Épître aux Romains 12 / 1-8 (1)

 

texte : Épître aux Romains, 12 / 1-8  (trad. personnelle)

premières lectures : Ésaïe, 42 / 1-9 ; Évangile selon Matthieu, 3 / 13-17

chants : 415 et 506 (Arc-en-ciel)

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« Il est convenable que nous accomplissions toute justice. » Sans doute cette phrase était-elle destinée par Jésus à ce Jean qui l’a baptisé avec réticence dans le Jourdain. Les nombreux sens de cette phrase pourraient donner lieu à beaucoup de prédications. Je me limiterai à vous rappeler que la justice, dans la Bible, est ce qui accomplit la volonté de Dieu ; c’est ce qui nous rend juste devant lui, qui nous restaure dans notre statut filial, lorsque cette justice est accomplie. Par-delà le baptême de Jésus, c’est donc de lui tout entier qu’il est question dans cette phrase. Il a pris notre place dans ce processus que nous étions incapables de mener jusqu‘au bout. Comme le dit un de nos cantiques : « Sa mort fut notre baptême, notre mort au péché. » (Arc-en-ciel 465) Son baptême accomplit également la prophétie d’Ésaïe que nous avons entendue juste avant, la voix venue des cieux en témoigne en citant cette prophétie.

 

Bien sûr, nous sommes concernés dans toute notre existence par cette justice accomplie par et en Jésus. Mais le sommes-nous aussi par la phrase que je citais il y a un instant ? Et si oui, comment donc « convient-il que nous accomplissions toute justice », puisque celle-ci a été accomplie par Jésus ? Ne sommes-nous pas ainsi libérés de la Loi de Dieu, nous qui « sommes incapables par nous-mêmes d’aucun bien », comme le disait notre ancienne confession des péchés ? Bien sûr, et c’est ce que je vous prêche tous les dimanches. Mais comme l’écrivait l’apôtre Paul, nous sommes « un seul corps en Christ », ce qui certes signifie notre unité et notre communion, mais aussi que nous faisons corps avec lui. C’est même cela qui vient en premier : nous faisons corps ensemble parce que chacun de nous fait corps avec Jésus ! Sinon ce ne serait qu’une sorte de magie religieuse, où notre union créerait du divin ou l’obligerait : ce serait le contraire de l’Évangile. Non : nous sommes ensemble le corps du Christ de par lui, de par la grâce qui nous est faite en lui, en Jésus, ce Jésus qui a accepté le jour de son baptême cette vocation qu’il portait en lui depuis avant que le monde fût.

 

Étant donc son corps, cette justice qu’il a accomplie est aussi la nôtre, elle vit en nous, elle opère en nous « toutes choses nouvelles » (Apoc. 21 / 5). Le corps du Christ vivant « accomplit toute justice » : « nous accomplissons toute justice », lorsque nous sommes nourris de sa Parole et de son Pain. En quoi cette justice consiste-t-elle ? Je vous ai dit que nous avions été libérés de la Loi de Dieu, je ne reviens pas là-dessus : ce n’est donc pas vers elle qu’il faut regarder pour le savoir. Regarderons-nous à nos propres œuvres, issus de notre bonne volonté, de notre envie de bien faire ? Excusez-moi de le souligner, mais ce serait alors une bien triste justice, une bien pâle imitation de l’amour débordant de Jésus pour chacun de nous ! Non, c’est à Jésus qu’il faut regarder pour pouvoir l’imiter un tant soit peu, et pas à l’idée que nous avons de ce qu’est le bien. C’est Jésus le critère. Sinon, à quoi sert-il de se prétendre chrétien ? S’il n’est question que de morale, pas besoin d’être chrétien pour ça – encore que ça puisse aider…

 

Regardons à Jésus. Regardons-le lorsqu’il « accomplit toute justice ». Que fait-il ? Il prend notre place, je vous le disais : il prend la place des pécheurs, ce que lui n’est pas. Lui, le Sauveur, le Fils éternel de Dieu, l’être humain conforme en tout à la volonté de Dieu, lui le Juste par excellence… On comprend bien ce que Jean dit alors : c’est lui-même, le prédicateur de la justice de Dieu, qui se découvre pécheur et aurait besoin d’en être lavé, mais pas Jésus ! Or la manière dont Jésus prend cette place dit bien l’humilité qui le caractérise, et qui pour lui est incontournable. Il n’est pas envisageable qu’il nous sauve par puissance ni magie, mais au contraire en se plaçant au plus bas niveau auquel il puisse nous trouver, nous rencontrer, nous hisser vers le Père avec lui, nous ressusciter. Ce n’est pas dans notre bonté, dans notre « justice », que Jésus nous rencontre, mais dans notre péché, dans notre malheur, dans notre mort. Il est descendu jusqu’à nous, ça ne veut pas dire qu’il est venu sur terre, tel un extra-terrestre ; mais qu’il est descendu jusqu’aux enfers que nous traversons les uns et les autres, et où tout à la fois nous brûlons et nous nous noyons.

 

Ésaïe le disait en son temps à sa manière, parlant de Jésus : « il ne criera pas, il n’élèvera pas la voix, il ne brisera pas le roseau broyé et il n’éteindra pas la mèche qui faiblit. » Ça, c’est la manière. Le but est énoncé un peu plus loin : « pour ouvrir les yeux des aveugles, pour faire sortir de prison le captif et de leur cachot les habitants des ténèbres ». C’est de vous et de moi et de beaucoup d’autres qu’il s’agit. L’Esprit promis par Dieu dans cette prophétie, l’Esprit qui est descendu sur Jésus le jour de son baptême, c’est celui qui est descendu sur nous aussi le jour de notre baptême, que nous l’ayons senti ou pas, que nous l’ayons compris ou pas. C’est lui qui fera en nous ce qu’il a fait pour Jésus et par lui. C’est lui qui nous conformera à Jésus non plus aux yeux du Père – ça, c’est fait depuis la croix de Jésus ! – mais à nos propres yeux et aux yeux des autres. Ce à quoi Paul nous exhorte, c’est donc coller à ce projet, à cette action de l’Esprit en nous. Aussi s’agit-il bien de nos « corps », et non de nos âmes ou de je ne sais quoi d’autre : l’Esprit requiert nos existences concrètes, tout comme c’est un Jésus concret qui a pris nos péchés et qui en a porté le poids sur la croix pour les détruire.

 

« Présentez vos corps, sacrifice vivant, saint, agréable à Dieu, votre culte raisonnable. » On croit parfois que le culte chrétien, c’est de venir au culte. Non. Ce que nous appelons le culte, c’est pour entendre l’exhortation et recevoir ensemble la nourriture qui nous donnera la force de ce qui est le vrai culte, le « culte raisonnable », ou « logique » ou « selon la parole » – on peut traduire de ces trois façons… Ce vrai culte est donc le fruit de la parole en nous, et il ne se vit pas au temple, mais dehors. Ça, c’est la suite du chapitre 12 de cette lettre de Paul. Mais avant, et comme pour s’y entraîner, le culte peut commencer à se vivre, disons, au Foyer ! Je veux dire, dans la vie communautaire de l’Église, dans cet espace qui n’est pas le temple, mais pas non plus la rue. Dans nos relations les uns avec les autres, ce qui est autre chose que d’être assis sur les mêmes bancs, mais qui est aussi autre chose que de fréquenter ceux qui ne sont pas chrétiens, dans le monde, dehors.

 

Or, même entre nous, nous avons tendance à seulement vouloir être gentils. C’est bien. Sauf que, des fois, c’est difficile. Ne me dites pas le contraire. Comme dans le monde, nous avons parfois de la peine à nous supporter, ou, disons, à en supporter certains… Heureusement, ce ne sont pas les mêmes pour tout le monde, sinon gare à l’exclusion des boucs émissaires ! Mais nous n’en avons plus besoin : c’est par Jésus que nous sommes unis, et c’est lui qui s’est fait sortir, par tout le monde, et nous en aurions fait partie si nous avions vécu à cette époque, il n’y a aucun doute – rappelez-vous de Pierre qui se vantait en disant « pas moi » (Matt. 26 / 35) juste avant de renier Jésus (26 / 74)… Alors, puisque notre gentillesse a ses limites qui sont celles de notre confort, c’est là qu’il faut abandonner cette manière « mondaine » de faire : il faut cesser de « nous conformer à cette époque », comme écrivait Paul, cesser de faire comme tout le monde, pour apprendre déjà entre nous à faire comme Jésus.

 

Comme Jésus selon Ésaïe, comme Jésus à son baptême et à sa croix, puisque lui a vécu selon « la volonté de Dieu bonne, agréable et parfaite ». C’est donc dans l’humilité. Paul écrira ailleurs « la soumission mutuelle » (Éph. 5 / 21), terme que notre époque ne supporte pas. Comment ! Se soumettre, nous qui sommes voués à la liberté ? Mais si nous refusons, serait-ce alors que nous considérons que c’est aux autres de se soumettre ?… Mauvaise idée, n’est-ce pas, pour qui prétend ressembler à Jésus ! Alors, regardons à lui, et apprenons de lui à faire comme lui, non pas en étant tous pareils, non pas en ne faisant rien non plus, mais en faisant ce que Dieu nous a donné à faire les uns pour les autres. Et nous le faisons, bien sûr, nous ne méprisons pas les dons de Dieu, quand nous avons su les discerner. La question, c’est notre manière de les gérer. Paul donne des exemples, qui ne visent personne en particulier, puisqu’il ne connaissait pas l’Église de Rome à laquelle il écrit, ni d’ailleurs celle de Saint-Dié, qu’à ma connaissance il n’a sûrement pas visitée, même il y a 2.000 ans… !

 

Je ne suis pas parvenu, même dans ma traduction à peu près littérale, à rendre les jeux de mots de l’apôtre Paul. Mais sans doute savez-vous que le mot « charisme » vient du grec « *charis », la grâce. C’est donc doublement que Paul nous rappelle que ce que nous faisons dans l’Église, au service de l’Église, « pour l’utilité commune » comme il l’écrira ailleurs (1 Cor. 12 / 7), c’est parce que Dieu nous a donné par sa grâce les places que nous avons, les rôles que nous remplissons, les services que nous rendons. Cela ne veut pas dire que c’est à vie ! Mais cela signifie en tout cas clairement que ça ne vient pas de nous, et que donc nous n’avons aucune raison de nous en glorifier, non plus qu’aucune raison de nous en fatiguer ou d’en fatiguer les autres. Si Dieu nous a donné quelque chose à faire, et les moyens de le faire, c’est donc que le corps en a besoin. S’il ne nous l’a pas donné, c’est donc que nous n’en avons pas besoin – encore faut-il bien le « discerner », comme Paul l’écrit. Mais comme Paul n’est plus là, c’est le Conseil presbytéral qui a ce rôle de discernement et d’articulation des différents ministères, projets, moyens, etc. N’oubliez donc pas de prier pour lui – soit dit en passant.

 

Ce qui est frappant dans les énoncés de Paul, ce sont les répétitions évidemment volontaires, par exemple : « soit le service, dans le service ». Il aurait pu dire ce que ma traduction habituelle prétend traduire : « si c’est le diaconat, que ce soit dans un esprit de service ». Mais non, pas de circonvolutions qui éviterait la question du pouvoir : « si tu sers, tu sers », « si tu interprètes la Bible, c’est la Bible que tu interprètes », etc. Alors, même si votre charisme particulier ne se trouve pas dans la liste, la « logique » de votre « culte » en est la même : l’important dans votre charisme, ce n’est pas « votre », c’est « charisme » ! Peu importe que Mitrani prêche : l’important est que l’Évangile soit prêché, et ça, c’est le cadeau de Dieu dont nous avons besoin vous et moi. Idem pour l’entraide et pour tous les domaines de la vie communautaire : « Vous de même, quand vous avez fait tout ce qui vous a été ordonné, dites : “nous sommes des serviteurs inutiles, nous avons fait ce que nous devions faire”. » (Luc 17 / 10) Et ce n’est pas culpabilisant ni dévalorisant : c’est reposant, c’est se reposer sur celui qui « donne ce qu’il ordonne » (Augustin : De la grâce et du libre arbitre, 31 ; Confessions, 10, 29, 40), c’est savoir que c’est lui qui agit – et donc que ce sera bien fait, même si nous ne sommes pas tout à fait à la hauteur.

 

Que ce soit donc, avec Saint Augustin, notre humble prière à Dieu pour l’année qui commence, la prière de chacun et de notre Église comme un seul corps : « Donne ce que tu ordonnes », et que l’exaucement – certain – de cette prière ne nous berce pas d’illusions sur nous-mêmes, mais nous pousse plus avant dans la soumission mutuelle pour nous entraîner au service des petits là où ils sont, là où Jésus nous attend. Amen.

 

Saint-Dié – David Mitrani – 10 janvier 2016

 

 

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