Épître aux Romains 10 / 8-18 (2)

 

texte :  Épître aux Romains 10 / 8-18

premières lectures :  Ésaïe 49 / 1-6 ; Évangile selon Matthieu 15 / 21-28

chants :  21-04 et 47-03

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Comme l’énonce la dernière phrase du passage de la lettre aux Romains, où Paul cite un psaume, « leur voix est allée par toute la terre… » L’Évangile, pour le dire autrement, a été proclamé et prêché dans tous les pays du monde. Alors, la mission de l’Église est achevée, et nous n’avons plus qu’à attendre le Dernier Jour bien au chaud entre nous ? Certes non. L’apôtre Paul ne l’a pas fait ! Car pour lui, la conversion de tout Israël devait suivre celle de tous les païens : c’est ce qu’il explique dans ces chapitres 9 à 11 de son épître. L’annonce de l’Évangile est donc toujours à l’ordre du jour, non seulement à tous les pays, mais aussi à tous les gens, à toutes les générations – or la foi ne se transmet pas par les gènes, ni de nos jours par la culture… – bref, à tous nos proches et nos lointains, nos familles, nos amis, nos collègues et compagnons, etc. Une étude publiée récemment affirme qu’en France, aujourd’hui, moins de la moitié des gens disent croire en Dieu – encore ne précise-t-on pas quel Dieu ou quelle idole ! C’est le chiffre le plus bas jamais enregistré depuis… depuis quand d’ailleurs ? le Vème siècle de notre ère, entre Martin de Tours et Clovis ? ou même depuis toujours ?

 

Mais entre « croire en Dieu » et la foi chrétienne, il y a un monde ! Il y a tant de dieux, idoles fantasmées ou puissances spirituelles véritables, mais prises pour ce qu’elles ne sont pas. Autrefois on aurait parlé à propos de tout ça de démons ou du diable… D’autres religions que le christianisme ont pris pied sur notre sol, et ce depuis toujours et non pas seulement depuis la décolonisation ou les migrations contemporaines. Quant au vieux fonds celtique, il n’a jamais véritablement disparu, et beaucoup de gens croient encore à la possibilité pour les morts d’intervenir auprès des vivants, pour s’en réjouir ou en avoir peur. Tout ceci est le contraire de la foi chrétienne. Mais même au sein du christianisme, il y a tant d’images de Dieu qui ne sont pas conformes au témoignage biblique, tant de représentations mentales qui le travestissent au lieu de le révéler tel que la Bible le montre, lui, le Père de Jésus-Christ. Car la foi chrétienne consiste en Jésus-Christ. Tout ce qu’on peut dire de Dieu en-dehors de lui ne possède aucun caractère de vérité. Et c’est notamment le défi pour tous les prédicateurs et tous les catéchètes : parler de Dieu non pas selon le sens commun – même s’il est de moins en moins commun – mais selon l’Évangile. Nous penserons particulièrement à la mission, qu’on peut dire héroïque, de nos catéchètes anciens et nouveaux auprès des  enfants et des adolescents. Car la foi ne s’enseigne pas, elle se témoigne. Comme disait Moïse lui aussi cité par Paul : « La parole est près de toi, dans ta bouche et dans ton cœur… » Et Paul de rajouter : « Or, c’est la parole de la foi. »

 

Ainsi notre texte de ce matin est-il une bonne expression du « salut par la foi » dont parlaient nos Réformateurs à la suite de Paul, en l’opposant au « salut par les œuvres ». Car naturellement, il ne s’agit pas de faire semblant, de confesser du bout des lèvres. La foi chrétienne ne fait l’objet d’aucune shahadah qu’il suffirait de prononcer pour être devenu chrétien : ainsi ceux qui affirment, lors d’une confirmation ou d’un baptême, le leur ou celui de leur enfant, que « Jésus-Christ est Seigneur » ne sont pas des chrétiens pour avoir dit cette phrase, mais bien pour l’avoir crue, pour faire confiance à une telle réalité pour leur propre vie et pour celle du monde. Récemment, un parent qui avait fait baptiser son enfant dans notre Église, au moment de l’envoyer dans notre catéchèse, a dit aux catéchètes : « nous sommes croyants, mais pas pratiquants », ce qui, en français courant, signifiait « fichez-nous la paix, il ne viendra pas… » Paroles vides faisant suite à des paroles vides prononcées lors du baptême il y a quelques années. Dieu jugera…

 

Mais occupons-nous plutôt de nous ! Que disons-nous lorsque nous parlons de Dieu, lorsque nous parlons de Jésus ? J’ai entendu déjà des gens – et même des théologiens – présenter de bonne foi notre Dieu comme si c’était Allah, Zeus, Jupiter ou Wotan… Ils insistaient sur sa puissance, son immutabilité, son légalisme. Il a bien dû m’arriver à moi aussi de développer de telles idées, et certains des cantiques du XIXème siècle que j’aime bien ont aussi cette tendance-là ! Or, la plupart d’entre nous, nous faisons l’expérience quotidienne que cette puissance ne s’applique pas à nos demandes, à nos besoins, et que cette immutabilité et ce légalisme nous condamnent. La Confession de La Rochelle, la première de nos Églises réformées en France, exposait d’entrée : « Nous croyons et confessons qu’il y a un seul Dieu, qui est une seule et simple essence, spirituelle, éternelle, invisible, immuable, infinie, incompréhensible, ineffable, qui peut toutes choses, qui est toute sage, toute bonne, toute juste, et toute miséricordieuse. » S’arrêter là aurait été bien peu évangélique, quasi blasphématoire, s’il n’y avait eu la suite, s’il n’y avait le Christ. Mais peut-être que ce sont nos regards qui regardent certes le vrai Dieu mais sans s’orienter comme il faudrait…

 

C’est bien d’ailleurs ce que je veux vous dire. Le salut – c’est-à-dire la relation pérenne, droite, correcte, confiante, avec le Dieu dont témoigne toute la Bible – le salut ne saurait nous atteindre en essayant d’imaginer le Père éternel, et encore moins en nous contentant de croire qu’il existe. Non. Ce salut qui nous vient de lui, il nous atteint lorsque nous rencontrons Jésus-Christ, ce Jésus dont toute la Bible témoigne, mais qui est vivant aujourd’hui après être passé par la mort et l’avoir vaincue. Et s’il est vivant aujourd’hui, c’est pour vous et moi, c’est pour être pour chacun de nous ce lien vivant avec le Père. Lire la Bible et confesser le vrai Dieu ne suffit pas – et à proprement parler ne sert à rien – si cela ne nous mène pas au Christ et ne témoigne pas de lui à notre tour. À plus forte raison, et contrairement à ce qu’on entendait partout quand j’étais jeune, ne pas lire la Bible ni confesser le vrai Dieu n’exprime en rien une quelconque foi chrétienne qui consisterait en morale, générosité, engagement social, amour du prochain. On n’est pas sauvé par ses œuvres, quand bien même elles seraient excellentes !

 

Mais que nos œuvres soient bonnes ou mauvaises, nombreuses ou insignifiantes, Paul nous rappelle avec l’Ancien Testament que « quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé. » Car telle est la première destination de notre parole de foi : elle s’adresse à Dieu, elle l’appelle, comme l’enfant appelle ses parents, que ce soit pour être secouru ou pour dire son amour, ou simplement pour être sûr qu’ils sont là, près de lui ou pas trop loin… Ce n’est pas une parole, une invocation, initiale, qu’il faudrait faire une fois pour toutes, et ensuite on s’en passe. Non. Le salut, certes, nous est acquis une fois pour toutes, puisqu’il ne tient pas à nous mais à Jésus, à sa mort et à sa résurrection. Tout comme un être humain naît une fois pour toutes de par la volonté de ses parents et l’opération de la nature ou de la société, et non de son propre vouloir, mais encore doit-il grandir ! La parole de la foi est donc d’abord une parole filiale, aimante et reconnaissante, permanente et souventes fois répétée, personnelle mais aussi communautaire avec les frères et sœurs. Comme chante le cantique tiré d’un psaume (Ps. 133 / 1) : « Ah ! qu’il est doux pour des frères de demeurer ensemble dans l’unité, la prière, par l’Esprit qui rassemble ! » (n° 164 in Arc-en-ciel)

 

L’apôtre Paul, dans notre texte, n’a pas seulement en vue le salut personnel de ses auditeurs, mais celui de toute l’humanité. Il a aussi le souci de son propre ministère, et de celui de ses collaborateurs. C’est un ministère de prédication, c’est le ministère qui fonde les Églises : ce n’est pas pour rien qu’on l’appelle et qu’il se nomme lui-même « apôtre » ! L’épître à Timothée lui prête ces mots : « Dieu, notre Sauveur, veut que tous les humains soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité. Car il y a un seul Dieu, et aussi un seul médiateur entre Dieu et les humains, le Christ Jésus, humain, qui s’est donné lui-même en rançon pour tous : c’est le témoignage rendu en temps voulu. » (1 Tim. 2 / 3-6) Mais pour que cela existe et ne soit pas un vœu pieux comptant sur un improbable miracle, encore faut-il que « la parole de la foi » se fasse entendre. Et pour qu’elle se fasse entendre, il faut qu’elle soit dite.

 

Dite, pas suggérée, pas gardée pour soi, pas tue ! « Croyant, mais pas pratiquant », pas même pour mes proches… Ou bien, pour d’autres, pratiquant mais en silence, au quotidien mais surtout pas en Église. Je ne veux pas développer plus : beaucoup dans nos familles sont comme ça, et cela fait mal, on se demande ce qu’on n’a pas dit, pas fait… Or la culpabilité ne sert à rien, mais la question nous renvoie bien à la nécessité du témoignage chrétien. Pas seulement décrire Dieu, Jésus, l’Esprit, raconter une histoire… Pas seulement dire la morale, pas se limiter au double commandement d’amour – ou alors avec un nouveau sens au-delà de la morale. Toute description est idolâtre et fausse sans la foi. La foi ne peut que témoigner d’elle-même, et elle est confiance et non doctrine, comme je vous le dis tous les dimanches ou presque. La foi est en même temps parole et confiance, parole qui exprime la confiance et confiance dans la vérité de cette parole : « si tu confesses de ta bouche […] et si tu crois dans ton cœur… » Voilà ce dont nous pouvons témoigner par la parole : de cette confiance du cœur, de notre cœur, pas de celui du voisin, du pasteur, du pape ou de je ne sais qui d’autre !

 

Parfois des parents disent à leur enfant, à propos de la foi : « va demander à ta grand-mère… » Aveu d’impuissance certes. Reconnaissance aussi, peut-être, reconnaissance que cette parole qui n’a pas été reçue avait pourtant été dite avec le cœur. Qui peut dire quand un témoignage sera reçu ou pas ? Mais il peut, il doit être donné… Les témoins sont alors perçus comme tels, et quelqu’un peut toujours s’adresser à eux pour lui-même ou leur renvoyer d’autres gens. Et si ce n’est pas parce que je vis de ma rencontre avec le Christ que ceux auprès de qui j’en témoigne feront de même, il est nécessaire que le témoignage soit pourtant donné, qu’il soit disponible, librement disponible. La Bible n’y suffit pas, c’est un livre qui a 2.000 ans ! C’est ma parole à moi, c’est votre parole à vous, qui est nécessaire. Et pas forcément pour enseigner la Bible – ça, c’est une partie de mon travail à moi ! – mais pour parler de vous, de vous avec Dieu, de vous tels que Jésus-Christ vous a appelés et a pu transformer votre chemin ou votre manière d’y marcher.

 

Par-delà le propos de Paul dans ces chapitres de l’épître aux Romains, le Saint-Esprit nous rappelle aujourd’hui, à travers notre texte, qu’il veut se servir de nous comme d’humbles témoins, pas comme muets mais pas non plus comme théologiens : dire notre foi, notre confiance, à Dieu notre Père, et à ceux qui nous entourent. Ce n’est pas un ministère professionnel. Ce n’est pas un engagement de bénévole. C’est la simple conséquence de notre foi. Quand on est amoureux, on le dit, et ça peut faire sourire les gens, les faire réfléchir, ça peut faire bouger les autres dans leur propre existence – ou pas. Eh bien c’est pareil. Faire confiance au Christ mais en silence, sans que ça se voie, sans que ça change quoi que ce soit, ce n’est pas croire au Christ, ce n’est pas faire confiance, c’est répéter un catéchisme. Ce n’est pas de notre science dont Dieu et le monde ont besoin, c’est juste de notre parole et de notre cœur, c’est juste de nous-mêmes… Amen.

 

Saint-Dié  –  David Mitrani  –  26 septembre 2021

 

 

 

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