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Épître aux Romains 8 / 18-25
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texte :
J’estime qu’il n’y a pas de commune mesure entre les souffrances du temps présent et la gloire à venir qui sera révélée pour nous. Aussi la création attend-elle avec un ardent désir la révélation des fils de Dieu. Car la création a été soumise à la vanité – non de son gré, mais à cause de celui qui l’y a soumise – avec une espérance : cette même création sera libérée de la servitude de la corruption, pour avoir part à la liberté glorieuse des enfants de Dieu. Or, nous savons que, jusqu’à ce jour, la création tout entière soupire et souffre les douleurs de l’enfantement. Bien plus : nous aussi, qui avons les prémices de l’Esprit, nous aussi nous soupirons en nous-mêmes, en attendant l’adoption, la rédemption de notre corps. Car c’est en espérance que nous avons été sauvés. Or, l’espérance qu’on voit n’est plus espérance : ce qu’on voit, peut-on l’espérer encore ? Mais si nous espérons ce que nous ne voyons pas, nous l’attendons avec persévérance.
premières lectures : Michée 4 / 1-5 ; Évangile selon Luc 17 / 20-30
chants : 33-04 et 44-14
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prédication :
Deux visions bien opposées dans les deux premières lectures de ce dimanche. La première, celle de Michée – qu’on trouve aussi dans Ésaïe (2 / 2-5) – est une vision idyllique, une vision de paix, mais non de cette paix qui provient du sort des armes, comme celle dont notre pays a célébré hier le 105e anniversaire, et dont on connaît les effets ravageurs, puisque les conditions de cette paix ont entraîné directement la guerre suivante, puis la guerre froide, et jusqu’aujourd’hui… La seconde vision est celle que Jésus donne à ses disciples après avoir répondu aux Pharisiens, et c’est une vision de catastrophe, de désastre. On peut aussi opposer ces deux visions sur d’autres critères. La vision des prophètes implique la conversion des nations. La vision de Jésus implique la disparition des païens. Mais est-ce différent ? Et la vision de Michée révèle une évidence, tandis que celle de l’évangile annonce au contraire une venue du règne de Dieu qui est tout sauf évidente, et qui se paie par la souffrance et le rejet de Jésus, le « Fils de l’homme ». Sa seigneurie ne s’impose donc pas à tous – ce que nous avons bien sous les yeux, malheureusement, et le jugement des humains passe par la croix du Fils.
Qu’en est-il alors du troisième texte, celui de Paul qui nous est donné à méditer ce matin ? C’est la vision d’une espérance réaliste ! Paul prend en compte la réalité qui est celle d’un monde douloureux dans lequel les chrétiens souffrent… j’allais dire : comme les autres ! Car, oui, le monde est douloureux. Et si nous, Français, l’avions oublié après les « Trente glorieuses » et la fin des conflits armés qui nous concernaient directement en 1962, la réalité de ce qu’est le monde depuis toujours est en train de nous exploser à la figure, bien qu’encore de manière légère – mais désormais il n’est plus complètement idiot de craindre le pire. Et ce n’est plus seulement la crainte née d’une diplomatie impuissante dans des relations internationales « difficiles », mais aussi celle qui nous vient de l’intérieur, puisque désormais nous avons sous les yeux l’état des relations de voisinage et celui du niveau de plus en plus bas de culture et de civilisation de notre propre peuple. Mais ce n’est pas nouveau, simplement cela redevient visible… La nature humaine ne change pas, elle est restée telle depuis qu’il y a de l’humain sur terre. Seuls les moyens et les contextes changent, les convictions proclamées et les valeurs promues ou abandonnées…
Mais l’apôtre Paul est loin d’être négatif, alors même que nous ne pouvons pas penser que son monde était meilleur que le nôtre ! Dès le début de l’extrait de ce superbe chapitre 8 de l’épître aux Romains dans lequel tout est dit, Paul évoque « la gloire à venir qui sera révélée pour nous. » Pour vous et moi, donc ! D’où la qualification que je vous proposais pour ce passage : une espérance réaliste. Car la foi chrétienne, la certitude que la croix de Jésus manifeste sa victoire, implique cette sorte d’espérance qui ne se voile pas la face, mais qui regarde à travers et par-dessus la réalité du monde et de la nature humaine. Notre Dieu n’est ni Baal ni Jupiter ni Wotan, c’est Jésus-Christ, qui est mort pour nous. Il n’est pas puissant à la manière du monde, à gagner des guerres et à écraser les pécheurs. C’est sa mort qui est sa véritable puissance, par laquelle « le monde est vaincu » (cf. Jean 16 / 23)… ce qui fait bien rire le monde en question, certes, un monde incapable de comprendre cette puissance-là. Mais « la folie de Dieu est plus sage que les humains, et la faiblesse de Dieu est plus forte que les humains. » (1 Cor. 1 / 25)
Nous faisons confiance à cet Évangile, et nous vivons de ce qui aux yeux des autres est folie et impuissance, mais qui est, « pour ceux qui sont appelés, tant Juifs que Grecs, Christ, puissance de Dieu et sagesse de Dieu. » (1 Cor. 1 / 24) Or, ce que Paul nous écrit ici, ce n’est pas une espérance égoïste, sectaire, du type : « nous, nous savons que nous serons sauvés, et le monde peut bien mourir… » Même l’Apocalypse de Jean ne raisonne pas ainsi ! Non : Paul souligne que « la création » attend que ce salut se manifeste, et que ça ne passera pas par d’autres que nous. Car le gardiennage de toute la création (nous y compris, bien sûr) a été confié à l’humanité. Et si celle-ci s’en est très mal sortie, ce ne fut pas pour Dieu une raison suffisante pour nous décharger de notre vocation. Au contraire : en Jésus-Christ, avec lui dans sa mort et dans sa victoire, cette vocation nous est renouvelée, et le monde attend de voir « la révélation des fils de Dieu ».
Jésus avait essayé de dire aux Pharisiens que le règne de Dieu qu’ils attendaient était à l’œuvre « au-milieu », ou « au-dedans » ou « parmi » eux, désignant ainsi non seulement sa présence à lui parmi eux, mais aussi leur propre vie intérieure, leur identité de croyants. Avons-nous cette conscience que le règne de Dieu s’accomplit en nous, qu’il vient en nous quand Jésus vient en nous, quand son Esprit nous met en communion avec lui, quand sa grâce en nous suscite la foi et nous transforme à son image ? C’est alors que le « Royaume de Dieu » devient visible au cœur de « la création », qui n’attend que ça alors-même que nous avons le sentiment inverse. C’est que notre confiance n’est pas au niveau de ce qu’elle pourrait : nous sommes défaitistes ! Nous le sommes pour nous-mêmes, chacun de nous arguant de sa propre faiblesse – ce qui est un argument bien faible aux yeux de Dieu, qui a donné tout ce dont chacun de nous avait besoin. Et nous sommes également défaitistes pour notre Église : combien parmi vous ne le sont-ils pas ? Croyez-vous donc que Dieu abandonne son peuple, que ce soit en Déodatie ou ailleurs ?
Il agit comme il veut avec les moyens qu’il juge bons. Mais le texte de Paul nous concerne plus directement, en ce qu’il nous affirme que Dieu agit à travers nous, notre foi, notre Église, pour « attirer tous [les humains] à [lui] » (Jean 12 / 32). Nous ne sommes pas des sauveurs, certes, mais des messagers ; et le message, c’est notre vie chrétienne, notre confiance : notre foi, notre espérance et notre amour, en Christ ; notre liberté chrétienne, qui nous fait « objecteurs de conscience » dès lors que le diable ou ses suppôts prétendent nous embrigader, mais qui nous fait serviteurs de tous quand tous en ont besoin. C’est à travers cette liberté que la gloire qui nous est donnée et promise en Christ se manifeste, c’est en étant libres de tout et serviteurs de tous que nous nous révélons à tous en tant qu’enfants de Dieu. Or Paul nous dit que tous en ont besoin, humains et bêtes, nature et culture.
Notre libre service ne consiste donc pas à adopter ou suivre tous les discours, les idéologies, les pratiques, les valeurs, que les media, les réseaux sociaux ou l’air du temps nous dictent, non plus que les combats dont on nous dit qu’ils sont nécessaires sous peine de mort. Car le sauveur de la création, c’est son créateur, et pas nos propres œuvres, seraient-elles inspirées ! Et ce créateur, le nôtre et celui du monde, a choisi nos faiblesses à nous, dès lors qu’elles se retrouvent associées à celle du Christ. Jésus ne l’avait-il pas dit à Paul : « Ma grâce te suffit, car ma puissance s’accomplit dans la faiblesse » (2 Cor. 12 / 9) ? Paul ajoutait alors : « C’est pourquoi je me plais dans les faiblesses, dans les outrages, dans les privations, dans les persécutions, dans les angoisses, pour Christ ; en effet quand je suis faible, c’est alors que je suis fort. » (ibid. v. 10) Bon, c’est le langage de Paul… Mais ça dit aussi que Dieu se sert de ce que nous sommes, chrétiens et Églises, pour que sa puissance fasse son œuvre sans que nous cherchions d’autres moyens, pour que témoignage soit rendu à l’Évangile « afin que le monde croie » (Jean 17 / 21).
Mais il dit aussi que tout ceci, pour la création comme pour nous, est de l’ordre de l’espérance et non de la réalité visible. Ce qui rejoint tout à fait ce que Jésus déclarait aux Pharisiens, et aussi le « il arrivera, à la fin des temps », qui ouvre la prophétie de Michée. Or l’espérance chrétienne n’est pas une espérance passive. Attendre les bras croisés, c’est ne rien attendre, ou bien se prétendre au-dessus de la réalité de l’existence humaine. Or nous participons pleinement de l’existence humaine – qui en douterait ? Et pourtant, nous, nous attendons en sachant la rédemption et la transformation du monde comme certaines. Oui, nous sommes faibles, et ce monde est malheureux et donc souvent malfaisant. Nous sommes faibles, mais c’est de cette faiblesse que Dieu se sert. Y aurait-il un signe pour les autres si nous faisions partie d’une Église nombreuse, riche, installée ? Ce serait normal, comme ce le fut parfois dans le passé. Ça ne dirait rien. Aujourd’hui nous sommes membres d’une Église minuscule, qui a peu de moyens – encore qu’elle en ait bien quelques uns – et qui ne représente plus rien socialement ; et pourtant, elle a plaisir à rencontrer les gens, à les accueillir, à montrer un peu sa foi et les quelques œuvres que sa foi produit… Et cela se voit quand même, souvent.
Nous ne sommes pas comptables du salut du monde, malgré les discours, parfois tenus par des chrétiens, qui tentent de nous le faire croire. Ce salut est en Jésus-Christ, et il n’est ni passé ni présent ni futur : il est. N’est-ce pas le nom que Dieu a révélé à Moïse qui le lui demandait : « Je suis » (Ex. 3 / 14) ? C’est un nom en attente, comme nous-mêmes sommes en attente. Celui qui porte ce nom a été victime du monde, et il est Seigneur du monde. Et nous, nous qui ne sommes que par lui, nous qui sommes d’une manière ou d’une autre victimes du monde, du monde extérieur ou de notre monde intérieur, par lui nous en sommes vainqueurs dans notre espérance-même. Alors nous pouvons y aller. Où ça ? Dans la liberté chrétienne ! Dans le monde mais pour rendre témoignage à celui qui nous a libérés. Ne voulons-nous pas le meilleur pour ceux que nous aimons ? Alors voulons le meilleur pour le monde où Dieu nous a placés ! Puisque, aimés de Dieu, nous sommes libres d’aimer le monde, les gens, quels qu’ils soient, sans rien justifier (non plus que pour nous-mêmes) mais dans l’espérance du renouvellement de toutes choses.
Cela ne fera sans doute pas disparaître les guerres, l’injustice, l’oppression, la maladie, ni aucun danger : ne rêvons pas ! Mais les petits signes accomplis par les petites gens peuvent bien témoigner de grands signes accomplis par le Seigneur de gloire ! Quelles que soient les forces présentes ou futures de notre Église, utilisons-les, mais ne comptons pas sur elles, comptons sur « celui qui est, qui était et qui vient », comme le nomme l’Apocalypse (1 / 4) : c’est lui qui a dans sa main la « pauvrette Église » qui n’est forte que de sa puissance à lui et qui fait avec ce qu’elle est, puisque son Seigneur fait avec ce qu’elle est. Que cette certitude vous console, vous guide, vous pousse en avant, même si le monde s’abîme autour de vous et même si les moyens vous manquent, personnellement et communautairement. Car vous êtes libres dans un monde asservi, et votre liberté promet la sienne à ce même monde. Vous n’avez rien à perdre, si vous exercez cette liberté. Vous êtes « enfants de Dieu ». Confiez-vous en Dieu, et marchez ! Amen.
Saint-Dié – David Mitrani – 12 novembre 2023