Ésaïe 50 / 4-9 (2)

 

texte :  Ésaïe 50 / 4-9

premières lectures :  Évangile selon Jean 12 / 12-19 ; Psaume 69 / 2-4. 8-10. 14. 21b-22. 30-31.33

chants :  33-31 et 35-20

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Chers amis, je dois en premier lieu vous signaler plusieurs absences dans ce culte des Rameaux. Tout d’abord, je ne vous parlerai pas de la toute nouvelle bande annonce du prochain film Star Wars. Je ne vous parlerai pas non plus de l’extraordinaire photo du trou noir central de la galaxie M87, qui a été publiée mercredi. Et puis, vous l’aurez remarqué, il n’y a pas de branches de palmiers ni sur cette table ni entre vos mains. D’ailleurs, vous n’êtes pas non plus sortis dans la rue crier « Hosanna ! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur, le roi d’Israël ! » Il n’y a pas non plus d’animation par les enfants de l’école biblique ou du catéchisme. Vous avez vu l’effectif de notre école du dimanche au début de ce culte, et vous savez que nos catéchumènes sont encore moins nombreux… Par contre, l’évangéliste Jean nous livre la clef de notre présence ce matin dans ce temple : « Ses disciples ne comprirent pas cela tout d’abord ; mais quand Jésus fut glorifié, alors ils se souvinrent que ces choses étaient écrites de lui, et que, pour lui, ils les avaient faites. » Allons donc voir ce qui était « écrit de lui », des choses « qu’il avait faites » …

 

C’est donc bien sûr dans l’Ancien Testament que nous irons chercher cette « annonce » que nous avons l’habitude d’appeler « bonne », « Évangile ». C’est dans le dernier texte lu tout à l’heure, le prophète Ésaïe, qui croyait peut-être écrire à propos de lui-même. Mais qu’importe ce qu’il croyait : c’est l’Esprit du Dieu vivant qui inspirait son écriture… Dans cet extrait, il nous parle tout d’abord de « disciples », au pluriel. Alors je ne sais pas s’il parle de Jésus ou de nous. Mais peut-être qu’en l’occurrence c’est pareil ? Suivons l’évangéliste qui nous dit que l’Écriture parlait de Jésus, et que Jésus l’avait accomplie. La première chose à remarquer, et, oui, proprement remarquable, c’est que c’est Dieu le sujet, « le Seigneur l’Éternel », et que le verbe est au parfait : c’est fait ! Il « a donné le langage des disciples », ce langage qui vient de ce qu’on a écouté. Celui à qui s’applique ces premiers vers est donc quelqu’un qui ne parle pas de lui-même, mais qui a été « ouvert » – c’est le verbe employé – à ce que le Seigneur lui-même prononce.

 

Alors oui, c’est remarquable et admirable, encore plus que la première photo au monde d’un trou noir… Car nous, nous savons encore moins faire ça que prendre une telle photo ! La preuve ? La photo, nos savants ont su la prendre. Mais la parole du Seigneur : qui s’est mis à son écoute suffisamment pour ne plus parler et vivre et prononcer que cette parole-ci ? Les « disciples » sont les élèves du Maître, ceux qui se laissent enseigner par le Maître pour mettre en œuvre cet enseignement. Comme le dit le prophète, cette situation du disciple lui est nécessaire pour « savoir soutenir par la parole celui qui est fatigué ». Rien d’étonnant à ne pas y arriver, si l’on n’a pas d’abord écouté, reçu, si l’on ne s’est pas d’abord nourri, repu, de cette parole du Seigneur ! Une fois de plus, entre les deux sœurs, c’est Marie qui nous est donnée en exemple, et pas Marthe… (Luc 10 / 41-42) Mais point d’effort à faire pour se trouver capable d’écouter le Seigneur : c’est lui qui le fait, c’est lui qui l’a fait, c’est son œuvre à lui. Et Jésus, dans le prophète Ésaïe, confesse : « et moi, je ne me suis pas rebellé ; en arrière je ne me suis pas retiré. » Il s’est laissé remplir de la parole du Père, afin de devenir pleinement capable de ne plus parler que la parole du Père. Les tentations au désert étaient là pour l’en dissuader, la solitude de Gethsémané aussi, et plus encore la croix, la tentation suprême : « Il a sauvé les autres, il ne peut se sauver lui-même. Que le Christ, le roi d’Israël, descende maintenant de la croix, afin que nous voyions et que nous croyions ! » (Marc 15 / 31-32)

 

Mais Jésus n’a pas écouté la voix du tentateur. Il est resté fidèle à la parole du Père, il est resté un disciple de ce Seigneur, et, en nous regardant, nous et nos semblables, je dois bien dire : il est resté LE disciple par excellence, quand bien même il était aussi beaucoup plus que cela, il était le Fils. Mais un fils pourrait se croire, à cause de cette dignité, plus de droits que les autres : ça n’a pas été le cas ! C’est bien Jésus pleinement homme qui nous montre ce qu’est un disciple, ce que nous sommes appelés à être nous aussi à son image. Et lorsque, comme l’évangéliste Jean nous y invite implicitement, nous consultons les Écritures, ce ne peut pas être pour augmenter notre connaissance. Les Écritures ne nous parlent pas de Dieu, mais par elles c’est Dieu qui nous parle ! Si nous consultons les Écritures, c’est afin que notre intelligence rencontre et suscite notre obéissance, et par là-même notre liberté d’enfants de Dieu. Car le seul endroit dans notre texte où apparaît le mot « connaître », « savoir », c’est dans le programme d’action des disciples : « savoir soutenir par la parole celui qui est fatigué. »

 

C’est donc bien Jésus qui a « fait », qui a accompli cette parole ; c’est de lui que parlait Ésaïe, et c’est en ceci qu’Ésaïe était prophète, car un prophète annonce Jésus, il annonce que Jésus a satisfait à tout ce que Dieu demandait à l’être humain, et qu’en Jésus le salut est offert à tout être humain. En lui seulement. En lui pleinement. Alors, naturellement dans la suite du texte il est aussi question de Jésus. « En arrière je ne me suis pas retiré » s’applique à sa relation avec le Père, à son écoute de la Parole, mais cela s’applique aussi à ce qui suit, à sa relation aux humains, c’est-à-dire à sa Passion. Plusieurs textes du prophète Ésaïe l’évoquent clairement. Ici, cette Passion, cette souffrance subie et acceptée est justement mise en relation avec le fait d’avoir pleinement reçu la Parole divine. L’obéissance du Fils est allée jusqu’au bout, c’est forcément à dire jusqu’à la mort.

 

Mais il y a plusieurs façons de mourir. Et souvent, quand on prétend « mourir pour la cause », ça veut dire en premier tuer pour elle, ou à tout le moins peser sur autrui. Or l’obéissance du disciple ne peut pas être de cet ordre. La parole de Dieu suscite l’hostilité, certains ici le savent pour le subir jusque dans leur famille proche ou leur contexte de travail ou de vie sociale… C’est une parole d’amour, une parole qui fait se mettre au niveau des petits, épouser la faiblesse des faibles. C’est socialement contre-productif. Et souvent c’est ressenti comme une telle agression contre le mode de vie de ceux qui la perçoivent que ceux-ci se « rebellent » ou se « retirent en arrière », pour reprendre les verbes du texte biblique. Les conséquences du fait d’être disciple peuvent aller jusqu’au même bout de chemin que Jésus, même si ce n’est pas encore le cas en France : ça l’est dans le monde musulman ou hindou ou en Extrême-Orient… Mais évidemment, qu’on aboutisse à ça ou pas, ne considérer que cette possibilité, que cette opposition, c’est oublier le bonheur qu’il y a à vivre en communion avec le Père miséricordieux, à recevoir de lui une parole qui fait vivre ici comme au-delà.

 

C’est dans ce bonheur, dans cet amour qui unit les trois personnes de la Trinité, mais qui unit aussi le disciple humain et son Seigneur, que Jésus a vécu et persévéré. Et c’est avec cette force-là qu’il a accepté ce qui fut pour lui la conséquence de la parole entendue, reçue et proclamée en mots et en gestes. Toute souffrance subie par un chrétien ne ressortit pas forcément à une telle obéissance, à un tel amour : il ne faut pas référer tous nos problèmes à notre foi, ni nous poser comme des victimes, ce dont nous avons parfois la tentation. Mais pour Jésus, rempli de la seule parole de Dieu, ce fut le cas : lui, « qui avait aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’au bout », comme l’écrit l’évangéliste Jean juste avant d’évoquer le dernier repas de Jésus. (Jean 13 / 1) Et dans cet évangile, ce qui est rapporté de ce repas n’est pas l’institution de la cène, mais le lavement des pieds des disciples, comme vous le savez. « Aimer jusqu’au bout », c’est donc servir jusqu’au bout, quel que soit le bout… Je ne dis pas que vous et moi nous le ferons, je confesse que Jésus l’a fait, qu’il nous a « aimés jusqu’au bout » …

 

Et là, dans la prophétie, « le Seigneur l’Éternel » intervient une troisième fois, toujours au parfait : « le Seigneur l’Éternel m’a secouru ». C’est la certitude de la pérennité de la parole entendue, reçue et mise en œuvre, œuvre du Père, parole de Dieu, dès lors qu’elle remplit la vie du disciple. C’est la certitude de la pérennité de l’amour de Dieu pour « celui qui est fatigué », comme dit le texte. Ni cette parole ni cet amour – c’est la même chose – ne peuvent s’éteindre ; la mort n’a pas de prise sur eux, car c’est la Parole de Dieu, l’amour de Dieu. Si le tentateur essaye de nous en éloigner, s’il se sert de nos raisonnements, voire de nos peurs, pour ce faire, il sait ce qu’il fait, car nous serions des disciples tels qu’Ésaïe en parle, la mort n’aurait aucune prise sur nous. La mort n’a eu aucune prise sur Jésus. Il l’a traversée, il l’a niée. « Je n’ai pas été outragé », dit-il dans le prophète. Alors, mais alors seulement, la quatrième phrase est maintenant au futur : « le Seigneur l’Éternel viendra à mon secours », et elle évoque l’inefficacité et la disparition lamentable de ceux qui s’opposent à Jésus, qui le refusent, qui se refusent à lui. La victoire sur la mort est une victoire totale, et ses serviteurs, ses esclaves disparaîtront avec elle (Apoc. 20 / 14-15).

 

En attendant la réalisation de cette excellente nouvelle, et sachant que ce n’est en aucun cas à nous de le faire, nous pouvons par contre revenir à Jésus – je veux dire ne plus considérer ni nous-mêmes, ni nos souffrances, ni nos adversaires, mais ne regarder que lui, tout comme lui n’a écouté que la parole du Père. Ésaïe nous disait : « comme les disciples ». Ne sommes-nous pas, ne nous réclamons-nous pas d’être, justement, les disciples de ce Seigneur ? La Bible a été écrite au sujet de Jésus, toute la Bible. Elle l’a été pour nous faire entendre notre salut, qui ne dépend de nous en aucune façon, seulement de Jésus. Et elle l’a été pour nous apprendre à être disciples nous aussi, à accomplir dans le monde le service des petits, à y annoncer la miséricorde du Père envers ses enfants qu’il aime, qu’il a aimés en donnant sa vie en son Fils Jésus. Le savoir avec notre seule intelligence ne sert à rien. Le savoir de tout notre être, par contre, nous y implique totalement. Jésus a souffert et a vaincu la mort pour que nous soyons débarrassés de la dictature de la mort sur nos vies, et qu’ainsi libérés nous puissions être témoins de cette liberté en servant les autres.

 

Ceux qui ont acclamé Jésus avec des branches dans le cortège royal qui l’a conduit à sa Passion en avaient-ils conscience ? Savaient-ils le prix que notre liberté allait lui coûter ? Et savaient-ils quelle extraordinaire liberté cela nous gagnerait sans que nous y soyons pour quelque chose ? Et de cela, savons-nous témoigner auprès de nos enfants, de nos jeunes, de nos familles, de nos amis ? Au moins un peu, parfois… ? Mais pour ce faire, je le répète avec Ésaïe, il faut nous laisser remplir de la parole d’amour de Dieu pour nous et pour le monde. Il faut laisser cette parole agir dans nos vies, les transformer, petit à petit ou brutalement – qu’importe la manière que Dieu choisit pour chacun… ! Il faut, encore et toujours, écouter dans les Écritures Dieu nous parler, à nous tels que nous sommes, nous parler de Jésus, de cet immense amour que Dieu nous a porté et dont les fruits nous sont offerts à consommer tout comme le sont le pain et le vin de la cène. Lors du grand Jugement, alors que l’amour du Père nous sera redit définitivement, saurons-nous dire humblement avec Jésus : « Moi, je ne me suis pas rebellé ; en arrière je ne me suis pas retiré » ? Amen.

 

Saint-Dié  –  David Mitrani  –  14 avril 2019

 

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