Ésaïe 40 / 26-31

 

texte :  Ésaïe 40 / 26-31

premières lectures :  Évangile selon Jean 20 / 19-29 ; première épître de Pierre 1 / 3-9

chants :  34-15 et 51-19

téléchargez le fichier PDF ici

 

« Levez les yeux en haut et regardez ! » Voilà le secret – si c’en est un… Arrêtons de nous complaire dans notre misère – si c’en est une… Arrêtons de regarder ce qui nous tire vers le bas, ce qui nous retient de bouger, ce qui entrave notre liberté. Arrêtons de pleurer au bord de la tombe de Jésus… Vous savez, si la primitive Église n’a gardé aucun souvenir du lieu précis de la tombe, ce n’est pas pour rien. S’il a fallu attendre que l’Église perde sa spontanéité et son autonomie pour qu’elle invente un lieu cultuel là-bas, ce n’est pas anodin. C’est qu’une tombe vide n’a aucun intérêt, sauf si l’on veut s’y arrêter pour se contempler soi-même ! Car Jésus n’est plus là. Il y a des gens, des sociétés, qui font fortune en faisant visiter les endroits où Jésus a mis les pieds il y a 2 000 ans – comme s’il était toujours mort. Voyages souvenir, cartes postales. Jésus est mort – snif ! – mais il est passé par ici, et, non, il ne repassera pas par là…

 

Il ne repassera pas par là parce que, chers amis, c’est par ici qu’il passe. « Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde », nous a-t-il dit en nous envoyant témoigner de cela (Matth. 28 / 20). Aucune porte ne l’arrête, aucune incrédulité. Pour le voir, il faut juste lever les yeux, arrêter de contempler nos chaussures, le sol sale où nous posons les pieds… Le prophète Ésaïe déjà exhortait les siens à lever les yeux pour contempler la gloire du Créateur dans sa création, dans l’immensité de l’univers, qui pourtant n’est pas grand-chose comparé à celui qui l’a créé. Nous qui le savons créateur, contemplons donc ainsi cet univers. Ne nous regardons pas nous-mêmes en regardant le monde – ce monde que depuis toujours nous abîmons au lieu de l’entretenir. Mais regardons celui qui en est l’auteur et le maître… Nous verrons alors que nous en faisons partie !

 

Et si nous en faisons partie, de cette création, alors il nous faut bien aussi reconnaître que ce Dieu si grand est aussi celui qui s’occupe de nous. Les Israélites de l’époque d’Ésaïe se plaignaient que Dieu ne s’occupait pas d’eux, alors-même que c’était eux qui ne s’occupaient pas de lui, qui se confiaient en d’autres puissances plus « concrètes », plus matérielles : la force, la jeunesse, la santé, la richesse, la généalogie – ces mêmes puissances qui nous charment et nous narguent tout en même temps, et auxquelles nous cédons, nous cédons toujours, comme si le Dieu Créateur n’existait pas, comme si lui ne s’occupait pas de nous… Or nous sommes à un moment où ces puissances défaillent, où elles nous montrent leur inanité. « Je lève les yeux vers les montagnes… D’où le secours me viendra–il ? » (Ps. 121 / 1) Nous nous tournons alors vers Dieu – que nous oublierons sans doute quand tout ira mieux, pour reprendre nos habitudes sans lui, regards tournés vers en-bas, vers nous-mêmes…

 

Mais ne boudons pas les côtés positifs des circonstances actuelles : oui, elles nous rapprochent de Dieu (de notre point de vue, puisque, du sien, nous n’avons jamais été loin de lui). Elles nous rapprochent de Dieu parce que nous n’avons plus rien à regarder devant nous, sinon les murs de nos maisons ou les clôtures de nos jardins, ou pour certains ce travail si nécessaire et urgent qu’il ne laisse pas la possibilité-même de lever les yeux. Il y a des gens qui n’ont pas cette idée ni cette espérance de trouver quelqu’un, qu’ils ne connaissent pas, vers qui lever le regard : à nous de le leur dire, de témoigner auprès d’eux de ce Quelqu’un, de leur parler de Jésus. Car « nul ne vient au Père que par [lui] » (Jean 14 / 6). Puisque nous sommes devenus incapables de voir Dieu dans sa création et jusqu’en nous-mêmes, alors c’est en Jésus qu’il s’est montré il y a 2 000 ans, et qu’il se montre encore aujour­d’hui, quoique pas à nos yeux.

 

À quoi alors le voyons-nous ? À ceci : « Il donne de la force à celui qui est fatigué et il augmente la vigueur de celui qui est à bout de ressources. […] Ceux qui espèrent en l’Éternel renouvellent [leur] force. Ils prennent leur vol comme les aigles ; ils courent et ne se lassent pas, ils marchent et ne se fatiguent pas. » Les plus forts, les plus jeunes, les plus vaillants de notre société risquent de ne pas tenir. Mais – Ésaïe nous le promet – nous, nous tiendrons, quand bien même nous serions fatigués et vides… Mais cela ne se peut que « dans la présence du Seigneur » (cf. 2 Cor. 4 / 14), lorsque nous nous tenons devant lui, lui qui est vivant, ressuscité, qui a triomphé du péché, du diable et de la mort. Nous y avons donc une grande responsabilité : non seulement pour nous-mêmes, mais aussi pour les autres.

 

Bien sûr, je vous l’ai dit, nos yeux ne voient pas le Ressuscité – et le verraient-ils, ils ne le reconnaîtraient peut-être pas, comme les gens qui repartaient vers Emmaüs le lendemain du shabbat qui avait suivi sa crucifixion (Luc 24 / 16). Et pourtant Jésus nous proclame « heureux », si nous lui faisons confiance. Et l’apôtre Pierre d’écrire : « Vous l’aimez sans l’avoir vu. Sans le voir encore, vous croyez en lui et vous tressaillez d’une allégresse indicible et glorieuse, en remportant pour prix de votre foi le salut de vos âmes. » Ainsi l’important n’est pas que nous le voyions, mais que nous sachions qu’il est là, vivant, et qu’à travers lui notre Dieu et Père prend soin de nous, au cœur-même des aléas de nos existences et de notre société. Cette confiance est génératrice de joie et de paix, quelles que soient les circonstances extérieures.

 

Et ce sont cette joie et cette paix, qui ne viennent pas de nous – nous en sommes incapables, sinon de joies et de paix factices, passagères, sans profondeur aucune – ce sont elles, produites par l’Esprit du Christ en nous, qui nous rendent forts et vaillants. L’apôtre Paul écrira : « [Le Seigneur] m’a dit : “Ma grâce te suffit, car ma puissance s’accomplit dans la faiblesse”. Je me glorifierai donc bien plus volontiers de mes faiblesses, afin que la puissance de Christ repose sur moi. C’est pourquoi je me plais dans les faiblesses, dans les outrages, dans les privations, dans les persécutions, dans les angoisses, pour Christ ; en effet quand je suis faible, c’est alors que je suis fort. » (2 Cor. 12 / 9-10) Dure leçon si Christ n’était pas ressuscité… Mais il est ressuscité !

 

La leçon n’est donc pas une exhortation, mais une constatation, et c’est bien pourquoi elle est réjouissante. Je constate que je suis faible, de par tout ce qui est en moi et autour de moi – et pas seulement le virus ! Mais je constate aussi la force que le Dieu de Jésus-Christ me donne, qu’il insuffle à mon être, corps et âme, si tel est son projet pour moi. En tout cas, quand bien même, comme Paul, je devrais rester blessé par quelque chose, la puissance de vie du Christ me rendra capable de cette joie et de cette paix nécessaires pour accomplir ma mission, ma vocation, quelle qu’elle soit. Dieu « ne se fatigue ni ne se lasse », écrivait Ésaïe. Avec sa force en nous, puissions-nous être à son image, et ne nous fatiguer ni ne nous lasser en rien de ce qui est notre vocation – le reste n’a pas d’importance. Détachons-nous donc de ce reste, pour nous attacher à ce qui importe aux yeux de Dieu : « levez les yeux en-haut et regardez ! » Amen.

 

(Raon-l’Étape) en confinement  –  David Mitrani  –  19 avril 2020

 

 

Contact