Épître de Jacques 2 / 14-26

 

texte :  Épître de Jacques 2 / 14-26

premières lectures :  Exode 20 / 1-17 ; Évangile selon Marc 10 / 17-27

chants :  45-01 et 43-06

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La foi ou les œuvres ? Paul ou Jacques ? Si nous étions en étude biblique, je vous expliquerais les différents courants dans la primitive Église, le judéo-christianisme qui se réclame de Jacques et de la famille de Jésus (puisque Jacques est supposé être son frère), l’opposition à la mission paulinienne, etc. Mais pour vous qui êtes devant cette chaire, venus entendre une Bonne nouvelle et non pas un cours, l’histoire du christianisme primitif n’est donc pas le sujet de ce matin. Nous en resterons à ce que nous venons d’entendre, un extrait d’une lettre circulaire (on dit parfois : une « épître catholique », c’est-à-dire adressée à tous) écrite par Jacques. Nous avons d’abord réentendu les Dix commandements, puis l’expérience d’un homme pieux les ayant mis en pratique et que Jésus a rencontré. Et puis, nous autres protestants, « nous pensons que l’homme est justifié par la foi, sans les œuvres de la loi. » (Rom. 3 / 28) – C’est Paul qui écrivait ceci… Alors, la foi ou les œuvres ? Qu’écrit vraiment Jacques ?

 

Il est question, dans ce débat interne au christianisme, de réalités que les gens d’aujourd’hui ont préféré oublier, centrés qu’ils sont sur eux-mêmes, perplexes à l’égard de toute forme de religion ou d’idéologie autre que celle qui leur vient naturellement et que la plupart des media promeut à longueur de temps par tous les moyens disponibles. Vous le savez, on y entend parler de développement personnel, de prolonger la vie par une médecine de confort pour riches et par la conservation de gamètes jusqu’à faire porter un embryon par une grand-mère pour sa fille ou par une veuve bien après le décès de son mari, de laisser chacun faire comme il veut et que la loi entérine toute sorte de pratiques sans considération pour ce que ça détruit dans les représentations symboliques ni de ce que ça coûte à la société. Sachez déjà que ce n’est pas de cette sorte de loi qu’il est question dans la Bible !

 

Aujourd’hui, nous avons oublié le sens des mots bibliques de loi, de péché, de justice et de justification, de salut. Parce que tous ces mots parlent non pas de nos egos et de nos envies, mais de notre relation avec Dieu. Or notre société ne veut pas entendre parler de Dieu, et elle souligne sans cesse les formes caricaturales des religions pour suggérer que toute religion est néfaste, et que Dieu est de toute façon une idée obsolète et puérile. La Bible en français courant sortie il y a des dizaines d’années maintenant avait elle-même tenté de supprimer ces mots, de les remplacer. La Nouvelle français courant sortie, elle, la semaine dernière, les y a remis ! Les sociétés bibliques ont eu le temps de comprendre le danger… Car, oui, le débat dans lequel Jacques prend parti est un débat fondamental : qui suis-je devant Dieu, que puis-je y faire, en vue de quoi, etc. ? Et d’abord, qu’est-ce que croire en Dieu ?

 

Dans le grand n’importe-quoi actuel, de plus en plus de gens se sentent perdus, et tentent d’y opposer des réactions diverses. Parmi celles-ci, il en est une qui nous intéresse en fonction de notre question sur Dieu : c’est qu’ils pensent « qu’il y a sûrement quelque chose… » Pour beaucoup, croire en Dieu, c’est ça. Chacun se fabrique sa propre idée, sa propre religion, mais évidemment ça ne sert à rien, ce n’est que la projection des questions et des peurs de chacun, ce n’est pas une parole extérieure, une parole d’altérité, de vérité. C’est comme lorsque Jacques constate : « Tu crois qu’il y a un seul Dieu, tu fais bien ; les démons le croient aussi et ils tremblent. » Car il est vrai qu’il y a quelque chose… ! La religiosité islamo-judéo-chrétienne dit même que ce n’est pas quelque chose, mais quelqu’un, et qu’il est unique. Quant à moi, avec toute l’Église chrétienne, je confesse que c’est vrai. Mais à quoi donc cette confession de foi peut-elle bien servir ? Elle est naturellement impossible à prouver, tout comme son contraire. Si la foi consiste en cette croyance, sans en tirer aucune conséquence, sans être interpellée par ce qu’elle énonce, cette foi ne sert à rien, elle est vide. Si vous vous contentez de croire que Dieu existe, lorsque pour vous tout va mal, à quoi votre foi sert-elle, sinon à reprocher à Dieu de ne rien faire ? – ou alors on renonce carrément à cette croyance ! Croire que Dieu existe ne sert à rien…

 

… Mais c’est un bon début ! Car alors, comme les démons et bien mieux qu’eux, devant ce Dieu on tremble. Pourquoi ? Parce que, dès que l’existence de Dieu n’est plus seulement une idée purement intellectuelle ou philosophique, la question se pose de la relation avec lui. Qui suis-je, et que suis-je, devant Dieu ? Passé le constat que, devant sa grandeur et sa majesté, je ne suis rien – constat véridique mais peu utile là encore – je ne puis que constater le fossé qui nous sépare, lui et moi. Nous ne sommes pas « du même monde », c’est pourquoi je ne le comprends jamais, c’est donc aussi pourquoi je lui reproche cette distance – alors que les premières pages de la Bible me disent que c’est plutôt à moi qu’il faudrait la reprocher ! C’est précisément ça, le péché ! Je suis pécheur, toujours déjà, et pas seulement par ce que je fais ou par ce que je ne fais pas. Je suis pécheur parce que, depuis toujours, je suis coupé de Dieu et, du coup, rien de ce que je fais ou de ce que je ne fais pas ne vient combler cette distance. Lui et moi, nous ne nous comprenons pas. Nous ne sommes pas ajustés l’un à l’autre… Mais, bon, disons plutôt que c’est moi qui ne suis pas ajusté à Dieu !

 

Dire ceci, c’est confesser que je ne puis rien pour me rattraper : ni forte piété ni engagement même passionné n’y peuvent mais ! Devant ce péché qui est donc in-justice, qui peut me ré-ajuster à Dieu, me rendre juste, me justifier, sinon lui-même ? Qui peut me sauver de cette distance à lui qui est mortifère pour moi ? Lui-même. C’est lui qui, en Jésus-Christ, s’est rapproché de moi. La foi chrétienne, la confession de foi chrétienne, consiste en ceci : reconnaître qu’avec Jésus, et singulièrement avec sa mort et sa résurrection, c’est Dieu qui a franchi le fossé entre lui et moi. Dans ce sens tous les auteurs du Nouveau Testament sont d’accord, et pour le dire comme Paul : « C’est par la grâce en effet que vous êtes sauvés, par le moyen de la foi. Et cela ne vient pas de vous, c’est le don de Dieu. Ce n’est point par les œuvres, afin que personne ne se glorifie. » (Éph. 2 / 8-9). La foi est alors ce que l’approche de Dieu produit dans ma vie, c’est la réponse qu’il suscite en moi lorsqu’il vient à ma rencontre. C’est sa présence qui me sauve, pas ce que j’en comprends : la foi n’est pas une œuvre.

 

Bon, mais… et les commandements ? Le « jeune homme riche » a fait l’expérience que les mettre tous en pratique laissait insatisfait quant au salut. Encore faut-il en faire l’expérience ! L’anarchiste, l’antinomiste, est plein de lui-même, alors que le croyant aspire à Dieu. Mais les commandements ne disent que son absence, que l’incapacité qui est la nôtre à le trouver. Les œuvres de la loi, l’obéissance aux commandements, ne sauve ni ne justifie qui que ce soit. Sauf à être une autojustification, comme le fameux Pharisien : « Ô Dieu, je te rends grâces de ce que je ne suis pas comme le reste des hommes, qui sont ravisseurs, injustes, adultères, ou même comme ce publicain ; je jeûne deux fois la semaine, je donne la dîme de tous mes revenus. » (Luc 18 / 11-12) J’ai déjà dû vous citer ce verset souventes fois… Donnez donc la dîme si vous voulez, l’Église s’en portera mieux, mais cela ne vous rapprochera pas de Dieu. Nous ne sommes pas sauvés par les œuvres de la Loi.

 

Mais Jacques, en fait, ne parle pas de cela. Il parle des œuvres de la foi. Je viens juste de vous le dire : la foi est ce que l’approche de Dieu produit dans ma vie. Or, si cette approche ne produit rien, ou ne produit que la conscience du péché – comme les commandements que je ne pratique pas – alors pauvre de moi ! Cette survenue de Dieu en Jésus-Christ m’offre le pardon de Dieu, elle restaure ma vie, elle me libère de l’emprise du péché et de la mort. Ceux-ci n’en disparaissent pas pour autant, mais ils perdent de leur force : c’est l’Esprit de Dieu qui, lui, gagne en puissance, ou plutôt qui me fait, moi, gagner en puissance en me rendant libre. Il me fait entendre Jésus me disant : « viens et suis-moi ! » Ainsi, la foi n’est pas qu’une confession des lèvres ni même de l’intelligence ou du cœur. Mais cette foi que je confesse porte des fruits par le Saint-Esprit. Des fruits qui se voient, et non pas parce que je les mettrais en vitrine, mais parce qu’on ne peut les cacher. Tout comme, quand on aime, ça se voit, et pas seulement dans le regard, mais aussi dans les gestes. Ce sont eux qui attestent cet amour.

 

Du coup, bien sûr, « à quoi bon dire qu’on a la foi, si l’on n’a pas les œuvres ? » À quoi bon prétendre être croyant, être chrétien, si rien dans ma vie ne le manifeste : ni ma parole, ni ma manière d’être, ni mes gestes, ni mes engagements ? La foi chrétienne ne se vit pas seul, vous le savez bien. « Aimez-vous les uns les autres » suppose qu’il y a des autres ! La foi dans laquelle se vit le pardon libérateur de Dieu, le salut, les prémices de la vie éternelle, c’est une foi qui porte fruit, ou, pour le dire comme Jacques, une foi qui a des œuvres. Il faut que nous apprenions à faire confiance à Dieu notre Père, au Christ, à l’Esprit Saint. Il faut arrêter de nous calfeutrer dans nos bonheurs ou nos malheurs, dans nos amitiés et nos inimitiés, dans notre vie quotidienne qui ressemble beaucoup – beaucoup trop – à celle de tout le monde. Car le salut n’est pas une doctrine, c’est une vie nouvelle à vivre dès maintenant, c’est une porte ouverte, ouverte à cause du Christ, par laquelle nous sommes invités à passer, libres d’entrer et de sortir.

 

C’est cette liberté qui peut se voir. Ce n’est pas la liberté de vivre pour soi, mais la liberté de pouvoir vivre pour et avec les autres, puisque désormais on appartient à Dieu, et que rien ne peut nous retirer ce salut. Notre ajustement à la vie divine ne peut pas ne pas se manifester, et donc ne peut pas ne pas se voir. Comment le reconnaît-on ? Sans doute par la confession explicite de notre foi, c’est-à-dire le témoignage de notre vie spirituelle, notre prière, notre louange. Mais aussi par ce dont cette confession parle : les commandements de Dieu prennent vie dans notre vie, sans que nous en soyons capables, sans que nous cherchions par eux le salut que nous avons en Christ, mais par l’action efficace de l’Esprit de Dieu en nous. Lorsque Jacques écrivait que nous sommes sauvés par les œuvres de la foi, c’est donc bien dire que nous sommes sauvés par Dieu lui-même, ce Dieu qui agit en nous et qui accomplit en nous sa loi. Car sa loi, c’est le Christ, et, comme Paul l’écrivait, dans la foi « ce n’est plus moi qui vis, c’est Christ qui vit en moi. » (Gal. 2 / 20)

 

Chers amis, laissons donc le Christ qui s’est offert pour nous, qui nous a été offert, laissons-le vivre et grandir en nous, laissons-le accomplir en nous et par nous les œuvres dont nous ne sommes pas capables et qu’il a préparées pour nous, l’amour (des petits et des ennemis) dont nous ne sommes pas capables sans lui. Laissons-le nous ajuster à lui, nous transformer et nous ouvrir à la vraie vie. Amen.

 

Raon-l’Étape  –  David Mitrani  –  20 octobre 2019

 

 

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