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Épître aux Hébreux 4 / 9-16
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texte : Épître aux Hébreux, 4 / 9-16 (trad. : Nouvelle Bible Segond)
premières lectures : Évangile selon Luc, 8 / 4-8 ; Ésaïe, 55 / 1-3. 6-13
chants : 225 et 239 (Arc-en-ciel)
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L’avez-vous compris, chers amis ? Le thème commun de ces textes bibliques, c’est la parole : la parole que Jésus sème – ainsi qu’il l’expliquera dans la suite à ses disciples qui n’avaient pas mieux compris la parabole que les autres – la parole que Dieu envoie et qui crée le monde et lui fait porter fruit, cette parole pourtant inquiétante qu’évoque le passage de l’Épître aux Hébreux… Qu’est donc cette parole ? La première réponse qui nous vient, c’est que la parole de Dieu, c’est la Bible. Permettez-moi de vous dire, avec l’accord unanime des Réformateurs, que cette réponse est fausse. D’ailleurs, vous le savez. Parce que, si c’était la Bible qui était la parole de Dieu, il faudrait la lire beaucoup plus souvent que vous et moi ne le faisons !… Mais la réponse est fausse aussi tout simplement parce que la Bible n’est pas une parole, mais un texte. Et lorsque nous-mêmes nous écrivons, lettre ou mail, c’est soit parce que le destinataire de notre courrier est loin, soit parce que nous n’avons pas envie ou pas le temps de le voir. Bref, c’est le contraire d’une parole. C’est autre chose.
Car la parole suppose d’être prononcée et entendue. Bien sûr, la parole n’est pas le seul langage possible. Le texte écrit est un autre langage, qui a d’autres règles. Chez certains animaux, les phéromones sont aussi un langage ; d’autres, comme les oiseaux, les dauphins, etc., communiquent par des sons. Mais l’être humain est le seul animal, ou la seule créature, douée de parole. Or la parole suppose la proximité, le vis-à-vis. Elle le suppose, ou bien elle le suscite, elle le crée. Dans ce sens, je ne suis pas très sûr que le téléphone ou que Skype véhiculent vraiment la parole… Mais on pourra en rediscuter ! Mais pour notre sujet de ce matin, il n’y a pas de doute : Dieu ne nous téléphone pas, il nous parle. Et si Dieu nous parle, c’est parce qu’il se rend présent, c’est le moyen par lequel il se rend présent. Dieu à notre égard est un Dieu de parole ! Comme l’écrivait Saint Jean : « Au commencement était la parole, et la parole était tournée vers Dieu, et la parole était Dieu. » (Jean 1 / 1)
Dieu parle. Ça ne veut pas dire que Dieu tonitrue ! On peut donc ne pas l’entendre, tout comme on peut très bien ne pas entendre non plus quelqu’un d’autre nous parler, soit parce qu’on a décidé de ne pas écouter cette personne, soit parce qu’on est trop occupé pour y prêter attention. C’est bien ainsi que commence le passage qui vous a été lu : écouter la parole de Dieu suppose d’ « entrer dans son repos », pour le dire comme le texte. Le shabbat, au centre des Dix Commandements, le proposait déjà. On ne peut pas – je ne peux pas écouter Dieu me parler et faire autre chose en même temps, avoir le corps et l’esprit occupés ailleurs. Mais là encore ce n’est pas très original : n’importe qui, n’importe quel conjoint notamment, est susceptible de s’exclamer une fois ou l’autre : « arrête-toi de faire autre chose quand je te parle ! » … Arrête-toi : c’est l’exhortation sur le shabbat. Arrête-toi de meubler ton existence avec ce que tu produis, toi. Ouvre-toi à ce que Dieu fait pour toi. Profite ! Écoute…
Cette parole n’est donc pas un « ordre venu d’en-haut » et qui pourrait venir par courrier ! Parce que, parfois, pour que l’autre s’arrête et vous écoute, il faut presque le prendre par les épaules et le secouer pour qu’il enlève son casque de sur ses oreilles et qu’il s’aperçoive qu’on lui parle. Et c’est aussi parfois ce que Dieu doit faire. Parce qu’il a besoin de notre repos pour nous parler. Bon, d’accord, parfois il crie quand même pour se faire entendre par-dessus le bruit que nous-mêmes faisons… Mais ça ne permet pas une parole ni une écoute très sereine… Le « repos sabbatique » dont parle l’Épître consiste donc bien à laisser tomber ce que nous sommes en train de faire, parce que Dieu nous parle. J’espère que vous réalisez combien c’est difficile, combien ça ne nous est pas naturel. Nous n’aimons pas dépendre des autres ; or s’arrêter de produire, c’est dépendre des autres. S’arrêter de nous occuper de nous-mêmes, c’est accepter que ce soit Dieu qui s’occupe de nous. Et Dieu s’occupe de nous en nous parlant, en s’adressant à notre existence telle qu’elle est, belle ou abîmée, organisée ou brouillonne, en réussite ou en échec. Il nous amène donc à regarder notre existence telle que lui la voit.
Et c’est ça que nous ne voulions pas, c’est ça qui nous gêne, ou qui nous fait mal. « Car la parole de Dieu est vivante, agissante, plus acérée qu’aucune épée à deux tranchants ; elle pénètre jusqu’à la division de l’âme et de l’esprit, des jointures et des moelles ; elle est juge des sentiments et des pensées du cœur. Il n’est pas de création qui échappe à son regard : tout est mis à nu et offert aux yeux de celui à qui nous devons rendre compte. » La parole de Dieu nous dévoile à nos propres yeux, et la plupart du temps nous n’aimons pas ce qu’elle nous montre de nous, et que tous nos efforts consistaient justement à essayer de cacher, à nous comme aux autres. Mais le cacher à Dieu, c’est impossible. Pire : c’est bête ! Car si nous essayons de le cacher, c’était bien parce qu’au fond de nous-mêmes nous savons à quoi nous ressemblons. Est-ce que vous ce qui vous fait mal à votre médecin ? Oui, vous pouvez vous le cacher à vous-mêmes. Mais si vous allez chez le médecin, ce n’est normalement pas pour vous taire ni pour lui raconter des bobards !
Et normalement, quand il sait ce qui vous arrive, le médecin sait aussi comment le soigner, c’est-à-dire comment vous soigner – s’il le peut. Il faut donc lui faire confiance, ou bien changer de médecin ! Eh bien la parole que Dieu nous adresse est une parole pour nous soigner, et nous guérir. Il faut donc lui faire confiance, écouter et recevoir cette parole. Là encore c’est le repos dont je vous parlais : certes se reposer de tout ce qui sinon nous occupe, mais aussi se reposer sur Dieu notre bon médecin, se reposer en lui. Le laisser faire et le diagnostic et le soin, le laisser conduire le traitement. Le laisser conduire… Se reposer en Dieu, c’est le laisser conduire. Et c’est bien ce qu’il nous demande, ce qu’il nous propose : « laisse-moi te soigner, laisse-moi te conduire, repose-toi sur moi… » Il ne s’adresse pas seulement à notre intelligence, à nos convictions. À la limite, la question n’est pas de croire en Dieu, mais de nous en remettre à lui pour ce qui nous concerne au fond de nous, « jusqu’à la division de l’âme et de l’esprit, des jointures et des moelles ».
Lorsque je le laisse faire, sa parole « ne revient pas à [lui] sans effet, […] sans avoir réalisé ce pour quoi [il l’a] envoyée. » Comme le confessait un capitaine de l’armée romaine : « Seigneur, je ne suis pas digne que tu entres sous mon toit ; mais dis seulement une parole, et mon serviteur sera guéri. » (Matt. 8 / 8) Oui, la parole de Dieu est le moyen par lequel Dieu agit, très concrètement. C’est par elle qu’il a fait du chaos sa création ordonnée. C’est par elle, de même, qu’il fait de nous autres et de nos propres chaos sa création, ses créatures à son image. Sa parole est non seulement vivante, ce qu’on a de la peine à comprendre, mais aussi vivifiante. À la recevoir on est rafraîchi, désaltéré, nourri ; mais pour ce faire il lui faut bien d’abord opérer pour guérir le malade ! Le traitement peut sembler amer et désagréable, et parfois terrible ; mais c’est sans doute que le médecin l’a estimé nécessaire. Je ne sais pas, je ne suis pas le médecin… Mais je lui fais confiance.
Et si je lui fais confiance, c’est que ce Dieu n’est pas au ciel, il n’est pas le produit de mon imagination, de mes fantasmes ou de ceux de ma culture. Mais si je le connais c’est par Jésus-Christ, et en lui « nous n’avons pas un grand prêtre insensible à nos faiblesses ; il a été soumis, sans péché, à des épreuves en tous points semblables. » Entendez bien : notre Dieu a vécu notre vie humaine telle qu’elle est, jusqu’au bout ; notre médecin a pris nos maladies sur lui, pour pouvoir les guérir efficacement. Ça me rappelle un dentiste, qui s’étonnait de ma peur en me disant que ça ne faisait pas mal… enfin, il le pensait, parce qu’on ne le lui avait jamais fait ! Notre Dieu, c’est le contraire. Il sait ce qui nous fait mal, parce qu’il y est passé lui-même. Il s’engage d’autant plus totalement, en personne, dans les soins qu’il nous prodigue.
Mais comment s’y prend-il ? Par sa parole agissante, certes. Mais je vous ai dit que ce n’était pas la Bible : la Bible, c’est le diagnostic et l’ordonnance, pas le médicament. Évidemment, l’ordonnance permet de recevoir le médicament qui y est prescrit ! Ce médicament, la vraie parole de Dieu, vous n’allez pas la chercher sans la Bible. Y aller sans la Bible, chercher ce que Dieu me dit à travers la nature ou le monde ou la morale, c’est encore moi qui m’occupe de moi, ce n’est pas me reposer sur le médecin… Mais à partir de la Bible, Dieu me parle, Dieu me parle d’en-dehors de moi, de l’extérieur. Nos Réformateurs disaient que cette parole de Dieu nous est dite de deux manières : par la prédication et par le sacrement. Ainsi quand vous entendez quelqu’un vous parler, à vous, à partir de ce que dit la Bible, et qu’à travers ces paroles vous recevez de Dieu sa parole à lui, alors oui, là vous vivez un événement dans lequel Dieu et vous êtes désormais dans un face-à-face, un partenariat, un dialogue, car telle est la parole qu’elle ne saurait être un monologue, mais toujours une rencontre. Peu importent alors les mots ou les personnes qui auront été les « anges », les moyens de cette entrée en dialogue : quand on vous montre la lune, vous ne regardez pas le doigt qui vous la désigne, n’est-ce pas ?…
L’autre moyen indissociable, parce que nous sommes des corps et non de purs esprits, c’est lorsque cette même parole se donne à voir et à toucher, à boire et à manger : c’est la sainte cène. Ne croyez pas qu’il ne s’agit que d’un geste en souvenir d’un autre. Non. C’est le geste par lequel Dieu vous administre véritablement la parole-médicament au sujet de laquelle il vient de vous entretenir. Car sa parole s’adresse à tout notre être, corps et âme ; elle est dite pour notre intelligence et pour nos sens. Pour notre santé globale, « pour obtenir compassion et trouver grâce, en vue d’un secours opportun », comme dit l’Épître. Pour le dire autrement, c’est de cette grâce, la grâce du Dieu qui souffre avec nous pour que nous vivions de sa vie, c’est d’elle dont nous avons besoin. En elle, reçue par l’action de la parole de Dieu sur nous et en nous, notre repos continue, et ce n’est plus alors parce que nous sommes malades, mais parce que nous sommes guéris, que nous nous reposons en Dieu. Ce n’est plus par besoin, mais par amour – qui est un besoin supérieur – que nous nous prélassons en Dieu. Son repos devient notre temps ordinaire, au lieu de n’être qu’un passage obligé.
Consiste-t-il alors à ne rien faire ? Non pas. Mais à se laisser porter et conduire, je vous le disais tout à l’heure. À laisser la parole du Dieu d’amour agir en nous et porter fruit. Car le but de la médecine, c’est de nous remettre debout, mais pas pour nous renvoyer à notre esclavage, à notre maladie. C’est de nous rendre libres. Puisse alors cette liberté s’exercer au bénéfice de ceux que nous rencontrons, de ceux qui nous sont confiés. Après tout, qui sait si nous ne serons pas à notre tour des prédicateurs de la parole vivante de Dieu, afin que d’autres cœurs soient touchés, d’autres volontés transformées, d’autres âmes et d’autres corps guéris ?… Laisser la parole de Dieu nous conduire, c’est aussi la laisser nous conduire vers ailleurs que ce que nous pouvons imaginer ou souhaiter. Frères et sœurs, reposez-vous sur elle, et bon vent ! Amen.
Saint-Dié – David Mitrani – 31 janvier 2016