Ésaïe 38 / 9-20

 

texte :  Ésaïe 38 / 9-20

premières lectures :  Évangile selon Marc 2 / 1-12 ; épître de Jacques 5 / 13-16

chants :  45-20 et 47-21

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Comme l’annonce le premier verset de ce passage du prophète Ésaïe, nous avons un écrit du roi Ézéchias, tombé malade puis guéri, et ce, comme il le dit, par l’action de Dieu. Jérusalem avait été assiégée par les Assyriens qui avaient conquis le reste du pays ; Ézéchias, roi fidèle et pieux, avait prié Dieu de protéger sa ville, et l’armée de Sennachérib, puis le roi assyrien lui-même, avaient été anéantis. Puis le roi était tombé malade et devait en mourir, mais il avait prié Dieu de nouveau, et Dieu avait prolongé la vie d’Ézéchias. Tout ceci par le ministère du prophète. Que de miracles dans cette histoire, qui est aussi racontée dans le livre des Rois (2 Rois 19-20) ! Mais ce matin ce n’est pas la succession de miracles, y compris astronomiques, qui nous arrêtera. Seulement cet « écrit d’Ézéchias » qui ne se trouve que dans le livre du prophète.

 

La première partie de ce texte reflète l’angoisse, « l’amertume », de tout croyant dans la situation de savoir sa mort toute proche. Chacun de nous, en fait, se pense immortel, et mène sa vie comme si c’était le cas. Et sans doute les riches et les puissants y sont plus enclins, ayant a priori une vie meilleure que d’autres. C’était le cas d’Ézéchias. Quoique, lorsqu’on s’aperçoit que la vie vous quitte, on la regarde alors avec tendresse comme si elle avait été bonne, quelle qu’elle fût, et on y tient. Vous me direz que certains attendent la mort comme une délivrance. Certes. J’imagine qu’on est pour le moins mélangé dans son cœur, qu’on ne sait plus. D’ailleurs le début du texte semble assez calme, bien que triste : « Quand mes jours sont en repos, je dois m’en aller aux portes du séjour des morts, je suis privé du reste de mes années ! » Ézéchias nous raconte bel et bien cette tristesse de devoir partir alors qu’il y aurait encore tant de choses à faire, à vivre !

 

Mais c’est la compagnie qu’Ézéchias regrette le plus : celle de Dieu, et celle des humains. Celle de Dieu et des humains dans ce monde-ci, dans cette vie. Car pour Ézéchias, Dieu est visible par ses œuvres dans ce monde-ci, il accomplit des « merveilles » ici-bas, il n’est pas une espèce d’entité lointaine dont il faudrait juste connaître l’existence. Mais Dieu n’est pas non plus un chef de guerre humain, une toute-puissance humaine. Et c’est parce que Sennachérib, tout comme autrefois le Pharaon de l’époque de Moïse, se prenait lui-même pour Dieu et se croyait tout-puissant, que son armée a été détruite et lui-même assassiné par ses fils ! (És. 37 / 36-38) Ézéchias n’a pas cette tentation idolâtre, ni pour lui-même ni en pliant devant le roi assyrien. Il s’est confié en Dieu, un Dieu qu’il a vu agir, et il ne se console pas que, pour ça, ce soit maintenant la fin. Tout comme il ne se console pas de perdre la compagnie des humains : non seulement les siens, mais le fait-même d’être un humain parmi les autres. Car c’est dans les êtres humains que Dieu manifeste  sa présence, c’est en eux qu’il accomplit ses plus grands miracles.

 

Mais la plainte d’Ézéchias change alors et s’approfondit, pour rejoindre celle de Job. Car si Dieu est un Dieu proche et qui intervient dans la vie des humains – et pas seulement pour arrêter la marche du soleil, ce qui est finalement moins important – alors, se dit Ézéchias, pourquoi Dieu ne le protège-t-il pas dans sa maladie, ne le garde-t-il pas de la mort ? « Il m’arrache du métier », « il brisait tous mes os », écrit-il à propos de Dieu… Et si les incroyants n’ont pas ce genre de plainte – sauf à accuser un Dieu auquel ils disent ne pas croire, comme ça leur arrive – bien sûr un croyant ne peut que se tenir ce raisonnement, qui passe par-dessus tous les autres raisonnements, médicaux ou autres. Si Dieu agit dans la vie, alors c’est forcément aussi lui qui agit pour y mettre fin : il y a un seul Dieu, c’est forcément lui. Et le croyant de se poser alors, et de poser à Dieu, tous les « pourquoi ? » sans réponse, oui, comme Job tout au long du livre qui porte son nom.

 

Mais une telle plainte, si c’est vraiment celle d’un croyant et non de quelqu’un qui fantasme un dieu inexistant, une telle plainte ne peut que se terminer en appel au secours, elle ne peut que se terminer en demandant à Dieu, au vrai Dieu, d’agir comme il l’a toujours fait. Et Ézéchias de lui demander : « Sois mon garant. » Sois pour moi comme tu as toujours été, parce que sans toi je n’ai rien ni personne. Ézéchias est le même dans sa maladie que comme roi de Juda lors du siège de Jérusalem : il ne peut compter que sur Dieu. Lorsque la situation est désespérée à vues humaine, ou bien je compte sur Dieu, non pas dans ma tête, mais en lui demandant son aide, serait-ce par l’intermédiaire de quelqu’un d’autre tel Ésaïe, ou bien je suis réaliste et je perds ou je meurs… Comme le dira Jésus : « sans moi, vous ne pouvez rien faire » (Jean 15 / 5). C’est vrai face à la mort qui approche, c’est vrai face à l’économie qui broie les gens, c’est vrai face à l’idéologie qui détruit les familles, les individus et toutes les structures de la société, c’est vrai face à la guerre, c’est vrai face à la faim, etc.

 

Évidemment ceux qui sont tranquilles peuvent chercher et même trouver des solutions autres ! Il ne faut pas fermer les yeux sur les capacités de la raison humaine ni sur les capacités de résilience des gens et des populations. Mais rien ne garantit la pérennité desdites solutions, même si c’est Dieu qui est à l’origine de la raison humaine ! Et dans l’oppression telle qu’Ézéchias l’évoque, lorsque le mal est trop lourd, ce n’est pas vers moi et mes capacités que je vais me tourner, car justement je n’ai plus de capacités, je ne peux plus rien, je ne suis plus rien… Je n’arrive même plus à voir la réponse, l’action de Dieu, lorsque réponse il y a, lorsque Dieu agit effectivement pour moi. Tout le milieu du texte est très embrouillé quant à cela, comme je puis l’être moi-même en de telles circonstances : Ézéchias est manifestement partagé entre « l’amertume » de sa situation, qui est toujours là, et la certitude que Dieu peut le faire vivre. D’autres traductions que celle que je vous ai lue manifestent mieux cette ambiguïté, ce tourment de l’âme qui croit Dieu mais ne le voit pas. Mais, comme vous le savez bien, c’est hélas la condition ordinaire de la vie de foi. Heureusement il y a parfois des conditions extraordinaires, dans lesquelles on n’est pas obligé de se contenter de croire que Dieu est là, mais où on le voit, on le sait.

 

« Voici la paix ». C’est vraiment là le tournant du texte, et celui du message que transmet Ézéchias. Et dans ce sursaut, dans cette constatation de l’intervention de Dieu pour « le vivant », comme il dit, qui lui appartient, le péché et la mort sont évoqués ensemble comme vaincus par Dieu : le péché en étant oublié par Dieu, la mort en étant forcée de rendre sa proie. Car le péché et la mort ont partie liée, et la fidélité d’Ézéchias comme croyant n’y change rien : le péché, rupture fondamentale entre Dieu et l’être humain, n’est pas surmontable par les œuvres de l’être humain et le mène à la mort ; mais c’est l’œuvre de Dieu qui surmonte à la fois le péché et la mort. Car l’amour de Dieu est pérenne, lui qui s’est manifesté dans la mort du Fils unique et dans sa résurrection. La mort du Christ est le moyen par lequel notre péché ne fait plus obstacle à rien aux yeux de Dieu, et la résurrection du Christ le moyen par lequel notre propre résurrection est assurée et la mort vaincue, si nous nous attachons à lui.

 

Le livre d’Ésaïe, comme la plupart des livres de l’Ancien Testament, ne confesse pas la résurrection des morts, ne l’a pas encore aperçue, quand bien même il est celui de ces livres qui prophétise le plus clairement la venue, la mort et la victoire du Christ. Aussi Ézéchias, dans ces quelques lignes, voit-il la victoire de Dieu sur sa mort à lui comme le simple prolongement de son existence terrestre, et la louange des vivants comme un culte au Temple de Jérusalem qu’il vient de restaurer. Car pour lui – et pour moi à sa suite – deux choses sont sûres et certaines. La première, c’est qu’en dehors du salut de Dieu en Jésus-Christ, la mort est définitive, naturellement définitive : le « séjour des morts », le « shéol » en hébreu, l’ « hadès » en grec, n’est qu’une image pour dire que tout est fini ; nulle louange, nulle vie possible n’en émerge ni n’en émergera jamais. Sauf à en être ressuscitée, « suscitée de nouveau », en français, « relevée, réveillée » en grec… Par un acte souverain de Dieu. La seconde chose, c’est donc que Dieu est réellement souverain. Un psaume disait, face aux adversaires de Dieu, idolâtres et pourquoi pas athées : « notre Dieu est au ciel, il fait tout ce qu’il veut » (Ps. 115 / 3). Ézéchias précise que dans notre monde aussi, dans notre existence à nous, dans l’espace et le temps, Dieu faut aussi tout ce qu’il veut. Il n’est soumis à aucune contrainte, à aucune nécessité.

 

Et c’est bien pour ça que nous pouvons le célébrer. Non pas pour ses hauts faits d’autrefois, que nous remettons souvent en question par esprit rationaliste. Mais pour ses actes concrets d’aujourd’hui, dans la vie des gens qui le servent et même dans la vie des gens qui l’ignorent. Dans l’Évangile selon Jean, l’auteur emploie plutôt le terme de « signes » à propos des miracles, plutôt que celui d’ « actes de puissance ». C’est bien de cela qu’il s’agit. Dieu nous fait signe par ses interventions, souvent discrètes, parfois tonitruantes au point que même les athées et les journalistes s’en émeuvent. Quant à nous, regardons plutôt à son action à notre niveau, sans oublier qu’Ézéchias lui a demandé d’agir, et que l’action de Dieu a répondu à la prière du roi. Mais dans une détresse comparable, Jésus a dû attendre du Père sa réponse jusqu’au-delà de la mort. « Mon Père, s’il est possible, que cette coupe s’éloigne de moi ! Toutefois, non pas comme je veux, mais comme tu veux. » (Matth. 26 / 39) Quelqu’un prétendra-t-il que Jésus était moins aimé du Père qu’Ézéchias ? Ce serait bien bête de le penser ! La réponse est à Dieu, et non pas à nous. Mais à nous la prière, pour nous, pour les nôtres, pour l’Église et pour le monde.

 

Le fondement de notre intercession est cette certitude, parfois éprouvée, que Dieu répond, même s’il répond comme et quand il veut dans sa fidélité et sa tendresse. « La prière de la foi sauvera le malade », écrivait Jacques. « Sauvera », pas forcément « guérira ». D’ailleurs Ézéchias écrit en témoignage de ce qui s’est passé : « L’Éternel m’a sauvé ! » Mais Dieu peut aussi guérir des malades, que ce soit par le moyen des médecins et des soignants, ou par des moyens que la science ne comprend pas. Cette œuvre divine manifeste non pas que Dieu est capable de faire ça, comme nous autres qui avons sans cesse besoin de prouver à nos yeux et à ceux de notre entourage que nous sommes capables, ce qui est la source de bien des maux. Non. L’œuvre de Dieu manifeste le salut, l’effacement de notre péché, la disparition de cette coupure entre lui et nous qui nous menait à la mort dès cette existence-ci et à jamais. Dieu a renversé le péché, il a renversé cette logique en comblant le fossé par la croix de Jésus-Christ, et non pas seulement pour les 15 ans de sursis dont Ézéchias a bénéficié, mais dès maintenant et pour toujours.

 

Si vous lisez les textes autour de celui de ce matin, vous verrez qu’Ézéchias avait demandé un signe que c’était vrai – signe qui lui avait été donné. Nous n’en avons pas besoin, parce que le signe qui nous a été donné une fois pour toutes, c’est la résurrection de Jésus-Christ. Notre foi, notre confiance, est fondée là-dessus, et c’est à cause de la résurrection de Jésus que nous pouvons croire avec certitude que Dieu écoute nos prières et que sa volonté bonne pour nous peut prendre corps dès maintenant dans notre vie, dans notre corps, dans notre volonté. Et c’est avec cette confiance, et non comme des quémandeurs, que nous pouvons lui adresser nos prières dans le nom de Jésus. Car Dieu répondra ! Amen.

 

Saint-Dié  –  David Mitrani  –  10 octobre 2021

 

 

 

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