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Épître aux Romains 12 / 17-21
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texte : Épître aux Romains 12 / 17-21
premières lectures : Genèse 50 / 15-21 ; Évangile selon Luc 6 / 36-42
chants : 46-02 et 36-29
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« Sois vainqueur du mal par le bien. » Je ne suis pas sûr d’en être capable… En fait, je suis même à peu près sûr du contraire ! Mais la question est-elle vraiment celle de mes capacités en la matière ? C’est qu’il ne s’agit pas de morale ! Rappelez-vous le début du chapitre : c’est une question de « culte raisonnable » qui consiste à se mettre à la disposition de Dieu (le texte dit : « offrez vos corps en sacrifice vivant, saint… ») ; « soyez transformés par le renouvellement de l’intelligence », comme l’écrivait Paul (Rom. 12 / 1-2). Mais sans l’aide de Dieu, comment y arriverais-je ? Comment pourrais-je « aimer mes ennemis » (Matth. 5 / 44) ?
L’Ancien Testament était sage, dans lequel Moïse disait : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » (Lév. 19 / 18) Sage, mais déjà un peu fou. Pourquoi sage ? Parce qu’aimer mon lointain, ça ne veut rien dire, et il n’y a donc pas de foi là-dedans. Je peux toujours prétendre que j’aime les gens qui sont au bout du monde, que je ne connais personnellement d’aucune manière. Certes ça ne mange pas de pain, mais ça ne sert à rien. Oui, j’aime les Noirs américains, et d’ailleurs « Black lives matter » ! Et qu’est-ce que ça change ? Ne comptez pas sur moi pour déboulonner les statues de notre histoire nationale ni même coloniale, ni pour me mêler à des cortèges manipulés. L’important n’est pas que j’aime les Noirs américains, mais que les Américains de toute couleur se respectent mutuellement, et en particulier qu’on y respecte les Américains noirs, dont la dignité est plus souvent bafouée. Sans être Américain, je peux prier pour ça, bien sûr. Pour ceux qui sont maltraités par les autorités policières ou judiciaires je puis écrire : ça s’appelle l’ACAT ou Amnesty International. Mais sinon, aimer son lointain relève de l’idéologie, et cache souvent des préoccupations plus locales, plus nationales, qui ne disent pas leur nom.
Ainsi la Bible ne me demande pas d’aimer mon lointain, mais mon prochain, celui qui m’est proche, mon voisin, mon frère. C’est-à-dire celui avec qui je vis, membre du même peuple, de la même communauté que moi, qui partage les mêmes convictions, et notamment les mêmes convictions chrétiennes. C’est plus sage, parce que mon prochain est accessible. Mais c’est déjà beaucoup plus fou : je peux toujours prétendre aimer celui ou ceux qui ne sont pas là pour dire le contraire ; mais mon prochain, mon frère ou ma sœur, peut témoigner contre moi que je suis menteur si je prétends à tort que je l’aime ! C’est bien pourquoi Jésus nous a dit : « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. » (Jean 13 / 34) « Les uns les autres » nous renvoie bien à nos relations entre nous, chrétiens, « afin que le monde croie » (Jean 17 / 21). Et la condition de possibilité d’un tel amour, c’est l’amour dont Jésus nous a aimés. Ce ne sont pas nos capacités qui sont en jeu, je vous le disais, mais les siennes ! Ce que sa mort victorieuse a réalisé une fois pour toutes, le Saint-Esprit l’actualise en nous, dans nos vies et dans nos relations.
Nos deux premiers textes parlent de ceci, très concrètement. Dans le premier, il s’agit de la relation entre Joseph et ses frères. Ceux-ci continuent pourtant de mentir, mais qu’importe. La raison principale que Joseph retient à leur bénéfice n’est pas leur bonne foi, absente, ni leur repentir, qui est feint, mais cette autre raison indépendante d’eux comme de lui : « suis-je à la place de Dieu ? » Le second texte, qui mêle plusieurs paroles de Jésus sans doute indépendantes, insiste sur ce que la vie commune demande nécessairement, sous peine de ne plus être possible – étant entendu que les chrétiens n’ont pas le choix de cette vie commune ou non : elle s’impose à eux ! On voit bien alors qu’ici, comme d’ailleurs partout dans la Bible, l’amour n’est pas de l’ordre du sentiment, mais de la pratique concrète, dans la non prise en compte des fautes de l’autre, dans la miséricorde, dans la compassion et la consolation, dans l’entraide et dans l’humilité.
C’est bien à partir de là qu’il faut apprécier ce qui est dit dans le texte proposé pour ce jour, le troisième texte. Les deux premiers montrent l’exercice concret de l’amour entre frères et sœurs du même peuple, de la même et unique Église. Mais le texte de l’apôtre Paul évoque une autre question, celle des persécutions, qui ne viennent pas forcément de frères dans la foi, mais aussi d’autres gens. La réponse concrète sera la même, bien que Paul ne parle pas ici d’amour. Il demande simplement (!) : « Ne rendez à personne le mal pour le mal. » On est donc assez loin du talion (Ex. 21 / 14 et //) qui reste la règle de toute justice depuis Moïse (comme depuis le code de Hammourabi dans la culture proche-orientale). Mais justement, on est ici au-delà de la justice. Et à cela Paul nous donne trois bonnes raisons, liées respectivement aux autres, à Dieu et à nous-mêmes.
La première raison est à la fois celle du témoignage et de la paix sociale. Si les chrétiens se conduisent comme tout le monde, cherchant à se venger, à défendre leur bon droit de toutes les manières possibles quand ils le croient bafoué, alors la cour de récréation ne sera pas plus calme que s’il n’y avait pas de chrétiens ! Les chrétiens, nous dit Paul, doivent se conformer à la morale commune de leur société, ne pas faire eux-mêmes ce qu’ils pourraient légitimement reprocher à d’autres. Calvin précisait que c’était « moyennant que l’empire de Dieu demeure en son entier ». Mais l’apôtre Paul ne pose aucune limite, même si, évidemment, ce conformisme moral ne peut pas aller jusqu’à adorer des idoles, d’autres textes de la même épître le disent clairement. La pratique des chrétiens ne doit pas être de se comporter comme des moutons, où qu’on veuille mener le troupeau ; mais elle consiste à faire le bien, le bien tel que tout un chacun peut le reconnaître. Je ne sais pas si cela rend témoignage à Jésus-Christ. Mais ne pas le faire serait un vrai contre-témoignage, et les gens jugeraient facilement la valeur de notre foi, voire de notre Dieu, à l’aune de notre propre pratique mauvaise ou vindicative. Ils ne s’en privent d’ailleurs pas.
Un bon exemple de mise en pratique de l’exhortation de Paul est la manière dont le protestantisme a réagi concrètement à l’interdiction des cultes pour raisons sanitaires. Il n’était pas évident de l’accepter, je dois dire, sauf à considérer que la foi n’a pas d’importance, qu’elle n’est qu’une conviction intellectuelle et une pratique privée. Mais notre Église ne pense pas ainsi, ça ce sont les Francs-maçons qui le croient… Et pourtant nous avons accepté, par souci d’être « en paix avec tous les hommes », puisque, en l’occurrence, cela dépendait de nous. Notre souci de notre propre santé a aussi joué, bien sûr. Mais imaginez que, par miracle, nous ayons été protégés du virus : il nous aurait pourtant fallu obtempérer de la même manière. Or le téléphone, l’internet et la vidéo ne remplacent pas la présence physique, le contact physique. Et vous savez bien la douleur que cela a pu causer à certains à l’occasion d’obsèques en effectif par trop réduit…
Mais voilà : « autant que cela dépend de [nous] », nous avons le devoir de nous efforcer à la paix sociale, de ne pas considérer que nous pourrions avoir droit à de quelconques avantages de par ce que nous sommes ou ce que nous croyons. Ou alors il faut réclamer les mêmes avantages pour tous ! Ainsi le protestantisme est-il aujourd’hui attaché à la liberté religieuse, qui lui profite à lui comme elle profite à d’autres. Et si nous nous opposons à ces autres, dont la religion ou les pratiques peuvent nous sembler infondées voire nuisibles, c’est bien sûr par un combat spirituel, c’est-à-dire par la prière et, là où c’est possible, par des discussions amicales, que nous tâcherons de les amener nous point à nous, mais à Christ. Nous ne pouvons pas être des « djihadistes » chrétiens, ce serait non seulement un contre-témoignage, mais un contre-sens absolu : notre Seigneur s’est laissé crucifié, nous ne sommes pas plus que lui !
La seconde raison est liée à Dieu, c’est celle de Joseph, ce sont les citations de Moïse (Deut. 32 / 35) et de Salomon (Prov. 25 / 21-22) que fait Paul dans notre texte. C’est à Dieu de venger le pauvre et l’opprimé, et si je pense en faire partie, alors je m’en remets à lui, mais je ne me prends pas pour lui. Nous ne sommes pas « à la place de Dieu », ni pour la vie ni pour la mort, ni pour nous-mêmes ni pour les autres. Ne perpétuons pas le péché d’Adam, nous qui prétendons en avoir été délivrés ! Restons à notre place, c’est celle d’enfants de Dieu, c’est une place enviable, bien meilleure que la place de ceux qui font le mal et qui sont ainsi voués à la mort.
La troisième raison est profondément liée à cette place-là : Dieu ne veut pas que ses enfants soient « vaincus par le mal, mais vainqueurs du mal par le bien. » Or le mal dont il est question n’est pas tant celui qu’on peut me faire – « je ne crains rien, que me ferait un être humain ? » (Ps. 118 / 6) – que le mal qui me ronge de l’intérieur, moi : le désir de vengeance, le refus de pardonner, d’accueillir le coupable ou celui que je tiens pour tel, la haine pour celui qui me fait du mal, voilà le mal qui m’atteint vraiment. Voilà ce qui porte atteinte à « la glorieuse liberté des enfants de Dieu » (Rom. 8 / 21) que nous sommes, portés par l’Esprit saint, liberté qui est mienne. Voilà qui nous remet à terre, et bien souvent nous ne savons plus nous en relever, nous sombrons. Paul nous propose donc l’inverse : que, par le bien que nous pouvons faire, l’amour que nous pouvons témoigner à notre adversaire, le mal qu’il pensait nous avoir fait retombe sur lui. Ce serait une sorte de justice immanente, causée non par Dieu mais par la simple psychologie humaine !
Bon, mais cela, c’est une consolation à courte vue, bien sûr. Le but du bien, c’est le bien. Le but de l’amour, c’est l’amour. Mais simplement il ne faut pas se faire d’illusions. Celui qui « tend l’autre joue » (Matth. 5 / 39) ne s’expose généralement pas à des embrassades – encore que ça puisse arriver, surtout entre chrétiens où ça devrait être la règle – mais il s’expose à se laisser détruire, comme Jésus. Et si jamais arrivent les embrassades, alors tant mieux, et merci à Dieu ! Et si elles n’arrivent pas, au moins je serai quitte de me détruire moi-même par le mal que l’autre aura semé en moi. Je reviens à ma constatation du début : en suis-je capable ? non ! En tout cas pas souvent… C’est donc bien l’aide de Dieu qu’il faut lui demander, son aide non pour l’autre, mais pour moi : qu’il m’aide, moi, à faire sa volonté que je sais bonne pour moi. Et cette volonté est que je fasse le bien, que je pardonne, que je bénisse, que j’aime, malgré l’autre, pour lui. Une fois de plus, la seule conclusion est de laisser Dieu agir en moi, me rendre conforme à ce qu’il veut de ses enfants et pour eux. Amen.
Senones – David Mitrani – 5 juillet 2020