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Épître aux Romains 10 / 8-18 (1)
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texte : Épître aux Romains, 10 / 8-18 (trad. : Bible à la colombe)
premières lectures : Ésaïe, 49 / 1-6 ; Évangile selon Matthieu, 15 / 21-28
chants : 47-03 et 36-19 (Alléluia)
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C’est une vocation extraordinaire qu’Israël a reçue, d’après la Bible. Vous l’avez entendue dans le prophète Ésaïe. Mais vous avez aussi entendu la réticence de ce peuple élu à assumer sa mission jusqu’au bout : « C’est en vain que je me suis fatigué, C’est pour le vide, la vanité que j’ai consumé ma force. » Et combien souvent nous-mêmes n’en sommes-nous pas au même point ? C’est qu’Israël compte sur sa propre force, qui est petite – ce sera le reproche constant des prophètes à l’égard des dirigeants du peuple. Pourtant Israël le sait et le confesse : « Mon Dieu a été ma force. » Et cette force n’est pas active que pour Israël lui-même, comme s’il était lui-même le but de sa mission. Non, elle est aussi active pour cette mission qui est autre : « Je t’établis pour être la lumière des nations, Pour être mon salut Jusqu’aux extrémités de la terre. »
Mais voici que lorsque l’occasion se présente, les croyants la laissent passer, et même la refusent, comme ce jour-là aux confins de la Phénicie : « Renvoie-la, car elle crie derrière nous » … Là ce n’est plus le sentiment de notre faiblesse ou de la vanité de nos efforts, n’est-ce pas. C’est clairement le refus de cette vocation extraordinaire qui consistait à ne pas se fier à soi mais à Dieu, et à ne pas se préoccuper de soi mais d’apporter le salut de Dieu à tout le monde. L’être humain, croyant ou non, se préfère toujours lui-même ! Et les arguments ne manquent pas pour conforter cet égoïsme si naturel, et ils se mêlent dans une argumentation bien légère où ne font pas si bon ménage que ça les arguments socio-politiques, religieux, spirituels, etc. Jésus en énonçait quelques-uns qu’il avait peut-être pris dans la bouche ou la pensée de ses disciples, mais ceux-ci n’en ont pas eu honte, ils n’y ont pas réagi. Ils ont laissé Jésus et la païenne seuls dans une rencontre où la foi s’est exprimée et a porté fruit, sans eux…
Mais Jésus n’est plus là. Enfin… oui et non. Mais la vocation adressée autrefois à Israël est toujours nôtre, dans une mission où le dedans et le dehors ne sont pas si faciles à délimiter. Comment donc va s’exercer aujourd’hui cette vocation, pour remplir cette mission qui est toujours la même : « que le monde croie » (Jean 17 / 21). Or, le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il y a encore de quoi faire. De nombreux pays persécutent les quelques chrétiens qui y vivent, au nom de l’athéisme, de l’islam, du bouddhisme, de l’hindouisme, du vaudou, ou pour d’autres raisons encore, et la plupart de leurs habitants ne savent absolument pas en quoi consiste notre religion. Quant aux autres pays, ceux qui sont réputés chrétiens, ceux qui totaliseraient, paraît-il, un peu moins de 2 milliards et demi de chrétiens – soit un humain sur trois – eh bien je ne suis pas très sûr que l’Évangile y règne… Il n’y a qu’à regarder notre propre pays, et même nos villages, nos voisins, nos familles même. Oui, il y a encore de quoi faire, mais comment s’y prendre ?
Ce qu’écrivait Ésaïe est toujours valable : compter sur la force de Dieu plutôt que sur les nôtres. Mais je le redis : comment cela va-t-il se faire, comment cette force va-t-elle opérer ? Dans le passage de saint Paul que nous avons entendu, et pour réfuter toute objection, nous sommes invités à regarder en nous avant de regarder les autres, car cela se passe de la même manière pour nous et pour les autres. Je vous le disais, il n’y a pas de séparation, il n’y a pas ceux qui sont nés dedans et ceux qu’il faudrait amener, ou pire : qu’il faudrait laisser dehors ! Non. Tout ce dont j’ai besoin et pour moi et pour les autres m’a été donné, je n’ai pas à chercher à l’obtenir, à le gagner, à aller le trouver dans je ne sais quelle élévation mystique ni dans je ne sais quel engagement éthique, ni n’importe où ailleurs. « Dans ta bouche et dans ton cœur. »
Ne nous trompons pas sur le sens de ces mots. La bouche : pas de problème, ça sert à parler. Oui, ça sert aussi à embrasser, à manger, à respirer… Mais ici le sens est clair. Là où il faut se poser la question, c’est à propos du cœur. Dans notre culture, c’est le « lieu » des sentiments. Mais il n’en était pas ainsi pour les auteurs bibliques dans leur monde. Pour eux, c’est le ventre, les entrailles, qui sont le lieu des sentiments. Le cœur, lui, est le lieu de la volonté, de la décision. Dans ces images, la tête est certes le lieu de la pensée, mais c’est le cœur qui décide. Penser et décider, ce n’est pas la même chose. Vous me direz que tout est articulé : évidemment ! Mais les nuances sont ici importantes : le croire n’est pas une pensée, une réflexion, mais c’est une décision. C’est un choix. Et c’est ce choix qui va faire passer la parole, la confession de ce croire, de cette foi, d’un côté de ma bouche à l’autre. Car il ne suffit pas que la parole reste en-deçà de mes lèvres, mais bien qu’elle les franchisse en étant prononcée pour d’autres oreilles que les miennes. La parole sans le croire est soit un silence soit un mensonge. Le croire sans parole est infirme.
Ainsi, les deux expressions ne sont pas complémentaires, mais synonymes, comme dans les psaumes lorsque deux demi-versets disent la même chose avec des mots différents : « Si tu confesses de ta bouche le Seigneur Jésus, et si tu crois dans ton cœur que Dieu l’a ressuscité d’entre les morts… » Confesser en paroles, et croire fermement, c’est la même chose, ce sont deux aspects du même mouvement. Je ne reviens pas sur le fait que la foi dont il est question consiste en la résurrection du Seigneur Jésus : qu’on la comprenne ou non, elle est incontournable, et il n’y a pas de foi chrétienne en dehors d’elle ! Je viens de vous le dire : cette « croyance » ne concerne pas la tête mais le cœur, elle n’est pas une doctrine mais un choix, une décision. C’est un « je crois » qui n’est pas moins, mais plus qu’un « je sais ». C’est comme un « je t’aime » qui n’a besoin ni de raisons ni de preuves, mais qui n’en est pas moins d’une plus grande force, au point de pouvoir se dire, au point de pouvoir le dire à l’autre, et en parler aux autres.
D’où vient cet acte de foi, et d’où viennent ceux qui le font ? Cela n’a pas d’importance. Ce n’est pas le pourquoi du comment de la confession de foi qui compte, dans une confession de foi ; mais le Seigneur qui est confessé, voilà ce qui compte, voilà celui qui compte. Celui qui est le centre et le critère de la foi, c’est le Christ. Voilà aussi pourquoi cette foi ne se résout pas dans un monothéisme que nous aurions en commun avec les juifs et les musulmans. La foi n’est pas celle d’un Dieu unique, mais celle du Christ ressuscité – qui implique, bien sûr, de reconnaître son Père comme notre Père, son Dieu comme notre Dieu (Jean 20 / 17). C’est la foi du Christ : la sienne, qui nous est mise au cœur par l’Esprit de Dieu ; et c’est la foi en lui, la confiance qu’il est vivant, ressuscité, et que cela change toute chose et le monde lui-même. Nous pouvons bien avoir des manières différentes de le penser, de le comprendre, de le mettre en formes culturelles ou religieuses, ceci est accessoire. Il faudra bien nous le rappeler lorsque nous célébrerons les 500 ans du protestantisme : celui-ci n’est rien, c’est le Christ qui est tout ; le protestantisme ne vaut que parce que et tant que le Christ ressuscité est au centre de sa foi et de sa vie. Donc des nôtres.
La première parole de notre foi s’adresse à Dieu, puisqu’en Christ il est notre Père. C’est la parole de l’enfant qui découvre d’où il vient, et qui en est heureux. C’est bien dans cette parole, dans cette prière, que le salut prend corps pour nous autres, c’est là que nous nous éprouvons nous-mêmes comme fils et filles de Dieu. Parce que nous l’avons appris. Tout comme c’est la mère qui désigne à l’enfant son père, c’est donc l’Église qui nous désigne le Père de Jésus-Christ comme notre Père, et Jésus lui-même comme notre Seigneur et Sauveur dans la foi. L’Église, c’est-à-dire la parole de la prédication, qu’elle nous soit venue par le culte, ou par les parents, ou par des amis, ou par tout autre moyen. D’une manière ou d’une autre, nous avons été au bénéfice de la prédication chrétienne, du témoignage chrétien, de la parole du salut et de la grâce. Nous avons entendu, et nous avons adhéré, nous avons cru, avec notre intelligence ou contre elle, avec notre culture ecclésiastique ou contre elle, avec l’assentiment de notre entourage ou contre lui…
Frères et sœurs, ce qui a été bon pour nous l’est aussi pour d’autres. « Comment croiront-ils en celui dont ils n’ont pas entendu parler ? » C’est la vocation du peuple croyant, c’est ce à quoi Dieu nous appelle. Notre salut est en Christ et non pas au bout de nos efforts. Nous n’avons donc rien à craindre pour nous-mêmes. Ce qui nous libère pour aller vers les autres. Pour leur dire la foi. Pas la morale. Pas la gentillesse. Pas la commisération. Toutes choses bonnes par ailleurs. Mais avec ces choses, la parole de la foi, la parole incroyable qui seule peut susciter le croire. « Mais tous n’ont pas obéi à la bonne annonce », écrivait Paul. Cela ne vise pas les non croyants. Cela nous vise, nous. Comme je fais parfois, j’ai traduit « Évangile » par « bonne annonce » plutôt que « bonne nouvelle », car l’Évangile s’annonce, sinon il n’est pas évangile. Ceux qui n’obéissent pas à l’Évangile sont ceux qui n’annoncent pas. C’est nous lorsque nous nous satisfaisons de nous-mêmes et de notre religion, lorsque nous n’avons plus l’espérance que d’autres entendront eux aussi.
Le texte biblique de ce matin ne nous invite pas à pleurer sur nous-mêmes et notre « petite foi », comme Jésus disait à ses disciples. Il nous invite à ouvrir la bouche et à laisser s’exprimer cette foi que nous avons en celui qui nous a donné sa vie. Oui, nous avons entendu, et si nous sommes chrétiens c’est par la bouche et le cœur, c’est-à-dire par le témoignage et des actions qui s’y conforment. Pour le dire autrement : sommes-nous convaincus de ce que notre tête croit ? L’Évangile touche-t-il notre cœur, ou bien reste-t-il dans un coin de notre cerveau ? Vous le savez au moins intuitivement : il y a des gens qui attendent, qui vous attendent, qui attendent votre témoignage. Je ne parle pas de ceux qui sont déjà chrétiens, mais des autres. Ils sont autour de vous, et pas dans le fichier paroissial. « Leur voix est allée par toute la terre, Et leurs paroles jusqu’aux extrémités du monde. » Et vous savez combien ils sont loin, pourtant, ces gens qui sont proches de vous. La promesse biblique, c’est que votre voix ira jusque là-bas, jusqu’à ceux qui sont si loin, eux qui vivent à vos côtés.
La question que se posait Ésaïe que cite saint Paul : « Seigneur, qui a cru à ce que nous avons fait entendre ? », cette question est peut-être une constatation, mais jamais une excuse pour se taire. Le prophète Jonas ne voulait pas parler afin que les méchants ne puissent se convertir. Il a bien fallu qu’il y aille pourtant. Alors nous, à plus forte raison ! Nous sommes là pour ça, après tout. C’est bien ce que Paul expliquait aux chrétiens de Rome, qu’ils fussent Juifs ou Grecs. Dieu fait ce qu’il veut et il touche le cœur de qui il veut. Notre mission, c’est de parler de lui, de dire son amour pour nous et pour tout le monde, sa puissance plus forte que la mort, la victoire qu’il nous apporte. Quelle victoire ? « La victoire qui triomphe du monde, c’est notre foi. » (1 Jean 5 / 4) Mettons-la en œuvre, ou plutôt laissons-la nous mettre en mouvement, en mouvement vers les autres. Je vous le dis : ils nous attendent. Amen.
Raon-l’Étape – David Mitrani – 18 septembre 2016