Ésaïe 5 / 1-7

 

texte :  Ésaïe 5 / 1-7

autres lectures :  Épître aux Romains 5 / 1-5 ; Évangile selon Jean 3 / 14-21

chants :  33-12 et 43-04

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Une fois encore, on en prend plein la figure ! Sous l’écriture d’Ésaïe d’il y a quelques 25 siècles, Dieu dit à la fois son amour et son écœurement à son Église. Il lui dit aussi la ruine pour elle. Alors, bien sûr, les deux autres textes judicieusement choisis disent la grâce et l’espérance, la révocation du jugement qui nous condamnait, etc.  Pourtant, il faut aujourd’hui que je prêche le texte d’Ésaïe, et non pas comme à des Juifs d’autrefois, ni comme à des Juifs d’aujourd’hui, mais comme à l’Église chrétienne d’aujourd’hui, vous et moi ici en Déodatie. Ainsi, comme pasteur, j’entends douloureusement ces phrases : « Elle ne sera plus taillée, ni cultivée ; Les ronces et les épines y croîtront ; Et je donnerai mes ordres aux nuées, Afin qu’elles ne laissent plus tomber la pluie sur elle. » Ce n’est pas encore notre assemblée générale – elle se tiendra dans 15 jours – mais n’entendons-nous pas des échos de ces phrases dans ce que nous voyons être la réalité de notre Église, d’ailleurs tant localement que régionalement et nationalement ?

 

Il ne m’appartient pas de parler ici de notre Région ni de l’Église protestante unie de France. Nous sommes certes un petit noyau bien sympathique, et nous avons plaisir à nous retrouver, plaisir qui sera décuplé quand nous pourrons vraiment le faire en toutes circonstances et pas seulement lors du culte ou de rapides réunions de nos conseils. Mais nous pouvons aussi légitimement avoir un regard peiné sur notre nombre, sur l’état de notre catéchèse, sur la petitesse de notre diaconie, sur la quasi-inexistence de notre mission, sur la faiblesse de notre prière, etc. Comme si celui qui devait tailler et cultiver la vigne avait cessé son office et attendait de voir comment nous allons nous débrouiller sans lui, c’est-à-dire comment nous allons achever de tomber en ruine… Plus de pluie, plus d’Esprit saint qui suscite des vocations, des conversions, des engagements de vie… Bon, vous me direz qu’il ne faut pas déprimer, que tout n’est pas si noir, et que ce dont je déplore l’absence existe pourtant, même si ce n’est pas toujours visible ! Et il y a bel et bien des conversions, des vocations, des engagements parfois conséquents de certains d’entre vous. Je suis d’accord, bien sûr !

 

Ce que Jésus dit dans le passage d’évangile de ce matin est adressé à Nicodème, et se réfère au passage de l’Ancien Testament où les Hébreux sont punis de leur infidélité en étant piqués à mort par les « séraphins », les serpents brûlants du désert, et ne peuvent être sauvés qu’en regardant au serpent de bronze fabriqué par Moïse pour cet office (Nombres 21 / 9). Jésus crucifié est lui-même le serpent de bronze qui gracie celui ou celle qui le regarde avec foi : « Ô Jésus, ta croix domine… », avons-nous chanté au début de ce culte. Il ne s’agit pas d’un pouvoir, mais d’une guérison, d’un don de la vie. La question est alors : croyons-nous à la croix du Fils unique, ou bien nous éloignons-nous d’elle ?

 

Pourquoi suis-je passé si vite d’Ésaïe à Jean ? Parce qu’il est question de notre proximité d’avec Dieu, et cette proximité ne passe, ne peut passer, que par la croix de Jésus-Christ. Sommes-nous près, le texte d’Ésaïe est caduc pour nous ! Nous en éloignons-nous, le texte d’Ésaïe redevient actuel. L’Évangile n’est pas une mythologie, il parle de nous et de notre relation avec Dieu. Si la parole qu’est l’Évangile n’irrigue pas ou plus notre existence, alors la Loi s’approche à nouveau de nous dans toute sa rigueur, et seul celui qui la pratique tout entière peut prétendre en être libéré. Or je ne la pratique pas tout entière, bien loin de là, et à ma connaissance vous non plus… L’Évangile ne consiste pas à nous recommander de persévérer dans l’application de la Loi jusqu’à ce que nous y arrivions, mais de nous tourner vers Jésus, de regarder à lui et de ne plus compter que sur lui pour la vie ici-bas et pour la vie éternelle.

 

Sinon, retour à Ésaïe ! Et cette ressemblance entre la prophétie et l’actualité de ma vie et de mon Église trouve sans doute là son explication. Alors regardons mieux cette prophétie ! Car elle commence par une bonne nouvelle : c’est Dieu qui a construit son Église, c’est Dieu qui a fait pousser en nous et entre nous son Évangile. Et dès lors que nous vivons en Christ et non pas pour nous-mêmes, en nous-mêmes, entre nous, c’est cette proximité avec Christ qui rend à nouveau vrai le début du passage d’Ésaïe. Car tout retour à ce texte n’est pas démoralisant ! Oui, le prophète et l’Évangile s’accordent en ceci : notre bien-être, notre Vie avec une majuscule, est un don de Dieu et de sa Providence, une Création d’un Dieu qui n’abandonne pas ses créatures mais qui en prend soin, comme un paysan de sa vigne, comme un parent de ses enfants. Comment est-il alors possible que nous nous détournions de lui ?

 

La suite de la prophétie évoque des pratiques sociales égoïstes, injustes, un accaparement de la richesse au détriment des petits, etc. C’est à dessein que je n’ai pas poursuivi la lecture jusque-là : c’est un autre sujet, et je ne suis pas sûr que nous soyons ici concernés – bien que notre pays oui… Pour revenir au texte d’aujourd’hui et à nous, il nous faut donc nous examiner nous-mêmes, chacun d’entre nous, et puis notre Église : quand et comment nous éloignons-nous du Christ, quand et comment vivons-nous comme si Dieu n’était pas Dieu, comme si le Seigneur n’était pas notre Seigneur, comme si le suivre ne passait pas par l’amour du prochain et le don de soi… Quand, je le sais pour moi, et la réponse, c’est : souvent ! Et lorsque je me détourne de Dieu, tout se passe comme s’il m’avait abandonné. Telle est bien la situation du fils prodigue de la fameuse parabole (Luc 15 / 11-17), loin de son père et affamé ; le père ne l’a pas retenu, mais c’est le fils qui est parti. Le chant de la vigne est encore plus parlant : imaginerait-on une vigne qui s’entretiendrait elle-même ? La Bible n’est pas rousseauiste, et votre serviteur non plus… La vigne a besoin d’un viticulteur, l’être humain a besoin de son Créateur, l’Église a besoin de Jésus-Christ.

 

Parfois, nous confondons – et pas seulement nous – Jésus-Christ et le discours sur Jésus-Christ. Ce que je veux dire, c’est que ce qui nous est nécessaire n’est pas de savoir que Dieu existe et que Jésus a donné sa vie pour nous, c’est de recevoir aujourd’hui, chaque aujourd’hui, cette vie donnée, pour la vivre, nous, chacun et notre Église. Pour le dire autrement : que faisons-nous de ce que notre Dieu veut nous communiquer à travers le culte, dans la prédication et la cène, lorsque nous sortons du temple, dans notre vie quotidienne de chrétiens et d’Église ? L’Évangile n’est pas fait pour être su, mais pour être cru et mis en pratique, dans le corps et dans l’esprit, dans la vie conjugale et sociale, dans le métier et les engagements, dans la vie communautaire aussi. L’Évangile n’est ni la confiance en l’Homme ni le dévouement, il est la confiance que la mort et la résurrection de Jésus sont notre pardon et notre vie.

 

Et voilà qu’une fois de plus je vous parle de confiance. Dans l’Ancien Testament, le mot pour dire la piété et celui pour dire la fidélité – la piété du croyant et la fidélité de Dieu – sont un seul et même mot ; de même dans le Nouveau Testament pour dire la foi et la fidélité. Cette relation avec Dieu est essentielle. Il y a des vignes perverses, qui malgré les soins du viticulteur ne donnent que des fruits infects : c’est l’image qu’utilise Ésaïe… Il y a des moments, des circonstances, où malgré les soins de notre Créateur et Père, malgré la croix du Christ, nous agissons par nous-mêmes et ne produisons rien de vraiment bon – même s’il arrive que ce que nous produisons ainsi nous satisfasse, nous ! Et nous nous étonnons de passer du « pas vraiment bon » au « franchement mauvais » ? Ésaïe nous dit que c’est hélas normal. Tout comme Jésus dira que « personne ne vient au Père que par [lui] » (Jean 14 / 6), ou lorsqu’il parlera lui aussi de vigne : « Demeurez en moi, comme moi en vous. De même que le sarment ne peut de lui-même porter du fruit, s’il ne demeure sur le cep, de même vous non plus, si vous ne demeurez en moi. Moi, je suis le cep ; vous, les sarments. Celui qui demeure en moi, comme moi en lui, porte beaucoup de fruit, car sans moi, vous ne pouvez rien faire. » (Jean 15 / 4-5)

 

Voici donc, par-delà l’image d’Ésaïe, la question qui nous est renvoyée, à vous, à moi, à notre Église : le petit nombre de fruits, voire leur absence dans certains domaines, ne seraient-ils le résultat de ce que nous ne sommes pas si bien attachés que ça au pied de vigne, et que la sève a de la peine à arriver jusqu’à nous ? – Je préfère cette image à celle d’Ésaïe, c’est vrai, elle est plus soft tout en disant la même chose… Même si la réussite au sens humain, le succès, n’est pas forcément un critère évangélique, il faut bien constater que nous n’attirons vers le Christ ni beaucoup de jeunes ni beaucoup de plus vieux ! La question n’est pas la jeunesse ni la maturité ni la vieillesse, la question est de notre fidélité, et celle-ci se montre par la qualité de l’amour mutuel et le zèle dans le soutien des plus faibles. La réponse à la question n’est donc pas : « j’aime Jésus », mais « j’aime mes frères et mes sœurs, et ils passent avant moi dans mes préoccupations », ce qui n’est possible qu’à cause de Jésus, de sa vie donnée qui me rend libre à l’égard de moi-même…

 

Alors, Dieu nous a-t-il abandonnés ? Ou bien c’est le pasteur qui a des idées noires ? Ni l’un ni l’autre, mes amis ! Mais il nous faut progresser dans la confiance en Dieu, dans la relation personnelle avec Jésus, dans l’amour mutuel, dans le soutien de ceux qui en ont besoin. Il faut que nous puissions dire non pas seulement avec notre tête, mais de tout notre être personnel et de tout notre être communautaire qu’est Église, que « l’amour de Dieu est répandu dans nos cœurs par le Saint-Esprit qui nous a été donné », comme l’écrivait Paul. « Car Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse pas, mais qu’il ait la vie éternelle. Dieu, en effet, n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui. » Nous pouvons donc nous appuyer sur cette certitude que nous recevons dans l’amour de Dieu, afin de vivre comme des gens libres, des enfants de Dieu en Jésus-Christ, dans une Église qui témoigne de cette liberté qui est offerte à tout être humain qui adhère au Christ.

 

Notre Église, dit sa Constitution, est « ouverte à toute personne qu’elle appelle à croire en Jésus-Christ, à approfondir sa foi par la lecture de la Bible et l’écoute de la prédication, à recevoir le baptême s’il ne lui a pas déjà été donné et à participer à la Sainte Cène. » (art. 1er, § 2) Elle ne peut le faire que si elle-même pratique cette foi, et c’est vrai pour chacun de nous. Je ne juge pas ceux qui ne sont pas ici quelle qu’en soit la raison, mais je nous exhorte, nous qui sommes là ce matin, à entendre cette exigence de cohérence entre ce que nous prétendons être notre foi, et les fruits que celle-ci porte nécessairement dans nos vies et notre Église. Car il y en a, oui ! Mais nous sommes encouragés à progresser encore dans la confiance en Dieu et l’amour les uns des autres. Que le Seigneur de l’Église veuille donc prendre soin de nous et nous bousculer assez pour nous conformer au Christ qui est notre vie. Amen.

 

Saint-Dié  –  David Mitrani  –  28 février 2021

 

 

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