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Épître de Jacques 5 / 7-11
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texte : Épître de Jacques 5 / 7-11
premières lectures : Ésaïe 63 / 15 – 64 / 3 ; Évangile selon Luc 21 / 25-33
chants : 31-10 et 44-14
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« Ah ! si tu déchirais les cieux et si tu descendais… » Le cri du prophète n’est-il pas aussi le nôtre ? À moins que nous n’y croyions pas, que nous pensions que c’est à nous de faire le travail, et que personne jamais ne « descendra » ; ce n’est pas mon cas, autant le dire dès le début, et les textes liturgiques que j’ai choisis pour ce culte le montrent assez. Ainsi je ne me pense pas dans la situation d’un « croyant sans Dieu », comme Israël pensait l’être lorsqu’ils écoutaient ou lisaient Ésaïe. Je ne pense pas que les « merveilles de Dieu » sont à considérer au passé – « tu descendis ! » – mais bien au futur… ou au présent ? Une lecture fondamentaliste du passage de l’évangile de Luc que nous avons entendu ne laisse-t-elle pas entendre, au vu du monde bouleversé dans lequel nous vivons, au vu du bouleversement planétaire que le réchauffement climatique va occasionner, que si ce n’est pas tout-à-fait pour maintenant c’est en tout cas pour bientôt ?
Mais ce qui est frappant dans ce texte de Luc, c’est l’invitation à la confiance et à la joie. À cause de ce qui va arriver, du Jugement tout proche, dit Jésus, « redressez-vous et levez la tête, parce que votre délivrance approche. » C’est là-dessus que l’apôtre Jacques, « le frère du Seigneur » (Gal. 1 / 19), poursuit pour nous aujourd’hui. Et ce n’est pas pour nous calmer, mais plutôt pour nous réveiller, nous exciter, qu’il nous dit : « Prenez donc patience, frères, jusqu’à l’avènement du Seigneur. » À des gens en train de travailler, pas besoin de dire de patienter : ils ont autre chose à faire ! Mais il semble que, comme destinataires de ce texte, nous ne sommes pas considérés comme en train de travailler, mais plutôt comme étant en train de nous endormir – comme les dix vierges, vous savez… mais avons-nous de l’huile (Matth. 25 / 1-13) ?! Notre Église n’en est-elle pas à ce point-là (et peut-être d’autres Églises aussi) ? Ici nous ne sommes plus guère nombreux, nous sommes comme la neige qui se manifeste de moins en moins au pied des Vosges, nous apparaissons parfois, cela réjouit les gens – enfin, certains, bien qu’ils ne viennent pas skier dessus ! – et puis, pfut… plus rien jusqu’à l’année prochaine… Guère de prière, guère de participation aux études bibliques, pas grand monde au culte, pas d’évangélisation, etc. Enfin… ce n’est pas vraiment à vous que je devrais le dire, n’est-ce pas : vous, vous êtes là, vous êtes actifs !
Je ne voudrais pas non plus que vous pensiez, à l’inverse, devoir vous épuiser à la tâche, l’Évangile ne serait pas là-dedans ! L’apôtre Jacques ne prêche pas l’activisme, mais le travail – les « œuvres bonnes », celles dont Paul disait que « Dieu [les] a préparées d’avance afin que nous les pratiquions » (Éph. 2 / 10). Jacques prend comme exemple pour nous le paysan, « plein de patience ». De toute façon, le paysan ne peut pas aller plus vite que la terre, même si aujourd’hui il peut simuler la pluie. Il est bien obligé d’attendre. Mais son attente n’est pas vide : s’il ne travaille pas, il ne verra rien venir dans son champ, alors même que le champ du voisin portera « le précieux fruit de la terre ». Mais en fait, ce n’est pas lui qui produit, c’est la terre. Lui, il exerce sa patience en la soignant pour qu’elle donne ce qu’elle a à donner. De la même manière, le chrétien n’a pas à faire advenir ce qui ne dépend pas de lui, mais il a à exercer sa patience en soignant non pas Dieu bien sûr, mais la terre, lui aussi, en exerçant la vocation qu’il a reçue lors de la création : « L’Éternel Dieu prit l’homme et le plaça dans le jardin d’Éden pour le cultiver et pour le garder. » (Gen. 2 / 15)
Je dis bien : le chrétien, pas l’humanité en général. Vous et moi savons bien de quoi l’humanité en général, l’Homme avec une majuscule, est capable : depuis qu’il existe, rien de bon, injustice et guerre, violence et soumission. Mais cela ne signifie pas, naturellement, que tous les humains sont mauvais ! Il y a des gens qui luttent pour la justice et la paix, pour la fraternité et la dignité de tous les humains, même si ces combats sont toujours à recommencer, toujours à mener, jusqu’à la fin des temps. Chaque fois que l’Homme avec sa majuscule abandonne ou abîme le jardin, chaque fois qu’il se l’approprie sans s’en préoccuper, il y a des humains, des hommes et des femmes particuliers, pour tenter de réparer les dégâts, pour essayer de changer les comportements – à commencer par le leur. Il arrive même que certains se mettent ensemble pour ce faire. Qu’ils soient chrétiens ou pas. Le travail des chrétiens, comme de tous les autres, devrait être là, quel que soit notre âge, quelles que soient nos forces, quelles que soient aussi nos convictions. Mais la spécificité des chrétiens n’est pas là.
La spécificité des chrétiens, c’est l’attente, c’est de « prendre patience », car le Seigneur vient ! En fait, le contenu objectif de « l’avènement du Seigneur », quand et comment ça doit se passer, je n’en sais rien, je ne vous le dirai donc pas ! Ce n’est pas le sujet. La Bible n’en parle que par images et avec une folle espérance. C’est celle-ci qui motive la patience à laquelle Saint Jacques nous exhorte. Le sujet de notre texte, le sujet de cette méditation, c’est la patience. C’est-à-dire que c’est la perspective de la venue en gloire de Jésus qui donne sens à notre veille, à notre travail. Nous ne travaillons pas pour gagner notre vie : c’est la mort de Jésus sur la croix qui nous a gagné la vie, la vie présente et la vie éternelle, la vie présente en espérant la vie éternelle. Alors pourquoi travaillons-nous ? Pourquoi nous préoccupons-nous de la terre et de ceux qui l’habitent ? Pourquoi nous préoccupons-nous de ceux qui sont plus pauvres et plus faibles que nous, quelles que soient les raisons de leur pauvreté ou de leur faiblesse ? Parce que Jésus… Nous qui, par rapport à lui – le Fils de Dieu, que « Dieu […] a établi héritier de toutes choses, et par [qui] il a fait les mondes » (Hébr. 1 / 2) – nous qui ne sommes rien d’autre que des pécheurs, des pauvres, des gens faibles en tout y compris la foi, nous sommes ceux pour qui Jésus a donné sa vie et pour qui il est ressuscité.
C’est pour lui… Non, c’est par lui que nous travaillons pour les gens, quel que soit notre métier, et quel que soit notre ministère. Par rapport au métier, on peut être en formation, ou actif, ou retraité. Mais par rapport au témoignage chrétien qui est notre commun ministère, nous sommes à la fois en formation et actifs – en apprentissage, si vous voulez – mais jamais en retraite. Si la compétence professionnelle peut s’estomper ou devenir sans but, ce n’est jamais le cas de la patience du chrétien, de son témoignage, qu’il rend par son attente et son espérance, par sa patience. De quoi est donc faite cette patience ? C’est la première phrase de la seconde partie du texte qui nous le dit : « Ne vous plaignez pas les uns des autres, frères. » Avouez qu’il n’y a pas d’âge pour avoir l’occasion de mettre ceci en pratique ! Si nous n’attendons rien, ou si nous prétendons le précipiter comme font les sectaires et les extrémistes de tout bord, alors notre vie est tissée de nos plaintes contre les autres, qui s’en défendent en se plaignant de nous. Nous passons ainsi notre temps à nous plaindre les uns des autres. Nous les humains, je veux dire. Mais nous ici présents aussi !
C’est bien sûr une mauvaise habitude. C’est naturellement la faute des autres ! Ça nous rend la vie pénible, réciproquement pénible (même quand l’autre, c’est le gouvernement !). Et, il faut bien dire, quand je parlais tout à l’heure d’injustice et de guerre, de violence et de soumission, ce ne sont là rien d’autre que les conséquences de nous plaindre les uns des autres, lorsque nous allons au bout de cette manière de vivre ou plutôt de ne pas vivre ensemble, si nous en avons les moyens. « Le système » n’est jamais responsable, car « le système », c’est nous, il est tissé de notre péché et de nos plaintes les uns contre les autres. Si nous n’attendons rien, si nous n’espérons rien, si nous ne croyons rien, pourquoi en serait-il autrement ? « Mangeons et buvons, car demain nous mourrons ! » (1 Cor. 15 / 32) Le monde est détraqué, donc nous aussi, et puisque nous le sommes, le monde l’est à son tour, etc. Nous ne sommes pas patients, ni envers les autres ni envers nous-mêmes…
Voilà pourquoi il nous faut l’être ! Il faut exercer notre patience à ne plus nous plaindre les uns des autres. C’est ce qu’on apprend aux enfants, n’est-ce pas, mais ils l’oublient en vieillissant… La patience, c’est de ne pas l’oublier. Jésus, dans le Sermon sur la montagne, nous dit : « Mais moi, je vous dis de ne pas résister au méchant. Si quelqu’un te frappe sur la joue droite, tends-lui aussi l’autre. […] Aimez vos ennemis, bénissez ceux qui vous maudissent, faites du bien à ceux qui vous haïssent, et priez pour ceux qui vous maltraitent et qui vous persécutent. » (Matth. 5 / 39. 44) C’est la même chose. C’est la spécificité, le travail spécifique, le témoignage spécifique, des chrétiens. Ils font tout comme les autres, ni mieux ni moins bien, mais ils ne se plaignent pas des autres, ils ne se plaignent pas les uns des autres, parce que le Seigneur vient, et que c’est lui le Juge, pas nous.
Vous allez me dire qu’il y a du travail ! Certes… Et nous ne sommes pas forcément convaincus du bien-fondé de ce travail, qui va à contre-courant de notre nature humaine. Mais ne soyons pas dupes de nous-mêmes. Si nous ne sommes pas convaincus d’avoir à le faire, ce n’est pas à cause de la méchanceté des autres (qui est ce qu’elle est, et qui ne devrait pas nous surprendre ni nous atteindre), ce n’est pas non plus à cause de notre difficulté à changer de comportement. En fait, c’est parce que nous avons de la peine à croire en la venue du Seigneur. Et s’il ne vient pas, à quoi bon l’attendre, à quoi bon patienter ? La promesse de son avènement n’est pas un argument psychologique pour devenir meilleurs. C’est un argument théologique, et pas pour devenir meilleurs, mais pour faire ce que nous avons à faire, ce que Dieu nous demande afin que les gens puissent le reconnaître quand il viendra à eux.
Le but de Dieu, ce sont les gens. Le but de la venue en gloire du Christ vivant, ce sont les gens. Et donc, notre but à nous, le but de notre patience, le but de notre changement de comportement, le but de notre témoignage, ce sont les gens. C’est ce que l’apôtre Paul signifiant dans son verset célèbre : « Maintenant donc ces trois choses demeurent : la foi, l’espérance, l’amour ; mais la plus grande, c’est l’amour. » (1 Cor. 13 / 13) Les gens, nos amis et nos ennemis, ceux qui nous gouvernent et ceux qui nous servent, les membres de nos familles et ceux de notre paroisse, ceux qui nous font du bien et ceux qui nous font du mal, voici donc ceux qui nous sont donnés à aimer, ceux qui nous sont donnés pour exercer notre patience dans l’attente du Jugement et du Jour de Dieu, « jour grand et redoutable », disait le prophète (Joël 3 / 4). Mais pas redoutable pour nous qui l’attendons avec patience dans l’amour mutuel : « redressez-vous et levez la tête, parce que votre délivrance approche. » « Voici : nous disons bienheureux ceux qui ont tenu ferme. » Amen.
Senones – David Mitrani – 6 décembre 2020