré, c’est pourquoi j’ai rendu mon visage semblable à un caillou, sachant que je ne serais point confondu. » Certitude que Dieu sauve (c’est le sens-même du nom de Jésus), qu’il interviendra, qu’il sera « celui qui me justifie », dit Jésus. La résistance non-violente, ou plutôt la non-résistance de Jésus, n’est pas alors de la passivité, mais un témoignage de la justice de Dieu et de la victoire de celui qui est fidèle, victoire totale scellée dans la disparition définitive des adversaires et de l’Adversaire avec une majuscule – c’est ce qu’annoncera l’Apocalypse de Jean (20 / 10. 14).
C’est dire que le monde lui-même sera changé, ce que le même dernier livre de la Bible annonce aussi. Comment un monde sans mort, sans ennemi, sans souffrance, ressemblerait-il au nôtre ? La souffrance du Serviteur annonce ainsi la transformation du monde à sa suite, car il en est le moyen, il est, dans sa personne, le lieu de cette transformation. La remarque désabusée des Pharisiens ne parle pas seulement du cortège des Rameaux, mais de ce vers quoi avance ce cortège : la transformation du monde non par la prise du pouvoir, mais par la mort de Jésus. C’est la Croix qui est victorieuse, elle seule, elle parfaitement et de manière pour nous incompréhensible. Le Nouveau Testament dira de Jésus qu’il fallait qu’il souffrît. Ésaïe l’annonçait, et tant d’autres textes de l’Écriture… La marche triomphale de Jésus sur un âne nous associe à sa victoire, humble mais totale, qui est pour nous, si, à son image à lui, nous laissons le Seigneur, l’Esprit, ouvrir nos oreilles et délier notre langue, afin que par la parole reçue nous puissions tenir ferme face aux moqueries, au dédain, aux insultes, aux tentations…
Dans la nuit de vendredi, un officier de gendarmerie est mort, parmi tant d’autres, suite aux coups reçus d’un terroriste islamiste. Il était chrétien, il a pris la place des otages de ce monstre : il a ainsi donné sa vie pour la leur. Il n’était pas le Christ, mais il est aujourd’hui avec lui au paradis. Il n’a fait que ce qu’il devait faire, certes. Il a rendu témoignage, ce qui, en grec, se dit « martyre ». C’est une nouvelle défaite pour la bête immonde avant sa disparition définitive. Ce n’est pas forcément à de tels actes de bravoure, de dévouement, que l’Esprit du Père et de Jésus nous appelle, nous ; mais il y a tant de combats dans la vie de tous les jours, à notre propre échelle… Nous aimerions vaincre avec les armes du monde, mais ce n’est pas possible, ou alors ce sont des victoires illusoires. Le Christ, le Serviteur souffrant, le Juste mort pour nos péchés, nous montre la seule route et nous prend sur cette route-ci dans son cortège triomphal, en marche vers la croix et vers la résurrection.
La mort n’a pas, et n’aura plus jamais, le dernier mot, quand même tous les barbares du monde se coaliseraient contre le peuple du Seigneur et contre toutes les braves gens. L’Adversaire est déjà vaincu et il le sait, c’est pourquoi il s’agite. Confiez donc, comme le Christ et comme ses témoins passés et présents, confiez vos oreilles et votre langue au Seigneur, et amenez-lui par la prière et la charité ceux qui ont autant que vous besoin de lui. Résistez au mal, résistez au diable, résistez à ses tentations, ne le laissez pas vous conformer à ses esclaves. Que ce soit l’amour du Christ qui transparaisse à travers vos vies, dans la certitude de sa victoire : vous n’avez, nous n’avons plus besoin de nous défendre, il l’a fait pour nous une fois pour toutes. À nous d’en profiter, d’en vivre, d’en rendre grâces, d’en témoigner, d’en faire profiter les autres. Amen.
Saint-Dié – David Mitrani – 25 mars 2018